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Révolution douce (nouvelle)

Publié le 05 avril 2020 par Legraoully @LeGraoullyOff
Révolution douce (nouvelle)

http://legraoullydechaine.fr/2020/04/05/revolution-douce-nouvelle/

Ceci est une fiction.

Ce soir-là à l'Élysée, l'extinction des feux avait été programmée de bonne heure ; le président de la république et son épouse s'étaient mis d'accord pour se coucher tôt : on a beau être chef d'État, quand tout est fermé et qu'il n'y a rien d'intéressant à la télé, il ne sert à rien de veiller tard. Au lit, juste avant d'éteindre la lumière, notre jeune président ne pouvait dissimuler une angoisse qui n'échappait pas à sa maternelle épouse :

- Tu as l'air inquiet, mon Manu !

- Il y a de quoi, ma chérie : demain, j'ai promis de sortir une heure dans les rues de Paris pour redonner du courage aux Français !

- Allons, Manu, ne stresse pas : il suffit de mettre un masque et d'éviter les contacts...

- C'est pas du virus dont j'ai peur, Brigitte, c'est de l'opinion ! Si je n'ai pas une bonne nouvelle à annoncer bientôt aux gens, ils vont devenir terribles !

- Qu'est-ce que ça peut faire, puisqu'ils ne pourront pas sortir ?

- Mais Brigitte, ils vont accumuler la rancœur, et dès que le confinement sera levé, ils seront enragés ! Je vais me retrouver avec les gilets jaunes puissance dix mille !

- Mais non, chéri, ne t'inquiète pas avec deux mois d'avance ! Tu verras, demain, tout se passera bien ! Et puis, qui sait, peut-être qu'une bonne nouvelle sera arrivée entretemps ! Allez, dors.

Et Emmanuel Macron éteignit la lumière, modérément réconforté par les paroles de sa femme et pensant que décidément, " tonton François ", son prédécesseur, ne lui avait pas tout dit...

La nuit passa comme un TGV à travers un champ de betteraves quand, tout à coup, le président de la république fut réveillé en sursaut par une sonnerie inattendue et pourtant familière : celle de son téléphone portable. Ouvrant les yeux avec peine, il constata qu'il n'était que sept heures du matin ; il avait pourtant bien demandé à ce qu'on ne le réveille qu'à neuf heures, au cas où il n'aurait pas entendu son réveil ! Il saisit son mobile et vit sur l'écran le nom " O.Véran " : c'était donc son ministre de la santé qui l'appelait ! Bon sang, avait-il une nouvelle catastrophe à lui annoncer ? Ce n'était vraiment pas le jour ! Le cœur battant, il décrocha, porta l'appareil à son oreille et émit un sobre " allô " coupé par l'angoisse, auquel répondit, à sa grande surprise, une voix tonitruante de joie :

- Monsieur le président, ça y est ! C'est fini ! La pandémie est passée, il n'y a plus aucun risque !

- Hein ? Olivier, c'est une plaisanterie ?

- Mais pas du tout ! Les médecins sont tous formels, il n'y a plus de danger ! On peut lever totalement le confinement !

- C'est sûr ?

- Absolument certain ! On n'a plus enregistré de nouveau cas depuis dix-huit heures, les hôpitaux se vident déjà à la vitesse de la lumière !

- Mais... Mais c'est génial ! Il faut le dire aux Français ! Tenez, je devais justement sortir : je vais descendre moi-même dans la rue pour leur annoncer directement la nouvelle ! Appelez les télés et les radios, il faut qu'elles retransmettent en direct cet événement historique : le président de la république qui vient ouvrir lui-même les portes de ses concitoyens pour leur redonner la liberté de circuler ! J'imagine déjà les scènes de liesse populaire, la marée humaine qui se déverse des maisons !

- Très bonne idée, monsieur le président ! Je me charge de les prévenir les journalistes !

- Oui mais attention : dites-leur bien que rien ne doit filtrer, c'est moi qui doit faire l'annonce et personne d'autre ! Si quelqu'un vend la mèche, il sera grillé dans la profession !

Le ministre assura le chef de l'État que les dispositions nécessaires seraient prises puis raccrocha. Le président de la république rayonnait d'un sourire béat quand il fut ramené sur terre par son épouse, réveillée à son tour, qui lui demanda en étouffant un bâillement :

- Manu, qu'est-ce qui se passe encore ?

- Brigitte, je vais être réélu pour mille ans !

