Vendredi 22 novembre
8h30 : Après deux jours de quasi-réclusion, je retourne à la fac où Lise Delmas soutient sa thèse sur l’œuvre photographique de Gordon Parks et la façon dont elle a contribué à faire évoluer la représentations des Noirs américains, non seulement chez les Blancs mais même chez les Noirs eux-mêmes. Au fil des échanges avec les jurés, la question qui fâche vient inévitablement, à savoir celle de la collaboration de Parks au journal Life, porte-parole historique de l’Amérique blanche : certains y voient une conquête, mais d’autres parleraient de récupération. En fait, c’est un débat vieux comme le monde : quand vous voulez changer la société quand celle-ci est caractérisée par des rapports de domination qui vous sont défavorables, vaut-il mieux alors faire des concessions avec les dominants et obtenir quelques menues victoires (qui suffisent néanmoins à ce que la différence soit sensible au quotidien), au risque d’y perdre son âme, ou alors vaut-il mieux refuser toute concession et n’avoir pour horizon que la victoire totale et définitive (ce qui n’est pas forcément un horizon indigne de respect), au risque de ne n’enregistrer aucune victoire à court terme ? Pour résumer, est-il plus important d’obtenir des résultats concrets ou de préserver sa pureté idéologique ? Chacun verra… En attendant, Lise a été reçue et c’est mérité : sans faire partie de ses intimes, je la connais suffisamment pour affirmer que c’est une brillante chercheuse.
13h45 : Je donne deux heures de cours sur l’histoire de la BD francophone. Les examens approchent, alors je ne plaisante plus : quand je vois un étudiant pianoter sur son smartphone, je le force à lire à voix haute la planche à analyser. Ah mais ! Ensuite, je les fais plancher pendant vingt minutes sur une planche de La jungle en folie : quand je recueille leurs réflexions à l’oral, j’ai la bonne surprise de les entendre dire des choses pertinentes. Comme quoi il ne faut pas désespérer de cette génération ! De toute façon, elle ne peut pas être tellement pire que celles qui l’ont précédée…
Samedi 23 décembre
15h : Visite au château de Brest, qui abrite le musée national de la Marine et accueille actuellement une exposition de travaux d’élèves de la filière marquèterie du lycée de l’Elorn consacrés au Razzle Dazzle, ce camouflage « disruptif » utilisé pendant la première guerre mondiale par les alliés et qui consistait à recouvrir un bateau d’arlequinades afin d’en « casser » les lignes et empêcher ainsi les sous-marins ennemis de déterminer précisément quelle direction il allait prendre. J’ignorais tout de la marquèterie avant de voir cette exposition et j’avoue que je n’en sais pas plus maintenant : en toute franchise, je ne comprends rien aux notices censées expliquer comment on peut procède ! Les fautes d’orthographe et de grammaire n’arrangent évidemment rien : que des lycéens en commettent, à la limite, c’est de leur âge, mais il me semble qu’on aurait pu corriger leurs textes avant de les accrocher dans un musée ! Que dire de leurs œuvres, où la silhouette de l’Abeille-Bourbon est revisitée à la sauce Razzle Dazzle ? Les marquèteries en elles-mêmes sont très jolies, même si je préfère celles en noir et blanc qui laissent plus de place à l’imaginaire du visiteur ; en revanche, les travaux préparatoires sont un peu kitsch ! De toute façon, ma visite est gâchée par un détail qui n’en est pas un et que je garde en travers de la gorge : les œuvres sont proposées à la vente au profit de la SNSM pour lui permettre d’acheter du matériel, et j’estime que l’Etat devrait débloquer des fonds pour cette société qui sauve des vies humaines au lieu de faire appel au mécénat privé ! A quand le sponsoring, tant qu’on y est ? Ils auront fière allure, les sauveteurs en mer, avec des canots bardés de logos McDonald’s ou Coca-Cola ! Là, pour le coup, ce seront eux qui demanderont à être camouflés : pas par sécurité, par honte !