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Le journal du professeur Blequin (203)

Publié le 11 juin 2022 par Legraoully @LeGraoullyOff

Le journal du professeur Blequin (203)Dimanche 5 juin

17h15 : A l’issue d’un week-end en famille, mes parents me ramènent chez moi : dans leur voiture, l’autoradio est allumé sur France Info qui couvre la finale de Roland Garros. Déjà, le tennis m’a toujours fait chier en tant que tel, mais à la radio, c’est encore pire : comme il serait impossible aux (hum !) journalistes sportifs de le « commenter » sans répéter inlassablement que les deux amphétaminés qui se font face se renvoient la balle, ces pauvres diables de speakers justifient leur salaire en meublant l’antenne avec des débats encore plus creux que ceux des politiciens et des éditorialistes – comme quoi c’est possible. Dans le cas présent, la question qui agite leurs rares neurones est celle de savoir si Nadal, qui est en passe de remporter pour la énième fois ce tournoi, est le plus grand joueur de tous les temps… Entre deux discussions aussi passionnantes que celle-ci, vu que nous sommes tout de même sur France Info, on a droit à un rappel de quelques informations futiles, comme par exemple les violents oranges qui ont balayé le pays dernièrement et qui ont sérieusement amoché des hectares de cultures… En d’autres termes, ils ont sous les yeux les conséquences du dérèglement climatique, leur alimentation et leur survie sont directement menacées, mais ils préfèrent continuer à faire diversion avec un sport chiant à mourir… Vous pensiez que l’épreuve du Covid aiderait les gens à mûrir, leur mettrait un peu de plomb dans la cervelle ? J’y ai cru un instant moi aussi, j’avoue…

Mardi 7 juin 

Le journal du professeur Blequin (203)

17h : J’ai passé la journée d’hier à dessiner ; ma production de ce lundi de Pentecôte étant maintenant finalisée, je sors acheter du matériel chez Artéis, bien décidé à profiter de l’argent que j’ai gagné à la Foire aux croutes – je n’en emporte évidemment qu’une partie, détail qui semble évident mais qui a son importance pour la suite, vous allez voir. Une visite dans ce supermarché des loisirs créatifs est toujours une épreuve pour moi : comme dans toutes les grandes surfaces, c’est surchauffé, la radio, toujours branchée sur cette station qui ne diffuse que de la chanson française, me casse les oreilles (elle arrive presque à me rendre « Mistral gagnant » désagréable, c’est vous dire) et, surtout, il y a tellement de choses que j’ai un mal de chien à trouver ce dont j’ai besoin… Après une recherche laborieuse, j’ai quand même réussi à me procurer ce que je cherchais, je passe donc à la caisse, et au moment de payer, je m’aperçois qu’il me manque trois malheureux euros pour pouvoir payer en liquide ! A un quart d’article près, j’étais dans les clous ! Alors bien sûr, je me résigne à payer par carte… Mais devoir aérer la carte bleue alors qu’on a gagné une belle somme en liquide, c’est nul de chez nul.

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17h30 : Légèrement remis de ma déception, je monte dans le premier bus pour le centre-ville : je dois me rendre à Guilers afin d’y rencontrer les bénévoles de la ludothèque de l’Agora en vue d’un article sur la fête du jeu qui doit avoir lieu le week-end du 25. Ce n’est pas ce qu’il y a de plus passionnant à couvrir, mais comme les gens de Guilers me connaissent, c’est toujours à moi qu’on fait appel pour annoncer l’événement, et puis quand on est correspondant de presse, il faut aussi accepter certaines corvées – et celle-ci n’est même pas la plus désagréable, loin de là ! En attendant, me voilà donc dans le bus : dehors, déjà, il fait chaud et humide, mais à l’intérieur, comme c’est déjà l’heure de pointe, c’est carrément une étuve ! Imaginez un instant que le port du masque soit toujours obligatoire : il y en aurait plus d’un(e) qui tournerait de l’œil ! Comment ça, je fais une fixation ? C’est bien possible, mais je ne pardonnerai jamais ça aux autorités !

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Amédée Frézier, l’homme qui importa la Fraise du Chili en France.

