Apparemment, les porte-avions, c’est comme pour les films : il n’y a pas que les chefs-d’œuvre qui ont droit à un numéro 2 ! On aurait pu penser que la triste pantalonnade du Charles-De-Gaulle et le bâton merdeux du Clemenceau allaient vacciner durablement notre pays contre la tentation de bâtir encore un gros bateau gris. Mais c’était mal connaître ces grands enfants gâtés-pourris que sont les militaires, toujours avides d’un nouveau joujou que l’État, cette maman trop coulante, s’empresse toujours de leur payer de peur que la « Grande muette » ne lui fasse un caprice, tant il est vrai que chez les militaires, les caprices s’appellent souvent « coups d’État »…Bref, c’est confirmé, il va bien y avoir un deuxième porte-avions français : déjà, les ouvriers exultent, il va y avoir du boulot, ça va créer des emplois, youpi-youpi, alléluia et… STOP ! Reprenez vos esprits une seconde : non mais vous croyez quoi ? Que si on décide de faire construire un porte-avions, c’est pour vos beaux yeux ? Pour le plaisir vous faire gagner de quoi trimbaler les mômes à Disneyland ?
Mais, pauvres naïfs… D’après vous, un porte-avions, ça sert à quoi, en général ? Ça sert à… Ça sert à faire… Ça sert à faire la… Vous ne voyez toujours pas ? Voyons, ça sert à faire la g… Oui, là-bas, au fond, vous dites ? Et oui, voilà vous avez trouvé : ça sert à FAIRE-LA-GUERRE ! Là ! Quand l’État décide de construire du nouveau matériel de guerre, est-ce que c’est bon signe, d’après vous ? Vous croyez vraiment que Macron va s’amuser à faire bâtir un grand bateau gris juste pour le laisser rouiller au fond d’un port ? Allons donc : si on fait construire un porte-avions, c’est pour s’en servir ! Cette construction va donc peut-être aider quelques Français à gagner leur vie, mais elle va surtout aider beaucoup d’autres gens à perdre la leur !
Que l’État, « le plus froid des monstres froids » comme l’appelait Nietzsche, n’ait pour la vie humaine qu’un respect très élastique, ça n’est pas pour m’étonner… Mais qu’il n’y ait pas plus de voix pour s’opposer à la construction d’un nouvel engin guerrier, ça, c’est navrant ! On en parle comme d’une simple opération commerciale alors que c’est peut-être un crime contre l’humanité qui se prépare ! A côté de ça, on s’indigne que la France ait vendu des armes à l’Arabie Saoudite et ait ainsi armé le prince Mohammed Ben Salmane contre les journalistes et les dissidents qui le dérangent : mais l’accueil de la nouvelle de la construction du deuxième porte-avions semble indiquer que si ces ventes d’armes n’avaient pas eu lieu, on aurait probablement reproché au gouvernement de menacer l’emploi dans l’armement !
Il faut savoir ce qu’on veut : ou bien on contribue à faire progresser la paix et la démocratie dans le monde ou bien on cherche à maintenir à tout prix l’emploi dans la fabrication des engins de mort, et si on choisit la seconde option, la moindre des choses est d’arrêter de se mentir, c’est-à-dire arrêter de faire l’innocent, comme si fabriquer des armes pouvait être sans conséquences, et de s’imaginer que l’acheteur ne s’en s’en servira pas. Bien sûr, on peut toujours déplorer sincèrement qu’un régime autoritaire utilise les armes qu’on lui vend contre ses opposants, on peut toujours regretter que la construction d’un porte-avions ait vocation à permettre de tuer des civils au quatre coins du globe, mais la seule chose qu’on ne peut pas faire, c’est l’ignorer : vous acheteriez un paix chez le boulanger en vous jurant de ne jamais le manger ?