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Le journal du professeur Blequin (160) Retour d’un râleur au bercail

Publié le 28 mai 2021 par Legraoully @LeGraoullyOff

Mardi 25 mai 

15h30 : Après cinq mois d’exil volontaire dans la maison où j’ai grandi, je réintègre enfin mon appartement. Comme après tout séjour chez les parents, je rentre plus chargé qu’à l’aller et il m’a fallu deux bonnes heures pour ranger mes affaires. Une fois cette corvée assurée, je relève le courrier : rien de spécial dans ma boîte aux lettres, à part un tract électoral de… Pierre Ogor, le maire ivrogne de Guilers, qui se présente aux départementales. Je sais déjà pour qui je ne vais sûrement pas voter…

Mercredi 26 mai 

10h30 : Mon premier souci, une fois rentré, fut de reprendre les livraisons de mon album, en souffrance depuis trop longtemps. Je profite donc de cette première sortie en ville pour recharger ma carte de bus : malheureusement, la machine prévue à cet effet, installée sur la façade du siège de Bibus, ne veut rien entendre et refuse systématiquement mon paiement par carte bleue. En désespoir de cause, j’entre dans le bâtiment pour résoudre le problème avec un être humain en chair et en os – ce n’est pas encore demain que la machine supplantera définitivement l’homme…. Après cinq minutes d’attente qui m’ont semblé une heure, je peux enfin parler à un guichetier ; à peine lui ai-je exposé ma difficulté présente qu’il se sent obligé de m’expliquer que, comme je n’avais pas fait le renouvellement au début du mois du fait de mon absence prolongée, le rechargement que je demande aujourd’hui ne sera effectif que pour moins de deux semaines et qu’il faudra donc que je re-casque la même somme dans très peu de temps : comme à chaque fois que je suis retardé par une affaire que j’avais la faiblesse de croire bête et banale, ma patience est sérieusement entamée et j’ai bien du mal à rester aimable en lui répondant que je suis déjà au courant de tout ça, que je m’en fiche éperdument, que j’utilise assez souvent le bus pour que mon abonnement soit rapidement amorti, et que tout ce que je lui demande, c’est de recharger cette putain de carte et d’encaisser l’argent que je lui tends et puis c’est marre. Une fois l’affaire réglée, je repars en quatrième vitesse vers le domicile de mon commanditaire, non sans maugréeer en ces termes : « Pourquoi faut-il toujours qu’ils nous prennent pour des débiles ? » Mais dans la seconde qui suit, je me rappelle qu’avant moi, il avait dû répondre à une dame qui ne sait visiblement pas lire une carte et venait le déranger pour demander quelle ligne elle devait emprunter pour aller au port… Finalement, je peux leur pardonner : ils voient défiler des cas sociaux à longueur de journée…

12h : La journée est bien avancée, mais j’ai déjà livré cinq albums. Je rentre chez moi, toujours en bus : j’ai beau porter, grâce à mon amie Aurélie, un masque transparent qui ne me prive plus de visage et ne m’étouffe plus, j’en ai un peu marre de cette contrainte dont l’utilité me parait plus que douteuse… D’autant que, chemin faisant, mon regard tombe sur les nouvelles affiches diffusées par la ville (ou la métropole, je ne sais plus) : l’abominable expression « gestes barrière » a perdu du terrain au profit de « pensez à aérer les pièces »… Bon, il faudrait savoir : quand on sort de chez soi, il faut dresser un mur de Berlin entre nos voies respiratoires et le bon air de ma Bretagne chérie, mais dès qu’on rentre, cet air qui serait à ce point empoisonné par le méchant virus, il faut le laisser rentrer ? Ou bien je suis complètement con, ou bien on nous explique très mal les choses…

18h : Les cours publics ont enfin repris aux Beaux-Arts de Brest : seuls les plus motivés reviennent, nous ne sommes que sept à l’atelier du mercredi soir, soit moins de la moitié qu’en septembre. Les conversations sont édifiantes : ils ont tous pris du poids, leur moral est entamé, certains ont même des acouphènes ! Quand on sait  que le Covid-19 n’est mortel que dans une infime proportion des cas (on ne le rappelle pas assez) et qu’on peut même être porteur du virus sans être malade (c’est le cas de ceux que les médias appellent les « asymptomatiques » parce que ça fait plus peur que « personne en bonne santé »), on est en droit de se dire que confinement et couvre-feu auront constitué un remède est pire que le mal !