18h15 : Je suis arrivé à Guilers, largement en avance : comme je ne me vois pas poireauter sous la pluie battante, je décide d’en profiter pour rendre une visite surprise à mes parents qui habitent à deux pas du centre socioculturel. Evidemment, comme nous nous sommes déjà vus il il y a deux jours à peine nous n’avons pas grand’ chose de nouveau à nous dire, alors en attendant l’heure du rendez-vous, je tiens compagnie brièvement à ma mère qui regarde France 3 où l’on diffuse un reportage consacré à des Bretons qui ont entrepris de cultiver du thé ! Ma génitrice est interloquée, elle ne pensait pas que le climat de notre chère Bretagne se prêtait à la culture du théier : pourtant, le climat breton, est connu pour être nettement plus tempéré que celui de plusieurs régions de France ; chez nous, il fait rarement très froid ou très chaud, nous avons même échappé à la vague de chaleur qui a déferlé récemment sur l’hexagone (ainsi qu’aux orages qui se sont ensuivis d’ailleurs), les variations de températures y sont globalement de faible amplitude et les phénomènes météorologiques « extrêmes » sont peu fréquents. Ce bon monsieur Frézier ne s’y était d’ailleurs pas trompé : quand il a ramené sa fraise (au sens propre comme au sens figuré !) d’Amérique du Sud, celle-ci s’est remarquablement acclimatée en Bretagne, au point d’être, encore aujourd’hui, emblématique de Plougastel ! Bref : avec le réchauffement climatique et les problèmes qui vont se poser pour certaines cultures dans le reste de la France, l’agriculture bretonne est appelée à devenir plus florissante que jamais ! Voilà de quoi alimenter l’emploi… Et les délires chauvins.

Le journal du professeur Blequin (203)
18h50 : Me voilà de retour au centre socioculturel L’Agora dont j’ai longtemps été un familier ; en marge de la rencontre avec les bénévoles de la ludothèque, c’est le jour de l’assemblée générale de l’association abritée par le bâtiment – dont la gestion lui a été retirée par ce poivrot de maire, soit dit en passant : les gens me reconnaissent, c’est toujours touchant. A la ludothèque, on me donne des informations sur les activités prévues le week-end du 25, mais j’ai un peu de mal à suivre car deux bénévoles discutent entre eux à haute voix pendant que leur collègue me renseigne… Je ne comprendrai jamais comment les neurotypiques arrivent à faire ça ! Quand je repars, une autre bénévole du centre me demande quelle est la marche à suivre pour que je la caricature : décidément, ça se bouscule pour se faire défigurer en ce moment ! J’ai beaucoup de succès en ce moment, pourvu que ce ne soit qu’un début… 

Mercredi 8 juin 

Le journal du professeur Blequin (203)

13h : Ayant besoin d’un visuel pour un article annonçant un événement prévu au Biorek brestois, j’ai fait le chemin jusqu’au restaurant pour en photographier la façade. Comme c’est aussi le jour du cours du soir et de la scène ouverte au Café de la plage, j’ai aussi emporté les affaires dont j’aurai besoin pour travailler en ville entretemps, histoire de ne pas multiplier à l’envi les aller-retours. Dans la même logique, tant qu’à faire d’être au Biorek où le rapport qualité-prix est plus qu’avantageux, je déjeune sur place. Par conséquent, si je déchante au moment de l’addition, ce n’est pas à cause du prix : c’est juste que ce cher Alexandre, qui a lui aussi remporté un certain succès lors de la Foire aux croutes, n’a quasiment que des grosses coupures en caisse et n’a pas la monnaie sur les billets que je lui tends ! C’est la deuxième fois que le liquide amassé à la force de mes crayons est contraint à l’inutilité et que je dois sortir la carte bleue pour payer alors que j’ai de quoi régler trois fois mon dû en espèces ! Je sais, je ne devrais pas dire publiquement que j’ai de l’argent sur moi, mais cette anecdote est si révélatrice de l’absurdité de notre société tournée vers la dématérialisation qu’il serait dommage de s’en priver…

