http://legraoullydechaine.fr/2020/05/12/le-journal-du-professeur-blequin-90-ma-premiere-sortie-post-confinement-2/
Lundi 11 mai12h : Je constate que la friterie où j'ai mes habitudes est ouverte ; bien entendu, on ne peut y acheter que des mets à emporter. Je décide de m'offrir un cornet de frites histoire d'agrémenter mon pique-nique : je n'avais plus mangé de frites depuis des semaines et, avec ce froid, il est réconfortant de bénéficier d'un aliment chaud. De toute façon, il faut que je prenne des forces pour le chemin du retour. Tout en faisant la queue et en attendant d'être servi, je suis impressionné ; je repense à l'organisation du Bureau Vallée et du bureau de poste dont je sors, et la friterie conforte mon constat : nous, êtres humains, sommes des créatures d'une adaptabilité inouïe. Pour le meilleur et pour le pire, nous arrivons à nous adapter à bien des imprévus, y compris les plus catastrophiques... Prétendre que ça me réconcilie complètement avec mes semblables serait exagéré, mais ça m'évite de les haïr irrémédiablement : c'est déjà bien.
12h40 : Après un bref bivouac sur la place de la Liberté, j'ai déjà repris la route. Il fait trop froid pour rester immobile, et puis il n'y a rien de mieux que la marche pour digérer : c'est en tout cas ce que je me dis en n'éprouvant pas de problèmes majeurs pour marcher malgré le repas assez copieux que j'ai ingurgité. Au niveau de Saint-Martin, je vois passer, emporté par le vent, un numéro de L'express avec, en couverture, les portraits de divers médecins médiatiques dont Cymès et Raout (sic.) et, pour titre, une question que je restitue de mémoire : les médecins ont-ils pris trop de pouvoir ? Visiblement, la pandémie n'a pas arrangé la presse sur papier glacé...
13h : Je passe au niveau de Kerichen. Dans ce quartier, il y a la maison d'une de mes anciennes profs et, surtout, mon ancien lycée. Je pense un instant m'offrir une nouvelle pause en rendant visite à l'enseignante, mais je me ravise : à supposer qu'elle soit chez elle, il aurait peut-être été déplacé que je la dérange à l'heure du déjeuner, surtout avec un chargement qui doit me faire passer pour un réfugié... Je renonce aussi à rendre visite à mon ancien CPE au lycée : ça doit déjà être assez éprouvant de reprendre le travail dans de telles conditions... Je me borne donc à faire un crochet dans une supérette pour y acheter des bananes et des tomates cerises : dès mon entrée, la caissière me dit quelque chose que je ne comprends pas, à a cause de son masque. En me rapprochant, je l'entends me demander de laisser mon sac à dos et mon cabas à côté de sa caisse. Je m'exécute de bonne grâce en me disant qu'il ne faudra pas sous-estimer l'influence du masque sur les problèmes de communication post-confinement...
13h30 : Il y a une belle côte à gravir pour atteindre mon quartier. Je fais une pause et, n'y tenant plus, j'ouvre mon paquet qui doit contenir un numéro de Fluide Glacial contenant encore à ma collection. Je le feuillette et constate qu'il est en bon état... Sauf qu'il y manque une page ! Ce n'est pas la première fois que je me fais avoir ainsi, mais j'avoue mettre cette désagréable découverte sur le compte de le simple négligence que sur celui de l'escroquerie pure : à tous les coups, ma vendeuse, qui n'est pas une professionnelle, n'a pas vérifié en détail l'état de la revue avant de la mettre en vente et s'est laissée abuser par la couverture qui est effectivement impeccable... Mais entre la négligence et l'arnaque involontaire, la différence est de nature, pas de degré : elle n'est pas moins excusable à mes yeux !
14h : Me voilà rentré au bercail, chargé comme un mulet, mais bien content d'avoir enfin pu me dégourdir les jambes une bonne fois. Je ne suis même pas fatigué, au contraire. Seule ombre au tableau : les sbires de Nicolas Dupont-Aignan ont collé des affiches dans mon quartier... Nous sommes à peine déconfinés qu'ils viennent déjà nous casser les burnes ! Les nationalistes n'ont aucune pudeur, c'est même à ça qu'on les reconnaît ! Mais patience, j'ai bien l'intention de les arracher dès que l'humidité aura ramolli la colle... Et puis il faudra plus que ça pour assombrir ma bonne humeur : c'est que la marche, je ne me contente pas de la becqueter du bout des lèvres, je dois pouvoir m'en goinfrer sans modération ! Je ne me serais en aucun cas contenté de la malheureuse heure de marche quotidienne qui nous était allouée jusqu'à présent, et cette journée dédiée à Saint Ripaton n'était pas de trop pour rattraper le temps perdu !
18h : Le colloque sur la caricature auquel j'étais censé participer en octobre a été reporté ; non que les organisateurs soient pessimistes à ce point, mais comme la plupart des intervenants viennent de l'étranger (de la Chine et des Etats-Unis, par exemple), il faudrait déjà être sûr que les voyages internationaux redeviennent possibles à temps... De toute façon, comment faire des réservations en ce moment ? C'était, j'espère, la dernière d'une longue série de reports et d'annulations qui m'ont quelque peu cisaillé le moral ! Heureusement, une bonne nouvelle en chasse une autre : le Collectif Synergie envisage de maintenir la rencontre prévue le 7 juin où je pourrai présenter mon travail... L'espoir renaît.