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Le journal du professeur Blequin (136)

Publié le 28 novembre 2020 par Legraoully @LeGraoullyOff
Le journal du professeur Blequin (136)

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Le journal du professeur Blequin (136)Samedi 21 novembre

16h : Un de mes contacts m'envoie un document qui constituerait la " preuve " que " tout " serait programmé : le problème, c'est que les noms des personnes censées l'avoir adressé aux préfets de région sont biffés, de sorte qu'aucun individu ni aucun organisme ne peut faire de démenti ; le document est donc infalsifiable et ne saurait constituer une preuve de quoi que ce soit... De toute façon, le ton avec lequel il a été rédigé me parait un peu trop naïf... Bref, après être resté décontenancé pendant quelques secondes, je suis à peu près certain que c'est un faux. Toutefois, je préfère ne pas en discuter plus avant avec la personne qui me l'a adressé car je sais que contredire un(e) complotiste est une perte de temps, toute critique adressée à ses théories étant envisagée comme une preuve de soumission aux puissants voire de complicité avec eux : j'y ai suffisamment eu droit pendant l'affaire Dieudonné, ça m'a suffi !

Dimanche 22 novembre

15h : De plus en plus fatigué, moralement et physiquement, je prends une pause pour lire le dernier livre d'Amélie Nothomb ; ça s'appelle Les aérostats et ça raconte l'histoire d'une jeune étudiante en philologie qui accepte, en échange d'un salaire appétissant, d'initier à la lecture un fils de riche dont les notes en français sont catastrophiques : elle y réussit tellement bien que le jeune garçon finit par commenter les grands classiques de la littérature d'une manière " politiquement incorrecte " et pourtant judicieuse. Ainsi, à la page 88, sur La métamorphose de Kafka, il dit ceci :

" C'est un livre sur le sort réservé à l'individu aujourd'hui. (...) En être réduit à se terrer comme une vermine blessée, à la merci du premier prédateur venu, c'est-à-dire de presque tout le monde, ce n'est pas réservé aux adolescents. "

Une telle citation prend bien sûr, dans le contexte actuel, une curieuse résonance, d'autant qu'il est à peut près certain qu'Amélie Nothomb a écrit ça avant même que l'épidémie n'atteigne l'Europe... En fait, ces confinements ne sont que la partie émergée d'une mentalité qui s'accommode de moins en moins des comportements différents de ceux de la majorité et qui attend d'autrui qu'il se conforme à ce qu'il envisage à une norme perçue comme intangible... Tout ceci pour dire : on peut bien faire la fine bouche et ergoter sur sa prodigalité scripturaire, Amélie Nothomb n'en est pas moins la meilleure romancière francophone de notre époque. Tant pis pour ceux qui s'arrêtent à quelques accidents de parcours.

Le journal du professeur Blequin (136)Lundi 23 novembre

10h : Je m'aventure à sortir de " Brest même " pour la première fois depuis le 1er novembre : j'ai des colis à récupérer à Gouesnou et ça ne peut pas attendre. Comme je sais qu'en bus, le trajet entier me prendra forcément plus d'une heure, je décide de tricher un peu et je remplis deux attestations, dont une où j'indique l'heure qu'il sera soixante minutes plus tard afin de faire croire à d'éventuels flics tatillons que je ne suis pas sorti plus que le minium autorisé. Cette précaution s'avère inutile puisque je ne croise pas un seul représentant de l'ordre...

13h30 : Mes colis contenaient, entre autres, de vieux Fluide Glacial que j'avais commandés pour compléter ma collection. Avant de reprendre le boulot, j'en feuillette quelques-uns et, parcourant le numéro 43 de janvier 1980, je tombe sur la double page que Jeunet, Casoar et Igwal consacraient chaque mois au dessin animé ; ils y épinglaient un texte paru dans Les cahiers du cinéma en 1960 :

" Il se peut que le dessin animé soit de l'art, mais en tout cas, ce n'est pas du cinéma. (...) Ce qui me déplaît prodigieusement dans l'animation, c'est son refus de la réalité vivante, sa misanthropie, son homosexualité latente. Cet art est malsain. (...) S'il est bien des films à interdire aux mineurs, ce sont bien ces ignobles petites bandes dessinées qui imprègnent de leur méchanceté et de leur lunatisme les jeunes qu'elles poussent vers le gangstérisme, l'illégalité et l'immoralité. "

C'est beau comme un édito de Valeurs actuelles, n'est-ce pas ? Je ne sais pas qui a écrit ça, mais il avait perdu une belle occasion de la fermer ; je n'avais déjà pas envie de lire Les cahiers du cinéma avant de découvrir cette ineptie, mais là, j'en ai encore moins envie... Soixante ans plus tard, le statut du dessin animé a beaucoup changé, même les plus snobinards des cinéphiles se sentent obligés de s'y intéresser et, d'ailleurs, je ne sais pas si vous avez remarqué, mais on ne dit plus qu'on fait du dessin animé, on dit qu'on fait du " film d'animation " ! C'est un peu idiot, car d'un point de vue technique, tout film est d'animation par définition : un film qui ne sera pas d'animation, ça s'appellerait une soirée diapos !