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13h15 : Sorti du restaurant, je me procure le dernier Côté Brest : j’ai fourni pas mal d’articles ces derniers temps, je m’attends donc à en voir au moins un publié, mais je dois déchanter. Qu’on fasse sauter ma page « histoire » pour faire le point sur les candidats aux législatives dans la région, d’accord : il y a tellement de prétendants à la députation (on se demande même ce que certains foutent là) qu’il n’est pas mauvais d’aider les gens à s’y retrouver. Là où je tique quand même un peu, c’est quand je tombe sur une interview… De Miss Finistère. Déjà que je considère que les concours de beauté constituent une tradition machiste et dégradante (mais ça n’engage que moi), je suis d’autant plus déçu que j’ai pourtant envoyé, il y a deux semaines, un article sur deux jeunes Brestoises qui avaient pris part à un raid humanitaire au Sénégal destiné à distribuer des fournitures scolaires aux écoliers démunis. Bien sûr, je n’en veux pas à la rédaction qui a sûrement ses raisons… Mais je sens que je vais quand même avoir du mal à expliquer aux demoiselles interviewées par mes soins qu’on en est toujours, à l’époque de #MeToo, à donner la priorité à une petite pimbêche qui défile en maillot de bain devant un public de frustrés, au détriment de deux jeunes femmes courageuses qui luttent à leur échelle contre les injustices et la misère humaine. Pour me consoler, en passant, j’arrache une affiche de la candidate soutenue par Eric Zemmour : ça n’arrange rien mais ça soulage, et puis c’est bien fait pour cette salope ! Une femme qui défend les idées de Zemmour, c’est comme un noir qui voterait Trump ou un Juif qui collaborerait avec Hitler… D’ailleurs, les deux existent aussi ! Putain, c’est pas gagné… 
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13h30 : Me voici à la fac, dans une salle à peu près vide. Comme toujours, mon programme pour l’après-midi est tout tracé, propre, net et sans bavures : je mets la dernière main à mon article, je l’envoie à la rédaction avec le visuel, puis je vais assister au colloque des jeunes chercheurs qui se tient en ce moment, et après, en route pour le cours du soir. Mais je dois vite déchanter : toutes mes tentatives pour me connecter au réseau Internet de l’UBO échouent. A chaque fois, on me répond que ma session a déjà pris fin… Il n’y a pas trente-six solutions : je rentre chez moi pour être sûr d’avoir du réseau. Bien sûr, tintin pour le colloque ! Me voilà contraint à ce que je déteste le plus au monde : changer mes plans au dernier moment ! Et voilà, je suis de mauvaise humeur pour le reste de la journée !

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18h : Au cours du soir, la série noire continue : je n’avais pas compris que notre professeur avait décidé de terminer l’année en nous faisant continuer nos planches d’yeux, de nez et de bouches les jours où la météo ne nous permettrait pas d’aller dessiner en extérieur. L’état du ciel étant trop incertain, me voilà pris au dépourvu car je n’ai pas pensé à emporter ma planche et je n’ai même pas d’appareil photo pour prendre les visages des autres élèves : je suis donc contraint d’utiliser le smartphone d’une camarade, ce qui ajoute l’humiliation à la contrariété… Pour ne rien gâcher, c’est la première fois que je n’arrive pas à me passionner pour l’exercice : la fixation que fait notre prof sur ces planches « anatomiques » au détriment des travaux autrement plus somptueux que nous avons réalisés sous sa direction me rappelle une situation à laquelle j’ai été trop souvent confronté : je montre plusieurs dessins dont je suis très fier, je complète l’exposition avec des petits trucs qui me paraissent anecdotiques, et le public n’a d’yeux que pour les petits trucs, ignorant des mastodontes qui m’ont souvent demandé des heures de boulot… Décidément, personne n’est parfait !
Le journal du professeur Blequin (203)

20h30 : En conclusion de cette journée plutôt décevante, me voilà au Café de la plage pour la scène ouverte. Je suis venu avec mon matériel de caricaturiste, mais je n’ai que deux clients en tout et pour tout sur la soirée : il y en avait bien d’autres qui étaient intéressés, mais soit ils n’avaient pas de monnaie sur eux, soit ils trouvaient la pose trop contraignante ! Au final, je gagne à peine de quoi régler mes consommations, c’est déjà ça, je m’apprête donc à faire contre mauvaise fortune bon cœur, d’autant que mon passage sur scène en tant que slameur a remporté le succès habituel…

22h30 : C’était trop beau, il FALLAIT qu’un incident achève de me pourrir la journée : je profite d’un bref moment de reflux de l’assistance pour me lever afin d’aller aux toilettes… Mais ma pancarte, vraisemblablement déséquilibrée par un faux mouvement de ma part, chute et emporte avec lui mon verre encore à moitié plein ! Pas trop de dégâts, rien d’irréparable, d’autant qu’une femme arrive aussitôt avec une serpillère (on doit avoir l’habitude de ce genre d’accident ici) mais, pour moi qui en ai déjà plein les bottes, c’est la goutte d’eau : je décide de partir avant qu’il ne m’arrive autre chose…