Jeudi 27 mai

10h30 : Réunion en visioconférence. En général, j’essaie d’éviter ça, mais là, je n’ai pas le choix. Fort heureusement, mon cas n’est pas isolé et tout le monde, à commencer par l’organisatrice elle-même, se dépêche d’aller à l’essentiel et d’être le plus constructif et efficace possible ; résultat, on fait le tour de la question en même pas une heure… C’est le seul avantage de la réunion par visioconférence : c’est tellement chiant que même les plus zélés n’ont plus envie de s’attarder !

15h : Je sors pour livrer une autre commanditaire. J’avais calculé mon itinéraire en espérant pouvoir prendre le bus qui passe juste devant mon immeuble : le problème, c’est que j’avais complètement oublié les travaux qui barrent la rue depuis déjà des mois ! Le bus ne passera donc pas par là, je suis obligé d’aller en prendre un autre, quelques mètres plus loin. Je constate tout d’abord que la température s’est brusquement réchauffée, ce qui est déjà désagréable. Une fois arrivé à l’arrêt, le temps d’attente affiché fait du yo-yo : il passe alternativement de deux à trois minutes ! Jamais vu ça ! L’heure tourne et je bouille littéralement en plein soleil, conscient que je ne serai jamais à l’heure… Quand le bus arrive enfin, je trouve une place assise, mais ma satisfaction est de courte durée : peu après avoir démarré, le véhicule se remplit d’adolescents quittant le lycée ! De mon temps, la journée ne se terminait pas aussi tôt : je ne comprends rien à ce qui se passe, toujours est-il que je retrouve en peu de temps trois de mes pires ennemis : la chaleur, la foule et le bruit ! Car, d’une génération à une autre, les ados ne changent pas : les garçons marmonnent entre eux comme des éléphants centenaires et les filles gloussent par paquet de quinze ; j’en arrive presque à regretter qu’on ne remplace pas leurs masques par des baillons… Pour ne rien arranger, tout semble se dresser pour m’empêcher d’arriver à temps chez ma commanditaire : la porte du bus refuse de se refermer, le chauffeur est un empoté qui semble hésiter à passer au feu vert, il y a des bouchons à presque chaque carrefour… Je n’étais plus habitué à tout ça ! Plutôt brutal, comme nouveau départ… Comment ça, je ne suis jamais content ? Hé oh, je voulais certes revoir les gens mais… Pas tant que ça d’un seul coup, quand même ! Point trop n’en faut, saperlipopette ! Fort heureusement, ma cliente a finalement pu m’attendre : cette brave mère de famille m’accueille avec la douceur dont j’ai bien besoin…

Vendredi 28 mai

9h30 : Je me lève, un peu à contrecœur : voilà seulement trois jours que je suis rentré et je ne peux m’empêcher d’éprouver des angoisses au réveil. Pour ne rien arranger, ce traître de soleil, qui a brillé tout le long du premier confinement, croit malin de revenir m’imposer la présence du monde extérieur jusque dans mon cocon. Heureusement, j’ai beaucoup de choses à faire, soit autant de prétextes pour me replier sur moi-même… Ce n’est pas encore aujourd’hui que je vais profiter de la réouverture des terrasses. De toute façon, pessimiste comme je suis, je ne pourrais pas m’empêcher de penser qu’il faudra remettre le couvert six moins plus tard, alors…


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