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Le journal du professeur Blequin (167)

Publié le 17 juillet 2021 par Legraoully @LeGraoullyOff
Le journal du professeur Blequin (167)Émile Chartier, dit Alain

Lundi 12 juillet 

15h : J’ai rendez-vous en ville avec une amie que je n’avais pas vue depuis un an à cause de ce-que-vous-savez et qui doit m’emmener à la campagne pour une soirée chez une autre amie très chère. Ravi mais un peu nerveux, je finis de relire les Propos sur le bonheur d’Alain et j’éprouve le même émerveillement que quand je les avais découverts à la fin de mon doctorat : Émile-Auguste Chartier (de son vrai nom) les avait écrits au début du XXe siècle, puisant ses idées dans l’air du temps, et on les croirait d’aujourd’hui ! Voici deux citations qui mériteraient aujourd’hui d’être méditées par ces hypocondriaques qui s’imaginent qu’ils vont de mourir dans d’horribles souffrances dès qu’ils touchent quelqu’un :

« Eh bien, quels que soient les invisibles ennemis que j’avale à chaque bouchée, ils ne peuvent pas plus sur mon cœur ni sur mon estomac que les changements de mon humeur ou les rêveries de mon imagination. »Le journal du professeur Blequin (167)

« Et la vraie cause de la guerre est certainement l’ennui d’un petit nombre, qui voudraient des risques bien clairs, et même cherchés et définis, comme aux cartes. (…) Tous ces mangeurs d’ombres finissent par nous conduire à la guerre, parce qu’il n’y a au monde que le danger réel qui guérisse de la peur. Voyez même un malade, comme il est aussitôt guéri, par la maladie, de la peur d’être malade. C’est l’imaginaire toujours qui est notre pire ennemi, parce que nous n’y trouvons rien à prendre. Que faire contre des suppositions ? »

Un autre de ces « propos », daté de janvier 1912, se termine sur un passage qui n’a pas davantage vieilli : Le journal du professeur Blequin (167)

« Ma conclusion est que la joie est sans autorité, parce qu’elle est jeune et que la tristesse est sur un trône et toujours trop respectée. D’où je tire qu’il faut résister à la tristesse, non pas seulement parce que la joie est bonne, ce qui serait déjà une espèce de raison, mais parce qu’il faut être juste, et que la tristesse, éloquente toujours, impérieuse toujours, ne veut jamais qu’on soit juste. »

En parlant de juste, cet extrait l’est toujours autant plus d’un siècle après avoir été rédigé, et je vous parie qu’il le sera encore quand les ratiocinations des pseudo-philosophes actuels, qui ne sont bon qu’à rouspéter pour un oui ou pour un non à propos de polémiques mortes-nées, seront périmées depuis longtemps. Non, je ne dis pas de noms ; comme disait Cavanna, « les imbéciles sont méchants, et moi, je suis lâche. »

Le journal du professeur Blequin (167)17h30 : Je prends la route pour mon rendez-vous : en attendant le bus, je vois passer une femme d’âge mûr qui, tout en cheminant, fait une leçon à un gamin sur les maladies vénériennes. Le gamin me semble avoir à peine l’âge d’entrer au collège : je me demande si ce n’est pas un peu tôt pour lui inculquer la peur du sexe ! Bien sûr, il faut informer les jeunes des risques pour la santé auxquels on s’expose quand on fait l’amour sans capote : mais pourquoi ne pas D’ABORD leur apprendre que la sexualité est aussi, et même SURTOUT, une source de plaisir qui peut aussi, si elle est maîtrisée (je ne dis pas le contraire), être particulièrement bénéfique pour la santé physique et morale ? Décidément, Alain avait raison…