23h : Sur les conseils de mon amie Claire, elle aussi habitante de Lambézellec depuis peu, j’ai fait les premiers kilomètres à pied : mais quand j’arrive au niveau de Kerichen, je ne me vois pas, avec mon chargement et la fatigue déjà accumulée, grimper la côte qui mène au boulevard de l’Europe. Alors je décide d’attendre le bus qui devrait arriver dans moins de dix minutes : passant devant le lycée, je constate qu’il y a une ambiance plutôt festive ! De fait, à l’arrêt de bus, je suis rejoint par huit lycéennes qui me confirment qu’une fête de fin d’année était organisée. Je leur demande si elles connaissent un conseiller principal d’éducation (un surgé, quoi !) que je compte parmi mes amis : elles me répondent par l’affirmative, je leur dis donc qu’il part en retraite cette année (à voir leurs mines déçues, je comprends qu’il est toujours aussi populaire) et que je l’avais eu comme CPE quand j’étais lycéen dans leur établissement. Intriguées, elles me demandent mon âge, et ayant entendu ma réponse, elles lancent : « Ah mais en fait, il est là depuis super longtemps ! » Je fais semblant de ne pas être vexé car je sais qu’on n’a pas la même notion du temps à 18 ans qu’à 34… Dans le bus, ces demoiselles sont encore dans l’ambiance de leur fête : vu que je suis de gauche et qu’elles sont plutôt mignonnes, je m’efforce de trouver ça touchant, même si leurs caquètements me tapent un peu sur les nerfs. Au moment où je m’apprête à descendre, l’une d’elles, qui m’a entendu dire mon niveau d’études, me supplie de lui dire « merde » pour son bac ! Je m’exécute pour lui faire plaisir, mais j’ai un peu pitié d’elle : cette petite poulette est loin de se douter que le bac n’est rien par rapport à ce qui l’attend après !

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Franquin vu par votre serviteur.

Jeudi 9 juin

17h : En attendant la visite d’une amie, je mets la dernière main à un manuscrit sur mon expérience de personne avec autisme : cherchant une référence sur le site bdoubliees.com, j’y apprends la récente tentative de relance de Gaston Lagaffe par le dessinateur Delaf, avortée par une plainte de la fille de Franquin. J’ai beau être d’accord pour dire que Delaf est un bon dessinateur, mon cœur penche quand même du côté de la fille d’Isabelle Franquin : déjà, le fait de relancer la série dans lui demander son avis est quand même une belle goujaterie, et puis la réussite est loin d’être toujours au rendez-vous quand on reprend une série, d’autant que s’il y a bien, à part Hergé, un créateur de BD qui restera à jamais irremplaçable, c’est Franquin ! Du reste, Gaston Lagaffe reste une série unique dans les annales de la bande dessinée pour une raison simple : c’est peut-être, encore aujourd’hui, la seule vraie satire de la vie de bureau ; des œuvres de fiction qui prétendent à ce titre flatteur, vous en trouverez des centaines, mais globalement, elles ont tendance à mettre en scène des employés modèles qui ne demanderaient pas mieux que de faire du bon travail s’ils n’étaient pas sans cesse perturbés par des collègues et / ou des supérieurs déjantés ; avec Gaston, c’est tout le contraire : le héros gaffeur et paresseux de Franquin, par son incapacité à s’intégrer aux cycles de production de l’entreprise qui l’emploie, en détraque la belle organisation et en démontre ainsi l’absurdité intrinsèque.

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En effet, Gaston fait des gaffes parce qu’il a trop de fantaisie, tandis que ses collègues font eux aussi des gaffes parce qu’ils n’en possèdent pas une once : ils sont incapables d’imaginer que les choses puissent être autres que telles qu’elles doivent avoir été fixées en vue de l’exécution des tâches qui leur sont assignées, comme on peut le voir notamment quand Fantasio expédie le fromage de chèvre de Gaston à un éditeur de New York en croyant que c’est le rouleau effectivement destiné à ce partenaire américain ! Pour résumer, la série de Franquin démontrait, longtemps avant l’excellent Bonjour paresse de Corinne Maier, que l’absurdité de la vie de bureau lui était consubstantielle et était donc insurmontable, contrairement à la plupart des autres « satires » qui laissent croire que cette absurdité est accidentelle et pourrait être corrigée si on y mettait un peu de bonne volonté… Même Jorge Bernstein, dans son (excellent au demeurant) Rapport de stage publié chez Fluide Glacial, rate de (très peu) cette idée : en fin de compte, si je ne devais trouver, dans la BD actuelle, qu’un seul héritier direct du cher Gaston, ce serait Marguerite, l’alter ego de papier de la belle Julie Dachez dans La différence invisible ! En effet, outre le fait que cette jeune femme autiste Asperger s’habille à peu près comme Gaston, elle révèle à son tour, par son incapacité à adopter les comportements que l’on attend d’elle au bureau, et de manière à peine plus feutrée et moins extravagante que le gaffeur de Franquin, l’absurdité consubstantielle de la vie en entreprise – qu’elle finit d’ailleurs par abandonner. De là à demander à madame Dachez d’écrire des scénarios pour Delaf…