À dix heures et quart, tout était prêt pour l'événement médiatique : le président était déjà dans une rue de Paris, muni d'un passe-partout qui allait lui permettre d'ouvrir en grand les portes des maisons particulières afin d'y crier la bonne nouvelle. Il était tellement sûr que les gens allaient lui sauter au cou qu'il n'avait même pas de protection policière ; il n'était entouré que de journalistes de radio et de télévision qui allaient prendre l'antenne dans un quart d'heure afin de retransmettre en direct cette scène mémorable chez tous les Français, encore confinés dans leurs foyers, et qui ne s'y attendaient sûrement pas, la consigne de ne rien laisser filtrer ayant été scrupuleusement respectée.

Tous étaient fébriles : il tardait au chef de l'État de prendre le bain de foule auquel il s'attendait et les journalistes se réjouissaient déjà de l'indice d'audience spectaculaire qui leur était servi sur un plateau. Le temps leur avait paru long au cours du confinement mais ce n'était rien par rapport à ce quart d'heure qui leur semblait interminable : dès dix heures trente, le président allait foncer vers la première porte et l'ouvrir, et ils allaient prendre immédiatement l'antenne pour retransmettre la liesse incoercible des Français portant aux nues celui qui leur rendait leur liberté après cette dure épreuve... Ce n'étaient plus des étoiles qu'ils avaient dans les yeux, mais des galaxies entières !

Emmanuel Macron surveillait nerveusement sa montre, son passe-partout à la main, prêt à l'emploi : dix heures vingt-cinq, plus que cinq minutes...

Les téléspectateurs de France 2 furent bien étonnés de voir leur feuilleton brusquement interrompu par une édition spéciale ! Mais il n'aurait servi à rien de zapper, toutes les chaînes avaient " cassé " leur grille pour retransmettre l'événement. Une fois passé le générique bien connu, Anne-Sophie Lapix, telle Vénus, sortit de l'ombre, plus radieuse que jamais, et prit la parole :

" Mesdames et messieurs, bonjour ! Nous interrompons votre programme pour une annonce de la plus haute importance : le ministère de la santé vient d'annoncer officiellement la levée totale du confinement, rendu inutile par la fin de l'épidémie de coronavirus, confirmée par le corps médical unanime. À l'heure où je vous parle, le président de la république est lui-même en train d'annoncer officiellement la bonne nouvelle aux habitants de la capitale. Tout de suite, pour découvrir l'ambiance qui règne dans les rues de Paris, nous retrouvons Quentin Bucquoy. Quentin ? "

Un jeune reporter, sans doute encore un stagiaire, apparut à l'écran, l'air visiblement embarrassé : en son for intérieur, la séduisante présentatrice du journal de France 2 mit cette attitude sur le compte du trac du débutant. Mais il s'avéra très vite qu'il devait s'agir d'autre chose ; l'ambiance de la rue où se trouvait le journaliste n'était pas tout à fait celle à laquelle on s'attendait :

" Heu... Oui, Anne-Sophie, heu... Le président Emmanuel Macron a déjà ouvert les portes de quinze maisons d'une même rue... Mais... Comment vous dire ça... Pour le moment... Personne n'est encore sorti ! "

En effet : un rapide mouvement de caméra révéla que les rues étaient à peu près aussi vides que la veille. On n'y voyait que le chef de l'État qui s'égosillait devant les portes qu'il venait d'ouvrir mais dont ne sortait aucun individu ni même une simple réponse à ses exhortations qui, sous l'effet de l'impatience, devenaient presque menaçantes : " Oh ! Oh ! Vous pouvez sortir ! Le confinement est levé ! Le corona est parti ! Y a plus de danger ! C'est pas une blague, je vous jure ! Mais répondez, enfin quoi ! Sortez, soyez contents ! Au nom des pouvoirs qui me sont conférés, je vous ordonne de sortir de chez vous ! Enfin, dites-moi quelque chose, au moins ! Ça vous écorcherait la... " Le président n'eut pas le loisir d'être grossier, un autre s'en chargea pour lui ; il fut interrompu par un cri émanant d'une maison : " Oh, ça va, on a compris, pas la peine de gueuler comme un putois ! "

