Le journal du professeur Blequin (70)

Jeudi 19 mars

14h30 : Visite éclair de ma maman chérie qui vient me ravitailler. Je ne peux même pas l’embrasser, quelle pitié… Mais ce n’est encore rien comparé à ce qu’elle me dit de son passage au supermarché : elle n’a pas trouvé tout ce qu’elle cherchait parce que ses concitoyens ont déjà pratiquement dévalisé le magasin ! Et ce n’était qu’à Guilers qui n’est qu’une petite commune périphérique… Ces gens qui se jettent comme des hyènes sur les provisions comme si le virus allait les leur bouffer… Je ne trouve pas de mots pour qualifier ça ! Quelle mentalité de collabo ! Les périodes de crise ont la vertu de révéler la vraie personnalité (je n’ose pas écrire « nature ») des gens : pendant que certains se dévouent pour soigner les malades, d’autres ne pensent qu’à se remplir le bide. Comme disait Quino, l’humanité ne devrait être imprimée que d’un seul côté !

Vendredi 20 mars

9h30 : Je me lève ; comme personne ne m’attend, je ne vais pas non plus me lever aux aurores… J’ouvre mon volet : mon premier regard se pose sur le jardin des voisins où je distingue deux pigeons qui picorent tranquillement… Forcément : le virus, les oiseaux n’en ont rien à foutre et le confinement fait leur affaire : moins on rejette de CO², mieux ils se portent. Ils doivent se demander pourquoi les hommes leurs foutent soudainement la paix…

Samedi 21 mars

11h : J’ai reçu un mail d’une amie qui habite dans une station balnéaire de Normandie. Elle n’a pas de scènes d’apocalypse à me donner, mais son récit est quand même édifiant : elle dit qu’ils ont vu arriver une foule de Parisiens qui « se pensent en vacances, ne respectent rien ni personne et surtout pas les mesures gouvernementales ». Apparemment, le virus ne tue pas les cons ! Quelles que soient les circonstances, il y a des gens qui s’obstinent à croire que tout leur est dû et les clivages sociaux ne sont absolument pas solubles dans les périodes de crise ! Ce genre d’attitude risque d’exacerber la méfiance de la « Province » (si vous n’aimez pas ce mot, sachez que moi non plus, alors si vous trouvez mieux, faites-moi signe) envers la capitale, ce qui ne me dit rien dit qui vaille à long terme…

15h : Brève sortie pour acheter du pain. Peu de gens dans la rue, pas même un flic pour voir si j’ai bien mon attestation sur moi, j’aurais pu sortir sans. Une dame fouille dans une poubelle : particulière qui trie ses déchets ou clocharde en quête d’improbable trésor ? Difficile à savoir : je me réjouis d’avoir à nouveau les deux poubelles dans mon immeuble et de ne pas devoir me livrer en public à ce genre d’activité qui peut prêter à confusion… La boulangerie est ouverte, la vendeuse porte un masque, de même que la cliente qui passe après moi : si elles ont déjà une pathologie quelconque, après tout, pourquoi pas… Je passe devant le bureau de tabac sans y entrer, le parcours a été balisé à l’attention des clients : pourtant, les cigarettes qui y sont vendues tuent plus de monde que le coronavirus ! On sauverait bien plus de vies en cessant carrément de vendre des clopes ! Bon rétablissement aux malades quand même, puisqu’il y en a.