Le journal du professeur Blequin (159)

Mercredi 5 décembre

10h45 : Dans vingt jours, c’est Noël, j’espère qu’on n’aura pas une guerre civile comme cadeau ! En fait, je m’aperçois maintenant que, d’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu horreur du désordre : comme la plupart des « aspies », je supporte difficilement l’agitation et les changements de routine ; à l’école, j’étais souvent le seul à protester quand il y avait des bavardages dans la classe – c’est-à-dire, presque toujours. Adolescent, j’ai fait peu de manifestations, je mettais un point d’honneur à être en cours quoi qu’il arrive : le mouvement anti-CPE, je ne l’ai rejoint qu’au dernier moment, quand le renoncement de Villepin n’était déjà plus qu’une question de temps. Aujourd’hui encore, tout le monde me prend pour un rebelle mais je n’ai plus manifesté depuis le 11 janvier 2015. Alors maintenant, quand je vois tous ces mécontentements incompatibles entre eux, toutes ces revendications surréalistes, je ne vois pas comment ça pourrait marcher à long terme. Il y a quelques années encore, j’aurais sûrement appelé de mes vœux une insurrection populaire, mais à présent, je dois bien l’admettre : je ne crois plus au peuple ; quand on est de gauche, c’est aussi grave que le doute pour un chrétien. Mais on m’a traité trop de fois de sale bourgeois sous prétexte que je tenais un discours antiraciste ! Je ne suis pourtant pas un nanti, loin s’en faut, mais, tel Reiser, je suis trop individualiste pour avoir une « conscience de classe » : pour moi, un type qui vote RN, caillasse un symbole républicain ou dénonce des migrants à la police sera toujours un sale gros con, même s’il est financièrement dans la merde – la misère n’excuse pas tout. Je sais bien que tous les « gilets jaunes » ne sont pas des dégueulasses mais leur mouvement ne me dit rien qui vaille ; même s’il n’en ont pas conscience, ils sont une proie de choix pour l’extrême-droite : quand on demande la destitution d’un président élu démocratiquement, aussi contestable sa politique soit-elle, c’est rarement pour de bonnes raisons. Bref, le climat social actuel m’oppresse, j’en ai presque perdu le goût du dessin politique, et ça, c’est grave !

Jeudi 6 décembre

12h15 : Purée, l’extrême-droite entre au parlement d’Anadlousie ! D’accord, douze sièges sur le tas, ce n’est pas énorme, mais tout de même ! Je pensais qu’avec Podemos et le souvenir du franquisme, l’Espagne était à peu près vaccinée, mais apparemment, la connerie n’a pas de frontières ! Et arrêtez de me dire que les partis politiques « traditionnels » méritent d’être sanctionnés ! Ces néo-fachos ibériques s’en prennent aussi aux femmes, aux migrants et aux homosexuels : ils méritent d’être sanctionnés, ceux-là, peut-être ?

Vendredi 7 décembre

10h35 : Macron a finalement abandonné la taxe carbone, comme Hollande avait renoncé à l’écotaxe… Comment voulez-vous que l’écologie avance dans ces conditions ? J’espère au moins que cette annonce, faute de faire taire tout de suite la contestation, permettra une décrue de la violence qui s’est déchaînée ces derniers temps ! J’ai en mémoire l’interview d’une femme qui avait intégré le mouvement en jurant que les valeurs des « gilets jaunes » n’avaient rien à voir avec celle de Marine Le Pen ; j’espère bien qu’elle a raison car ils ne doivent pas perdre de vue qu’avec l’extrême-droite au pouvoir, ils n’auraient pas eu l’occasion de manifester, non pas parce qu’il n’y aurait pas eu de problèmes mais bien parce qu’ils n’auraient pas fait trois pas qu’ils auraient déjà fait face aux chars d’assaut…