Cette réplique peu amène au garant de la constitution rassura ceux qui avaient brièvement imaginé que tout le monde était déjà mort ; mais elle épaissit le mystère : cette réaction n'avait qu'un lointain rapport avec la liesse spontanée à laquelle on s'attendait ! Et puisque les gens étaient vivants, pourquoi ne sortaient-ils pas ? Un ange passa. Emmanuel Macron regardait avec des yeux de merlan frit la maison d'où était sortie cette réponse inattendue, quand elle fut enfin suivie par l'être qui l'avait vraisemblablement proférée : c'était un petit homme rond et moustachu, plutôt dégarni, dont les rares cheveux avaient manifestement poussé pendant le confinement au point de frôler ses épaules et dont l'embonpoint s'était aggravé, laissant dépasser son ventre de son survêtement bon marché. Cet individu qui avait tout du Français moyen n'accorda au président de la république qu'un regard des plus indifférents et lui présenta les excuses qui étaient d'usage en pareil cas, sur un ton d'une neutralité à rendre jalouse la Suisse : " Bon, je m'excuse monsieur le président... Vous comprenez, il n'y a pas longtemps que je suis réveillé, la grasse matinée, tout ça... Enfin, sauf le respect que je vous dois, c'est pas des façons de crier comme ça sous les fenêtre des gens, quand même... Enfin, vous êtes le président... Bon, je m'excuse encore, le bonjour à votre dame. Au revoir. "

Le particulier tourna le dos, déjà prêt à claquer la porte au nez du chef de l'État, mais ce dernier voulait avoir le fin mot de cette scène abracadabrante :

- Attendez ! Je ne sais pas si vous m'avez bien compris : je vous annonce que le confinement est levé et que vous pouvez sortir de chez vous !

- Oui ben je vous ai entendu, je suis pas sourd !

- Mais... C'est tout l'effet que ça vous fait ?

- Ben qu'est-ce que vous voulez que ça me fasse ?

- Mais enfin, vous pouvez à nouveau circuler dans les rues librement, sans attestation ! Pourquoi vous n'en profitez pas ?

- Oh, j'en profiterai tout à l'heure, y a pas urgence...

- Vous... Vous n'allez même pas dans les magasins ?

- Écoutez, dit l'homme qui commençait à perdre patience : pourquoi faire ? Vous pensez bien qu'on avait pris nos précautions, on est pas cons ! Avec ma femme, on a encore de quoi tenir un siège, on fera les courses quand il faudra, c'est tout !

- Non, mais je veux dire : vous pouvez aller acheter autre chose que des produits de première nécessité ! Des voitures, des téléviseurs, des smartphones...

À ces dernières paroles du président, son interlocuteur prit subitement l'expression du débatteur qui se sentait dominer l'adversaire ; Emmanuel Macron venait de tomber dans un piège qu'on ne lui avait même pas tendu ! Triomphant, le particulier attrapa la mouche en plein vol :

- Ah, d'accord ! Parce que vous vous imaginez qu'après ça, on va se remettre à surconsommer bêtement, comme des cochons dans leur bauge ? C'est vrai qu'avant le confinement, je prévoyais d'acheter une voiture neuve, un écran plasma et un smartphone dernière génération : mais ça, c'était avant ! Je me suis aperçu que ma vieille R19 roule encore comme il faut, que les conneries de la télé ne méritent pas d'être distinguées plus nettement que sur mon vieux poste et que j'entends déjà assez bien mes amis sur mon bigophone à touches ! Alors la consommation effrénée, c'est fini pour moi !

- Moi aussi, lança un jeune homme qui venait de sortir d'un petit immeuble situé à proximité : je mettais de l'argent de côté pour devenir propriétaire mais j'ai pris le temps de calculer : pour avoir la maison dont je voudrais, il me faudrait rembourser un crédit quasiment jusqu'à la fin de mes jours ! Alors dans ces conditions, autant rester locataire !

- Et moi, cria une autre voisine, je claquais un fric fou dans un club de gym pour garder la ligne : avec le confinement, j'ai pris vingt kilos et vous savez quoi ? Mon mari me préfère comme ça ! Mes rondeurs lui ont rendu sa libido de jeune marié ! J'ai appris à m'aimer comme je suis, pas comme je devrais être d'après les canons de la beauté ! Alors plus question d'aller gaspiller mes sous pour me faire gueuler dessus par une pétasse maigre !

- Et moi, ajouta une vieille dame, j'ai réappris à faire mon potager : c'est pas demain qu'on me reverra acheter les saloperies pleines de pesticides des supermarchés !

Le président de la république était dérouté mais devait bien reconnaître l'évidence : ce n'était pas avec des perspectives de consommation effrénée qu'il allait faire naître sur ces gens la mine réjouie à laquelle il s'était attendu. Il tenta de reprendre l'initiative : " Mes chers compatriotes, je vous prie ! Vous avez décidé de... Hum, disons, de faire des économies et c'est votre droit, mais.... Vous devrez bien sortir pour aller travailler... " À peine avait-il dit ces mots qu'un grand rire irrespectueux s'échappa d'une demeure à laquelle le chef de l'État tournait le dos ; les regards se tournèrent vers l'occupant des lieux, un petit homme hirsute en maillot de corps et au pantalon maculé de terre, qui prit la parole à son tour :

- Sortir pour travailler ? Hé, je suis au chômage depuis six ans ! Mais je m'en fous, maintenant : j'ai fait comme la vieille, mon jardin, j'en ai fait un potager ! Je vendrai mes légumes au marché ! Et j'aurai reconquis ma dignité tout seul, sans qu'aucune de vos réformes à la noix y soit pour quelque chose !

