Certaines, au robinet fébrile, débordaient au moindre mouvement. D'autres, d'un blanc éclatant, se rêvaient de colossales piscines ; leur eau clapotait doucement, peignant au plafond des nymphéas mobiles ; leur mitigeur offrait de subtiles variations de températures dont les courants frôlaient, telles d'arachnéennes tentacules, mon corps immobile.
Je me suis accommodée de chacune, même de celle en sabot dans laquelle je lisais, les pieds sur le mur, m'esquintant les yeux à la lumière grelottante du vieux néon. La taille, minuscule, de ce baquet d'un autre siècle me ravissait, à vrai dire, et je m'y installais comme dans un ventre à l'aube de ma naissance.
Les pires sont celles où l'on perd pied sans cesse. Couché, on glisse dans l'habitacle géant. A moins de crisper sa nuque sur le bord où elle repose, il n'existe aucun espoir de confort dans de telles baignoires. Les orteils se tendent, sans l'atteindre, vers le bord. De même, nulle pensée ne s'attarde. Fugaces, incertaines, les idées de noyade, la comptabilisation des ambitions déchues, la cohorte des échecs - impossible de s'abimer dans de pétillantes réflexions en pareille situation ! - se délitent avant de vous avoir offert, au moins, la satisfaction de les avoir cernées.
La plupart du temps, les oreilles pleines du silence résonnant de la salle de bain, je lis. Dès que l'eau refroidit je laisse couler un peu d'eau chaude. Les mots que je découvre, alors, se parent d'une chaleur que peut-être ils ne recèlent pas.
Ici, nous avons négocié d'avoir, de nouveau, une baignoire-sabot au lieu du bac de douche vétuste qu'il y avait depuis toujours. La seule solution pour m'y immerger est de mettre les fesses à la place des pieds et les jambes par dessus bord. Au fil des mois, j'ai peaufiné ma technique. Le plus important est de n'oublier aucun accessoire, savon, gant, peignoir, verre de vin afin n'avoir à s'extirper de là qu'au moment de sortir.
Il est rare que je me munisse d'une revue. L'immersion, se limitât-elle à mon postérieur, me porte vers des lectures plus profondes. Une fois, le livre est tombé dans l'eau. Lorsque je l'en ai retiré, les pages gondolées, dégoulinaient d'encre. Finalement, j'ai laissé l'ouvrage retomber et flotter avec moi. Baigner dans la littérature, c'est pour moi un délice.
Illustration : Ingres