Magazine Journal intime

Society

Publié le 09 juillet 2008 par Corcky



Des fois, je te saoule avec mes doutes existentiels (ne nie pas, je le sais) quand je te confie que j'en ai marre de mon boulot d'infirmière, marre d'être payée trois cacahuètes pour prendre soin de mon prochain, ras le bol d'être à l'écoute de la misère de Truc, des bobos de Machin, de la dépression de Bidule et des emmerdes de Chose.
Des fois, je me dis que j'aurais bien envie d'être sarkozyste et de ne penser qu'à ma gueule.
Envoyer chier tout le monde, surtout les plus faibles, qui me poussent parfois tellement à bout que j'ai des envies de meurtre (le nombre de fois où je te raconte à quel point mes gars m'emmerdent...)
Faire du fric, tout plein, et le claquer dans une plus grosse bagnole, une baraque de rêve, une télé de quatre mètres à écran plat, des actions Lagardère, un lecteur MP3 de la taille d'un timbre-poste et des montagnes de poudre blanche.
Ne compter sur personne, surtout pas sur mon voisin, foncer tête baissée en écrasant la gueule de ceux qui se trouveraient malencontreusement sur mon passage, me dire que la plupart des chômeurs sont des branleurs assistés qui profitent du système, que tous les immigrés sont des terroristes potentiels, que la délinquance est le cancer des sociétés modernes et qu'il faut l'éradiquer en foutant tout le monde en taule, que les bénéficiaires d'allocations sont des putain de parasites à qui il faut inculquer d'urgence l'esprit d'entreprise, et jouir, enfin, sans entraves, jusqu'à l'indigestion, jusqu'à m'en faire éclater la cervelle.
Me vautrer devant la téloche et gober complaisamment tout ce qu'on me raconte, éviter de me poser la moindre question qui n'ait pas de rapport direct avec ma thune, mon confort personnel, mon prochain voyage à l'Ile Maurice et la place de parking réservée dans ma résidence que le voisin du dessus n'arrête pas de squatter (faudra que je pense à le signaler au commissariat du coin).
Me dire que oui, la société est une putain de jungle et que si tu n'adoptes pas la loi du plus fort, tu te feras irrémédiablement bouffer, alors autant être celui qui dégaine le premier, laisser la place de la gazelle à autrui et devenir le lion.
Un peu comme ce blaireau d'Ulysse, à qui trois ou quatre pouffiasses à queue de poisson criaient joyeusement:
- Saute à l'eau, ducon, et viens donc faire la fête avec nous, on écoutera Enrico Macias et Faudel, on se bourrera le pif avec de la colombienne premier choix, on fera un concours de la plus grosse Rolex, on te fera essayer nos Ferrari dernier modèle et on bavera tant qu'on pourra sur cette plèbe de merde.
Des fois, oui, je t'avoue que j'ai envie de tout ça à la fois.
Et puis je respire un grand coup.
Je fais comme Ulysse et je me mets des bouchons dans les oreilles.
Je regarde autour de moi, et je vois un océan de beauferie crasse, des millions de malheureux connards trop occupés à se bouffer la gueule et à regarder TF1 pour penser une seule seconde à autre chose qu'à leur drogue télévisuelle quotidienne, le porno du samedi soir sur Canal, le prochain spectacle d'Arthur, la dernière blague de Cauet, le prochain concours de Radio Trouducul qui leur permettra, peut-être, de gagner un séjour à Beverly Hills où ils pourront faire semblant de vivre, le temps d'un week-end, comme les putes millionnaires et les acteurs camés jusqu'aux yeux qu'ils adulent béatement.
Y'a un tel ramassis d'abrutis confits dans leur esprit de compétition à deux balles et leur individualisme forcené, que ça me ferait presque sourire.
Le tout-à-l'ego dans ce qu'il a de plus clinquant et de plus tape-à-l'oeil.
la solitude la plus totale et la plus pathétique.
Après tout, les Français ont placé à la tête de leur État le plus beauf, le plus inculte, le plus cupide et le plus méprisant d'entre eux.
Et ne me demande pas malicieusement si je ne serais pas en train de virer communiste, mon pote, parce que le petit facteur et l'assassin qu'il a récemment embauché pour son futur parti glauque ne me font pas frissonner les ovaires pour autant.
Je me méfie d'Arlette et de sa secte comme de la peste, je me souviens du Petit Livre Rouge et du "Grand Bond en avant" de Mao, et c'est pas demain que tu me verras bouffer des merguez à la Fête de l'Huma.
Alors, quand je redescends un peu sur terre après ma petite crise d'effroi, ça me fait comme une grosse baffe dans ma tronche.
Je pense à mes gars, à l'hépatite de monsieur C qu'on a réussi à diagnostiquer après dix ans passés dans la rue, à monsieur G qui n'a pas touché une goutte de bibine depuis cinq mois et qui a retrouvé du boulot, à Oumar, le réfugié politique somalien qui fait des cauchemars la nuit au point de pisser au lit comme un gosse, à Fatou et à son sourire à dix mille dollars, qui passe le balai tous les matins dans nos locaux et qui partage avec nous son mafé sur le coin d'un bureau, à monsieur D qui a retrouvé (un peu) le sourire après sa tentative de suicide ratée, à monsieur L qui est en réa parce qu'il a refusé une clope à trois enculés qui pensaient sans doute qu'un SDF, ça donne ses clopes ou ça crève, aux mecs du Foyer qui se lèvent à quatre heures du mat' pour aller bosser sur un chantier Bouygues dans le fin fond du trou du cul de la Seine et Marne, qui rentrent à huit heures du soir et qui ont encore assez d'énergie et de bonne humeur pour boire  un café avec moi, me raconter leur journée, se laisser examiner sans râler et me mettre une branlée au baby-foot.
Et puis je pense à ma môme, qui partage son Mac Do avec Yasmina et qui se tartine la tronche de sauce hypercalorique en renversant ses frites sur le lino cradingue.
Qui a cassé sa tirelire pour me refiler trois euros (l'intégralité de son trésor de guerre) pour que je les envoie à mon frère de La Havane parce qu'il a des trous dans ses godasses et que sa petite soeur Magali dort dans une chambre qui se transforme en piscine municipale quand il flotte.
Je pense à ma femme, étouffée par un boulot bien payé mais totalement dépourvu de sens, en tout cas du sens qu'elle aimerait y trouver, parce que ma femme, elle est un peu comme un électron libre shooté à l'humanité, dans sa tête ça carbure tellement qu'elle crame régulièrement toutes ses calories mentales, alors elle a souvent besoin de refaire le plein de sens (et sa station-service personnelle, ben c'est moi, ma pomme, myself).
Alors après tout ça, je vais me mettre sur la terrasse, juste en face du rosier en fleur, et je regarde bêtement les bourdons du coin s'affairer à récolter leur pollen.
J'aime bien les bourdons, ça pique même pas, mais quelque part, ça me fait un peu de la peine, vu que ça passe sa vie à s'épuiser autour du pistil, du matin au soir, et puis très vite, ça crève dans l'indifférence générale, vu que le reste de la ruche est trop occupé à faire pareil pour s'apitoyer ne serait-ce qu'une fraction de seconde.
En fait, j'ai pas envie d'être un bourdon.







Si tu n'es pas spécialement anglophone, je te précise que la petite vidéo ci-dessus est une compilation de presque toutes les émissions de télé-réalité anglo-saxonnes (merci Marianne), et les seules paroles qu'on entend, du début à la fin, signifient:
"Je ne suis pas là pour me faire des amis. Je suis uniquement ici pour gagner."


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