18h : Comme prévu, j’attends mon amie sur le parvis d’un lycée. Mine de rien, les alentours de ce bâtiment ne sont pas complètement désertiques : rien à voir avec le bourdonnement des élèves en période scolaire, certes, mais je vois un employé entrer et sortir de l’établissement grâce à son code d’accès ; allez savoir ce qu’il vient y faire, mais ça suffit à rappeler que les cours dispensés à vos enfants ne sont que la partie émergée d’un travail de fourmi qui ne se résume même pas aux efforts méritoires des enseignants, et qui mériterait davantage de considération… Bien sûr, rares sont ceux qui peuvent entrer dans un lycée en période de vacances : mais nombreux sont ceux qui le prennent comme point de repère pour se donner rendez-vous, ce qui suffit à montrer l’importance qu’il a dans la vie de tous. Outre ma petite personne, il y a beaucoup de jeunes que des proches viennent aussi chercher en voiture, et je vois même un petit couple d’amoureux se bécoter près de l’entrée ; j’ai presque eu envie de les photographier mais, depuis Robert Doisneau, les gens ont cessé de prendre les photos prises à la volée comme un hommage et je préfère éviter de devoir payer des droits d’auteur aux parents de ces jeunes gens…

Le journal du professeur Blequin (167)Mardi 13 juillet

13h30 : Mal réveillé par une soirée bien animée, je quitte Hanvec, voituré par mon aimable hôtesse : ensemble, nous traversons les vertes campagnes finistériennes. Ma vie de citadin sans permis de conduire me donne rarement l’occasion d’admirer ces bocages verdoyants et ces petits villages encore bien vivants : un charmant spectacle malheureusement gâché par les résidus des festivités du récent passage du tour de France… Et oui, en Bretagne aussi, elle existe, la France des beaufs !

14h30 : Arrivé en centre-ville, je m’arrête dans la friterie de la place de la Liberté pour m’y sustenter. Le temps est de plus en plus clément, je m’installe sur la terrasse qui surplombe la place, et j’entends des acclamations qui viennent de l’escalier de l’hôtel de ville : je constate qu’il s’agit d’un mariage entre deux hommes. Je me dis qu’un pays où on acclame un couple homosexuel sortant d’une mairie a quand même des côtés merveilleux…

Le journal du professeur Blequin (167)18h : Rendez-vous avec un collègue artiste ; nous échangeons quelques considérations sur le métier, et mon interlocuteur finit par me raconter que quand il était allé exposer dans un bistrot, le premier geste du patron fut de lui demander de rameuter la presse locale pour qu’elle fasse de la pub pour son estaminet ! Cette attitude serait même si fréquente que les journalistes brestois renonceraient à couvrir les expositions dans les bars pour ne pas rentrer dans le jeu de ces bistrotiers véreux qui se foutent de l’art comme de leur première paire de chaussettes ! Et au final, ce sont quand même les artistes qui paient les pots cassés… Bien sûr, il doit bien y avoir quelques tenanciers qui raisonnent autrement, mais il n’empêche que le résultat est là et qu’il ne fait pas honneur à la profession : je vous parie que dans les établissements de luxe, la première chose qu’on demande aux sommeliers après des années de formation, c’est de pousser les clients à commander les vins les plus chers et point barre…

Mercredi 14 juillet Le journal du professeur Blequin (167)

14h : Le couperet est tombé : n’étant pas encore vacciné (je n’ai pas eu le temps de m’en occuper, c’est tout), si je veux pouvoir, dans deux semaines, prendre le train et partir en vacances, je devrai passer un test Covid et il faudra qu’il soit négatif. J’avoue que sur le principe, ça me choque : comment l’Etat s’arroge-t-il le droit de savoir si nous sommes en bonne santé ? Non, même pas : le droit de savoir si nous sommes porteurs d’un virus, même si nous ne sommes pas malades ? C’est quoi, la prochaine étape ? Nous greffer des caméras de surveillance dans l’organisme ? Le but de cette mesure est de pousser les gens à se faire vacciner ; pour ma part, j’estime que si une personne ne veut pas être vaccinée, c’est son droit : si je n’y suis toujours pas allé, c’est aussi parce que je pensais n’en avoir pas besoin, n’étant jamais malade ! Et je dis ça sans même être hostile au vaccin en tant que tel : je suis le premier à trouver débiles les arguments des anti-vaccins ! Quand ils disent que la vaccination accroit les risques de devenir autiste, je me sens même insulté : considèrent-ils donc l’autisme comme une déchéance telle qu’il faudrait l’éviter à tout prix, même sur la base d’un simple soupçon ? Si leurs craintes étaient fondées, j’estime que ça vaudrait le coup de les vacciner de force : s’ils devenaient autistes, ils deviendraient peut-être moins cons !