Mardi 24 novembre

Le journal du professeur Blequin (136)10h : Nouvelle sortie pour retirer un colis, mais cette fois dans un tabac, dans le quartier voisin : plus besoin de tricher avec les attestations, cette fois. En sortant de chez moi, je crois deux policiers, les premiers que je vois depuis plus de trois semaines : je m'attends à ce qu'ils me contrôlent... Mais il me laissent passer mon chemin. Visiblement, il y a des flics qui doivent considérer qu'ils ont mieux à faire que vérifier si tous les croquants qu'ils rencontrent sont bien porteurs d'un malheureux papelard... Ceux qui crient au fascisme devraient relativiser.

10h20 : J'arrive rapidement au tabac. J'étais déjà allé dans le coin pour la même raison lors du premier confinement, mais cette sortie ne me laisse pas du tout la même impression : autant j'avais ressenti, dans les rues quasi-désertes, une grande sérénité et un bonne bouffée d'air frais en avril, autant en novembre, le port du masque et la circulation, au moins aussi cauchemardesque qu'en temps normal, me rendent la sortie pénible. On a la misère de la première vague épidémique PLUS les emmerdes de la vie normale ! Et on s'étonne que je n'aie pas le moral... Le journal du professeur Blequin (136)

18h : Petite discussion en ligne avec ma correspondante algérienne à l'occasion de son anniversaire. Celle-ci en profite pour me montrer des photos éloquentes sur les conditions dans lesquelles on soigne les gens dans son pays : si les conditions d'hygiènes étaient aussi déplorables en France qu'elles le sont de l'autre côté de la Méditerranée, il y aurait eu deux fois plus de morts chez nous et les soignants, déjà en colère, seraient carrément au bord de l'émeute ! Bref, même en temps de crise sanitaire et malgré un manque chronique de moyens, la France peut encore faire figure de paradis par rapport à l'Algérie où on gaspille des milliards pour construire des mosquées. Et on s'étonne encore que des Maghrébins veulent s'installer chez nous ?

Mercredi 25 novembre

18h : Guillaume Alemany m'annonce sur son livre Le(s) monde(s) de l'autisme est enfin paru : j'y ai contribué par mes illustrations et mon texte " Dix signes infaillibles pour ne pas reconnaître un aspi ". C'est donc une bonne nouvelle mais les circonstances font que je n'arrive pas à la savourer pleinement...

Jeudi 26 novembre

9h30 : Encore une fois, je me lève en me demandant si ça vaut bien la peine de continuer à vivre. Je suis déprimé, perpétuellement fatigué, j'ai mal au crâne et au dos. Les annonces relatives à l'allégement du confinement ne me sont d'aucun secours : je me suis vu passer des journées entières sans rentrer chez moi, aux quatre coins de la métropole et même au-delà, qu'est-ce que vous voulez que je foute d'une aumône de trois heures de sortie, qui plus est sans pouvoir dépasser les 20 kilomètres ? J'ai vraiment l'impression d'être un taulard auquel on accorde de pouvoir faire plus longtemps le tour de la cour histoire de le récompenser pour sa " bonne conduite " - entendez son obéissance aveugle. Oh, je ne nie pas la réalité de l'épidémie, loin de là : mais j'ai le droit d'en avoir marre, non ?

Vendredi 27 novembreLe journal du professeur Blequin (136)

10h : Je sors faire le marché ; les rires qu'émettent les gens derrière leurs masques me sont plus insupportables que jamais, surtout quand ils croisent une connaissance... Mais quel plaisir peut-on éprouver à retrouver quelqu'un dont on peut même pas voir le visage ? Ce satané masque derrière lequel j'étouffe et sue comme un porc, je ne m'y habituerai jamais ! J'en veux terriblement aux civiques niais et béats de s'en accommoder si facilement ! Comme dirait Reiser, les gens heureux me font chier !

17h30 : Une amie m'invite à l'accompagner demain après-midi au bois de Keroual. Après une certaine hésitation, je me décide à accepter, étant vraiment trop malheureux dans cet état. Croisons les doigts pour que tout se passe bien...


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