A l’occasion des 35 ans de Canal+, notre ami Blequin ressort de ses cartons quelques réflexions sur les émissions qui ont fait la gloire de la chaîne à péage. Aujourd’hui : Ça cartoon.
« J’étais petit, j’avais pourtant de la jugeote », comme dirait Henri Tachan. Chaque dimanche soir, je me régalais avec Ça cartoon qui suffisait à me rendre moins abominable la perspective de retourner à l’école le lendemain matin. Je suis ensuite resté fidèle à ce rendez-vous dont j’avais suivi à peu près toutes les évolutions avec bienveillance, y compris l’arrivée de la craquante Ludivine, et il a fallu que Canal perde les droits des cartoons de la Warner pour que je décroche : je n’ai pas dû être le seul puisque l’émission s’est arrêtée à peine deux ou trois ans après ce tournant.
Mais là n’est pas le plus important : comme tous ceux dont l’enfance a échappé aux anime japonais et au rouleau compresseur de Disney grâce à Philippe Dana, j’ai bien sûr été bercé par l’ancien doublage des films des Looney Tunes. Mais contrairement à beaucoup d’anciens téléspectateurs de Ça cartoon, je n’ai pas la nostalgie de l’ancienne VF. En fait, quand le nouveau doublage est arrivé la fin des années 1990, j’ai réalisé que l’ancien avait été bâclé et était probablement dû à des jean-foutre qui partaient du principe qu’un dessin animé destiné aux gosses ne mérite pas un travail soigné : dans certains films, les dialogues étaient quasiment inaudibles, les traductions ne rendaient pas justice aux trouvailles géniales des scénaristes et les voix n’étaient pas toujours adaptées. Même la voix de Guy Piérauld, qui doubla Bugs Bunny pendant des années, ne trouve plus grâce à mes yeux ; non que je renie le bonheur qu’elle m’a apporté jadis, mais elle était trop solennelle pour un personnage qui était en fait assez impertinent : Piérauld aura fait parler comme Panoramix un lapin des rues de Brooklyn !
Rien qu’un exemple : dans un cartoon de 1950, réalisé par Bob McKimson, Bugs raconte sa vie par téléphone à un journaliste et en arrive naturellement à ses débuts sur scène avec Elmer Fudd. Au départ, le petit chauve cantonne le lapin à des rôles d’abruti qui se prend des tartes à la crème ou des jets d’eau dans la figure ; bien entendu, Bugs finit par se révolter et écrase son partenaire à coup de maillet sur scène, évidemment sans l’avoir averti. Furieux, Elmer braque Bugs avec son fusil, et le lapin, terrorisé, demande à son comparse : What’s up doc ? Le public réagit avec enthousiasme à cette trouvaille et c’est ainsi que Bugs a trouvé la phrase qui a fait son succès… Seulement voilà : dans le premier doublage français de ce cartoon, le traducteur, une vraie patate, a doublé What’s up doc ? par « Qu’est-ce qui va pas, mon vieux ? » Ah, la tâche ! D’accord, c’était proche du sens que prenait l’expression dans ce contexte : mais compte tenu que Bugs dit bien « Quoi d’neuf docteur ? » dans tous ses autres films, cette traduction imbécile rendait incompréhensible la séquence pour le public français ! Un traducteur qui aime un minimum les cartoons n’aurait pas fait une gaffe pareille…
Le nouveau doublage a rendu justice à la version originale : désormais, Bugs y dit bien « Quoi d’neuf docteur ? » et puis c’est marre ! Rien que pour ça, je me garderai donc bien d’être nostalgique de l’ancien doublage. En revanche, je revendique ma nostalgie de Ça cartoon… Sapristi Saucisse !