Se dire que Mulhouse est désormais considérée comme la lointaine banlieue de Wuhan, qui aurait formulé cette évidence, ne serait-ce qu’il y a deux mois ? La durée de vol entre Paris et Wuhan est d’environ 11 heures, soit à peu près le temps qu’il faut, en voiture, pour aller de Lille à Nice. Ce « village mondialisé », si cher à notre civilisation, nous l’avons tant voulu et nous l’avons obtenu : youpi ! Par conséquent, il est aussi simple d’acquérir un téléviseur 8K qu’un virus mortel, mince, on ne l’avait pas prévu.
Évidemment, je ne suis pas de ceux qui appellent à la fermeture stricte des frontières et je n’aboie pas avec ceux qui hurlent sur le Pouvoir parce qu’il n’avait rien anticipé : ce sont souvent les mêmes personnes d’ailleurs. Si au moins une vertu pouvait se dégager de cette catastrophe, eu égard à ceux qui souffrent, ce serait l’humilité. Nos élites ne savaient pas, nos gouvernants ont été dépassés par la situation, nos scientifiques font face à un virus d’une force inédite, nous étions collectivement et individuellement dans le déni et toute une série de mauvaises décisions a été prise. Il faut juste l’admettre, point. Et, espérons-le, en tirer les enseignements.
Je me revois, le vendredi 13 mars, faire un check affectueux à mes adversaires après un joli match de badminton, tout en envisageant la situation de la Chine, de loin, avec effroi, et en prophétisant que ça n’arriverait pas chez nous. Mauvaise décision, j’ai fait courir un danger aux autres ce soir-là. « On rejoue demain les copains ? » Le 14 mars, le gymnase était fermé. Le 16 mars : tous à la maison.
Tiens ! Nous sommes passés à l’heure d’été cette nuit. Bullshit. J’ai du mal à savoir quel jour nous sommes, alors… « Vous avez passé un bon week-end ? » devient aussi une expression aussi vintage que le Minitel. La semaine se redéfinit par le jour où je dois aller à l’hypermarché, mais toutefois, comme repère, c’est assez approximatif car les points de vente alimentaires sont ouverts du lundi au dimanche.
D’ailleurs, ma dernière visite dans un magasin m’a laissé la trace d’un contraste assez savoureux, car après avoir été martialement filtré à l’entrée, les premières choses que j’ai vues furent des animaux en chocolat. Poules et lapins alignés par centaines dans la zone promotionnelle saisonnière, comme autant de promesses d’achats d’impulsion. Attendez, j’étais venu pour des pâtes, moi. J’ai perdu la notion du temps ; effectivement, c’est bientôt Pâques et je dois planifier une chasse aux œufs confinée. Mais on est où là ?
Est-ce que l’on parle du Lapin de Pâques à Wuhan, est-ce que les enfants de Mulhouse auront le cœur à dénicher des chocolats dissimulés, est-ce que Covid-19 s’attaque aussi à l’émerveillement des petits qui attendent ce moment avec tant d’impatience ?