- Moi pareil, rebondit une jeune voisine : ma boîte a fait faillite pendant le confinement et c'est tant mieux ! J'étais en train de gâcher ma jeunesse, à faire des saisies sur un ordinateur et à subir les discussions lourdingues de mes collègues ! Mais maintenant, c'est fini : je me suis mise à la poterie et je vais faire de ma maison une boutique d'artisan !

- Exactement, enfonça une autre jeune femme : puisqu'on peut travailler de chez soi, sans se taper deux embouteillages par jour, on va pas se gêner ! Puisqu'on a plus d'emplois, on va en profiter pour avoir à nouveau des métiers !

- Attendez, reprit le président, effaré : vous allez vivre en autarcie ? Vous n'allez plus sortir de vos villes ?

- Tout à fait, répondit un vieillard, digne mais rigolard, qui s'était posté sur le seuil de sa maison : l'air est redevenu aussi pur que quand j'étais jeune, ne comptez pas sur moi pour le re-saloper en prenant ma voiture pour un oui ou pour un non ! Et puisque les eaux se sont clarifiées, j'irai pécher dans la Seine ! Profitez-en pour y jeter le corps de ce pollueur de Chirac, il aura enfin tenu sa promesse de s'y baigner !

- Mon papy a raison, ajouta une jeune fille qui venait de rejoindre son grand-père : puisque notre ville redevient agréable à vivre, on ne la quittera plus !

- Mais enfin, réessaya en désespoir de cause le chef de l'État, vous ne voyagerez même plus à l'étranger ? Une jeune fille comme vous, ça...

- Ça me broute, répondit la demoiselle : se niquer le dos dans un charter, affronter les douaniers soupçonneux, visiter un pays en cinq jours puis rentrer encore plus fatiguée qu'à l'aller, j'y ai déjà goûté, merci ! On veut un pays où il fait bon vivre et qu'on n'a plus envie de quitter !

La rue s'était peu à peu repeuplée mais on était loin des torrents de foule enthousiaste espérés : les gens se félicitaient de la perspective de revoir leurs amis, mais ils étaient aussi convaincus d'avoir acquis pendant le confinement de saines habitudes qu'ils ne voulaient pas abandonner. Non seulement Emmanuel Macron n'était pas porté aux nues par son peuple mais il vivait en temps réel le désaveu complet du modèle économique qu'il avait toujours défendu ! Complètement dérouté, il joua sa dernière carte pour se tirer avec dignité de cette épreuve :

- Françaises ! Français ! Mes chers compatriotes ! Vous avez visiblement décidé de... De vous prendre en main. C'est très bien, je vous approuve ! La France est un pays libre ! Mais dites-moi : dans ces conditions, qu'attendez-vous désormais du gouvernement ?

- C'est simple, répliqua le moustachu converti à la décroissance : augmentez les salaires des personnels hospitaliers et donnez-leur de vrais moyens, qu'ils puissent faire face efficacement à la prochaine épidémie !

- Et pareil pour les enseignants, ajouta la femme qui avait renoncé à la gym : maintenant, au moins, on sait ce que c'est, s'occuper de l'instruction des enfants !

- Et si vous n'avez pas assez d'argent, proposa la jeune fille dégoutée des voyages, coupez les vivres aux équipes sportives nationales ! Surtout aux footballeurs ! Ils ont bien assez des sponsors pour se goinfrer ! On n'est pas des macaques, on peut se passer de coupe du monde !

Il n'y a pas si longtemps, de telles paroles auraient valu à la donzelle de se faire lyncher en place publique sans autre forme de procès ; mais là, bien au contraire, l'assistance applaudit à tout rompre ce discours hostile au sport-spectacle ! Emmanuel Macron comprit qu'un grand tournant s'était produit dans l'opinion publique et déclara, pour ne pas perdre la face : " Au nom de la France, je m'engage à vous apporter satisfaction ! " Ce n'est qu'après avoir prononcé ces paroles qu'il se rappela subitement qu'une foule de journalistes le suivaient et que ni les caméras ni les micros n'avaient été coupés : les médias n'allaient pas rater une miette de ce spectacle extraordinaire ! Le chef de l'État réalisa donc trop tard que sa déclaration venait d'être retransmise en direct sur toutes les radios et toutes les télés nationales, que tous les Français l'avaient entendu...