Le journal du professeur Blequin (167)Jeudi 15 juillet 

10h : Sur les conseils de ma mère, je me rends dans une pharmacie pour faire un premier test, à titre préventif. La personne qui m’accueille m’assure que les tests ne se font pas en pharmacie mais en laboratoire : légitimement inquiet, j’appelle ma mère qui m’assure qu’on m’a mal informé. Je me rends aussitôt dans une autre pharmacie où on me fait passer un test antigénique : l’expérience est assez désagréable et quand on me fourre dans chaque narine cette espèce de bâtonnet, je me dis que ça valait bien la peine de me faire des salades parce que je me mettais les doigts dans le nez quand j’étais petit… Mais c’est surtout contre la pharmacienne incompétente qui m’a mal renseigné que je garde une dent : tant pis pour elle, il y a trois pharmacies dans mon quartier, je vais faire jouer la concurrence !

11h30 : Je reçois le résultat : il est négatif. Je voudrais être soulagé, et je le suis sûrement au fond de moi, mais je suis si fatigué de toute cette histoire que je n’arrive pas à m’en réjouir. J’essaie de me répéter la bonne nouvelle pour me remonter le moral, mais comment voulez-vous trouver le sourire en se disant sans arrêt « je suis négatif, je suis négatif » ?

Le journal du professeur Blequin (167)Vendredi 16 juillet

10h : Le temps étant redevenu enfin estival, je pars prendre mon premier bain de mer de l’année. D’après mes informations, je devrais arriver pour la marée haute, mais j’essaie aussi de privilégier les matinées où il y a généralement moins de monde ; cela dit, quand le bus arrive au niveau de la porte de Plouzané, toute une troupe de gamins braillards pénètre dans le véhicule : un centre de loisirs, à tous les coups… Bah, quand je serai dans l’eau, je serai loin de leur piaillements.

14h : Après une heure et demie de natation et un petit repas sur la terrasse d’une crêperie, je fais quelques courses dans un supermarché dont je ne citerai pas le nom ; à la caisse, on me donne un ticket à gratter. Je le gratte et je gagne… Un sac. Un sac aux couleurs du Tour de France. Je le récupère quand même : je trouve ça affreux, mais ça peut être pratique. De fait, je m’arrête dans une boulangerie et je peux y glisser mes baguettes. Et puis après tout, ce n’est pas dans les habitudes de la grande distribution de nous faire des cadeaux !

21h : Je finalise une planche de BD. Une fois encore, je me suis cassé les yeux sur des détails que personne ne remarquera jamais, mais au moins, je peux la scanner sans remords.

Le journal du professeur Blequin (167)Samedi 17 juillet

16h : Retour à « Brest même » après une journée bien animée : un deuxième bain de mer le matin et un aller-retour chez mes parents pour récupérer quelques vieilles BD. Une certaine animation règne sur la place de la Liberté : c’est une manifestation contre le « pass sanitaire ». Malgré mes réserves sérieuses sur le principe, je ne me joins pas à ces manifestants, craignant d’y croiser des anti-vaccins et autres complotistes illuminés. De toute façon, je n’ai qu’une envie, celle de m’asseoir à une terrasse pour y boire une bière brune : je n’ai décidément pas la tête à la rébellion et je préfère garder mon potentiel de révolte pour des choses un peu plus sérieuses… J’apprendrai ultérieurement que cette manifestation aura bloqué le tram pendant quelques instants : c’était donc une manif classique, qui n’emmerde que des citoyens de base qui n’y sont pour rien, et je vous parie qu’elle aura autant de résultats concrets que les autres du même type… Tant mieux ou tant pis ? Je ne sais pas : j’avoue n’être ni pour ni contre le pass sanitaire, je veux juste qu’on me lâche la grappe avec cette épidémie par laquelle je ne me sens absolument pas concerné, et s’il faut que je me fasse injecter un produit pour qu’on ne me casse plus les pieds, alors d’accord !


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