Samedi 6 mars
13h30 : Toujours chez mes parents, je reçois la visite d’une amie chère. Je mentirais si je disais que nous respectons à la lettre les gestes barrière, mais allez donc m’empêcher d’embrasser cette jeune femme qui est comme une sœur pour moi ! D’autant qu’elle a besoin de mon affection ; elle travaille à temps plein et a deux enfants à charge, ce qui signifie qu’à cause du couvre-feu, sa vie se résume à son boulot et à son foyer : travail, famille, santé, voici le triptyque de la France de Covichy ! Cela dit, j’ai un doute à propos du troisième terme quand je vois à quel point mon amie est fatiguée et déprimée… Elle se demande s’il y aurait vraiment eu plus de morts si on nous avait laissés vivre à notre guise : je n’en sais rien, mais je suis au moins d’accord avec elle sur un point : nous ne tiendrons plus très longtemps comme ça.
Dimanche 7 mars
10h : Un dimanche, ce n’est jamais très drôle. Dans les circonstances que nous traversons, c’est même carrément sinistre. Je suis fatigué de vivre, fatigué de ce monde, fatigué de me battre, que ce soit pour moi ou pour les autres. J’aimerais m’endormir et ne jamais me réveiller.
Lundi 8 mars
14h30 : Quelques jours à peine après avoir reçu le coup de fil de son médecin traitant, mon père apprend la décision du gouvernement d’envoyer les vaccins aux pharmaciens. Cette nouvelle l’inquiète et lui fait se demander s’il pourra quand même recevoir l’injection chez son docteur. Affaire à suivre.
Mardi 9 mars
14h : Visite à un ami. Celui-ci travaille à temps partiel et peut ainsi avoir du temps pour réfléchir sur la situation : moins déprimé que mon invitée de samedi dernier, il semble optimiste concernant l’évolution de la situation à moyen terme. J’espère qu’il ne se trompe pas.
Mercredi 10 mars
9h30 : Je reçois enfin les 30 exemplaires de mon deuxième album ; à charge pour moi de les livrer aux pré-acheteurs qui l’ont commandé. En attendant, je les réceptionne chez mes parents, et je suis encore en pyjama quand le colis est entre mes mains. Rien que pour ça, cet aboutissement me laisse un peu sur ma faim…
15h : Mon père reçoit un nouvel appel de son docteurs qui lui fixe rendez-vous vendredi prochain pour la première injection. Cela signifie que les livraisons aux pharmaciens n’empêchent pas les médecins de vacciner : l’annonce aurait gagné à être clarifiée…
Jeudi 11 mars
20h : Sur le plateau de C a vous passent successivement l’historien Pierre Nora et l’ex-miss Univers Iris Mittenaere. Comment dire ? J’ai l’impression de retrouver une infirmité dont je croyais enfin guérir…
Vendredi 12 mars
10h : Je retrouve mes collègues du laboratoire HCTI pour une visite (à distance) d’experts chargés d’évaluer notre activité de recherche. Je suis partagé entre la joie de les revoir et la lassitude de voir autant de gens masqués. D’un autre côté, si nous avons le droit de nous retrouver en chair et en os, c’est plutôt bon signe…
13h : Déjeuner avec les collègues. Les experts sont plutôt bienveillants, nous pouvons être fiers du travail accompli ces dernières années. Je m’assieds à côté d’une chercheuse que je compte parmi mes amies et, une fois encore, je mentirais si je disais que nous sommes parfaitement respectueux des gestes barrière : l’amitié est trop précieuse pour être soluble dans une épidémie…
15h : Me voilà déjà rentré chez mes parents. Je m’affale sur mon lit et je prie le monde de m’oublier un peu.