Lundi 15 octobre
14h : Ce week-end, j’ai croisé un monsieur qui m’a fait l’apologie de l’inespoir : selon lui, ne rien espérer serait le meilleur moyen de ne jamais être déçu. Ma répartie, comme trop souvent, m’a laissé en plan : il faut dire que j’avais un car à prendre, que j’étais donc anxieux et donc dans l’incapacité momentanée de fournir l’effort de concentration nécessaire pour ciseler une réplique appropriée. C’est donc seulement aujourd’hui que je réalise que j’aurais pu (dû ?) lui répondre que c’est une morale de collabo ! J’exagère à peine : si les résistants de 1940 n’avaient pas gardé l’espoir que la libération arriverait, il n’y aurait eu absolument personne, en France, pour empêcher les Juifs d’être envoyés à l’abattoir… Il disait que cette « philosophie » lui était inspirée par le bouddhisme : voilà bien la preuve, s’il en était encore besoin, que toutes les religions sont débiles et je comprends mieux pourquoi les Tibétains se laissent à ce point empapaouter par les Chinois ! Mais si je lui avais dit ça, je me serais probablement fait traiter d’occidental borné et colonialiste, tant il est vrai que nous vivons une époque où il suffit de coller une étiquette asiatique sur de la merde pour que tout le monde se rue dessus !
Mardi 16 octobre
11h30 : On the road again… Je vais à Paris où j’ai été invité à assister à la présentation des actes d’un colloque auquel j’avais participé il y a deux ans. C’était mon premier colloque parisien, j’étais donc fier d’y participer, d’autant que ça m’avait donné l’occasion de parler de Charlie Hebdo… Au centre Pompidou ! Je vous laisse imaginer l’ivresse que procurent des moments pareils ! Le voyage me parait moins long grâce à la présence d’une mienne amie qui se rend elle aussi à Paris où elle avait longtemps vécu et qu’elle considère comme étant « sa » ville : malheureusement, m’explique-t-elle, elle ne pourrait plus s’y réinstaller tant le foncier est devenu hors de prix à la capitale ! Résultat, quand elle y revient aujourd’hui, elle est une touriste dans sa ville de cœur ! Son cas n’est sûrement pas isolé : combien d’anciens Parisiens ne sont-ils pas devenus des étrangers pour leur propre ville qui se mue peu à peu en gigantesque ghetto de riches camouflé derrière la façade d’un piège à touristes ?
15h10 : Me voilà arrivé en gare Montparnasse où, avant que nous ne nous séparions pour suivre nos chemins respectifs, mon amie me présente à son père en lui assurant que je suis un « surdiplômé ». Connaissant mieux Paris que moi, elle me donne un raccourcis pour sortir plus rapidement de la gare et atteindre ma station de métro, ce qui provoque l’incrédulité de son géniteur : « Il est surdiplômé, il devrait pouvoir se débrouiller tout seul, non ? » La réaction de ce noble septuagénaire ne m’étonne pas : ce n’est pas la première fois, dans ma vie d’autiste à fort potentiel, que mes interlocuteurs s’étonnent de l’apparent décalage entre mes capacités intellectuelles, du moins telles qu’elle trouvent à se manifester dans le milieu universitaire, et les difficultés que j’éprouve face aux questions pratiques… Pourtant, il n’y a pas là de paradoxe : on ne demande pas un artisan de savoir analyser un texte de Platon, pourquoi le philosophe que je suis (ou que, du moins, je m’efforce d’être) devrait-il être plus efficace qu’autrui pour se repérer dans une grande ville qu’il fréquente rarement ?
A suivre…