Deux mois plus tard, le désert du confinement n'était plus qu'un souvenir : les rues étaient pleines de manifestants qui n'avaient de cesse de rappeler ses promesses au président ; les augmentations consenties à ce jour par le gouvernement leur paraissant insatisfaisantes, les infirmières et les enseignants défilaient dans toutes les grandes villes de France. Les cortèges étaient pacifiques mais incroyablement denses car presque toutes les couches sociales se joignaient aux fonctionnaires protestataires, y compris les forces de l'ordre.

Comprenant qu'il serait obligé de céder et donc de renier tout ce en quoi il avait cru, Emmanuel Macron, retranché dans son bureau, appela ses homologues étrangers, espérant que les nouvelles de l'extérieur seraient meilleures. Mais il dut vite déchanter : en Italie, les Vénitiens avaient renoncé à accueillir les touristes et s'étaient reconvertis dans la pèche, les canaux s'étant repeuplés de poissons ; en Grande-Bretagne, Boris Johnson n'avait plus aucun argument contre les autonomistes écossais et la reine s'était suicidée en apprenant que les sondages donnaient le " oui " à l'indépendance de la république d'Écosse gagnant à 75% ; aux États-Unis, la NRA s'était dissoute d'elle-même, les armes étant désormais inutiles, et Donald Trump, dégoûté, envisageait sérieusement de ne pas se représenter ; en Chine, le pouvoir avait dû céder à toutes les exigences de la population, même l'armée n'obéissant plus aux ordres, et presque toutes les exportations étaient annulées ; en Russie, Vladimir Poutine risquait de perdre les élections, la population ayant appris à assurer son train de vie par ses propres forces sans rien devoir au pouvoir...

Bref, partout dans le monde, les populations renonçaient d'elles-mêmes à un mode de vie dont l'absurdité leur était enfin apparue dans toute son évidence. Le président de la république française comprit que la pandémie de coronavirus avait précipité l'avènement à l'échelle mondiale du pire cauchemar de tout chef d'État : la révolution douce. Le monde était en train de changer sans que le pouvoir y soit pour quoi que ce soit, simplement sous l'effet du bon vouloir de la population, et les dirigeants ne pouvaient rien y faire pour la bonne raison qu'aucun acte illégal ou même dangereux n'était commis ; la révolution douce est plus redoutable pour les gouvernants que la révolution violente, tout simplement parce qu'on ne peut pas la réprimer ! Emmanuel Macron avait beau être encore jeune, il se sentait déjà trop vieux pour ce monde auquel il n'avait pas été formé pendant ses études d'économie : il aurait finalement préféré de loin " les gilets jaunes puissance dix mille " dont il aurait encore su se défendre ! Son premier ministre envisageait sérieusement de démissionner, il se demandait s'il n'allait pas devoir en faire autant... C'est alors que son téléphone portable sonna : il décrocha machinalement, sans même regarder qui l'appelait :

- Allô ?

- Il est neuf heures, monsieur le président.

- Neuf heures ? Comment ça ?

- Oui, monsieur le président : il est neuf heures, vous m'avez-vous-même demandé de vous réveiller à cette heure-ci au cas où vous n'entendriez pas le réveil...

Il fallut une bonne minute au chef de l'État pour réaliser qu'il n'était pas dans son bureau mais dans sa chambre et que, comme dans toute nouvelle de troisième zone, tout ceci n'avait été qu'un cauchemar. Désormais, il était tout à fait rassuré : muni d'un masque, accompagné de deux policiers et suivi d'une troupe de journalistes, il marchait paisiblement dans une rue de Paris vide de toute présence humaine et pouvait voir, derrière les fenêtres, tous ces braves gens qui trépignaient d'impatience de pouvoir à nouveau se ruer dans les magasins pour y acheter des trucs chers et inutiles, s'entasser dans leurs voitures pour perdre sept heures de leur vie par jour dans les bureaux et, surtout, encourager l'équipe de France de football plutôt que ces " salauds de fainéants de fonctionnaires "...

" Vive la France ", se disait-il, pleinement confiant en l'avenir quand, subitement, il sentit une curieuse texture sous son pied gauche et s'enquit :

- Dans quoi ai-je marché ?

- Je crois, répondit un policier, que c'est une crotte de sanglier, monsieur le président : ils ont investi les villes, avec le confinement... Vous voulez un mouchoir pour essuyer votre chaussure ?


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