Le journal du professeur Blequin (203)
23h : Il se fait déjà tard. Avant de dormir, je lis un vieux Fluide Glacial fraîchement acquis pour compléter ma collection – il ne m’en manque plus que deux ! Il s’agit du numéro 4 qui, mine de rien, marque un tournant dans l’histoire du journal fondé par Gotlib, précisément parce que c’est avec cette édition de février 1976 que Fluide est devenu un journal à part entière et non plus une « collection » qui n’était vendue qu’en librairie : les rédactionnels, notamment, s’y développent avec des textes de Gotlib, bien sûr, mais aussi de Rambaud, Cartry et… Frémion. Et oui, déjà… Et bien, vous savez quoi ? Les articles de Cartry et de Frémion qui se veulent drôles, je les trouve chiants à mourir ! Ce n’est pas une simple question de génération : autant la nouvelle de Gotlib n’a pas pris une ride alors qu’elle est de la même époque, autant ces textes parodiques ont affreusement mal vieilli ! Une fois que tu as compris le principe (la découverte d’un chiotte préhistorique, pas mal, des catalogues analysés comme s’il s’agissait d’adaptations du Manifeste du parti communiste, mouais…) et esquissé un semblant de sourire, tu te lasses très vite, tu as hâte de finir ta lecture et tu te demandes si ces idées méritaient vraiment un développement d’au moins quatre pages chacune ! Tout ça pour dire qu’il ne faut pas idéaliser le Fluide Glacial des débuts : aux côtés des planches de légende dues notamment à Alexis et Gotlib, il y avait aussi des pages qui sont tombées dans l’oubli pour de bonnes raisons… Nous sommes en 2022, envoyons paître les nostalgiques !

Le journal du professeur Blequin (203)
Vendredi 10 juin

10h : Au marché, je croise Marc Coatanéa en pleine campagne : je le salue par politesse, mais je n’ose pas l’approcher ; je ne sais pas s’il a vu ce que j’ai fait de son affiche de campagne, que j’ai graffitée pour accentuer sa ressemblance avec le prince Albert et celle de son Macron bien-aimé avec la princesse Charlène, mais ça m’étonnerait beaucoup qu’il ait apprécié… Je croise aussi une groupie de Zemmour qui distribue des tracts : je ne vous répéterai pas ce que je lui ai dit car il y a des limites à la grossièreté ! Les militants de NUPES et de la « candidature citoyenne » battent également le pavé pour cette dernière journée de campagne avant le premier tour mais, quel que soit leur tendance, j’ai la nette impression qu’ils se démènent pour des clous : tout le monde ou presque se fout de ces législatives, je n’entends personne en parler ! Pas étonnant : outre le fait que la guerre en Ukraine accapare la une des médias, après deux ans de ceinture généralisée pour cause de pandémie et une présidentielle où il a encore fallu faire barrage à l’extrême-droite, les gens ont surtout envie de décompresser, de s’amuser… De vivre, en somme ! Et puis si le suspense se limite à savoir si Macron aura une majorité absolue ou relative, il n’y a pas de quoi mobiliser les foules ! Bref, j’aurais presque pitié de ces militants si la politique ne me faisait pas de plus en plus chier !

12h : Le beau temps revient et j’ai besoin d’un peu d’exercice : en attendant qu’il fasse assez chaud pour prendre des bains de mer (mais je sens que ça ne saurait tarder), je marche donc à pied jusqu’au centre ville pour retirer un colis, profiter de la foire aux livres aux Enfants de Dialogues et du déstockage à la médiathèque des Capucins. L’épreuve n’est pas des plus terribles, je mets moins d’une heure à tout casser pour faire tout le trajet, et puis je m’épargne la mauvaise fatigue accumulée à chaque fois que je prends le bus…

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13h : Aux enfants de Dialogues, la foire est déjà ouverte depuis mercredi, mais les étalages sont encore bien pleins ! N’ayant pas l’intention de me ruiner, encore moins d’encombrer ma bibliothèque que j’essaie justement d’alléger, je me contente d’un livre d’Amélie Nothomb que je n’ai pas encore lu (et oui, il y en a encore), Frappe-toi le cœur où l’héroïne, pour une fois, porte un prénom qui n’est pas rare du tout : Marie ! Tout un programme, déjà… En attendant, quand je chine parmi tous ces bouquins, j’ai tout de même même un petit sourire quand je retrouve ceux que j’ai moi-même déposés ! Mais s’ils sont encore là, c’est qu’ils n’ont pas trouvé preneur : ça ressemble à une lapalissade, mais je ne dois pas m’étonner qu’ils n’aient pas trouvé preneur pendant toutes ces années où j’essayais de les vendre en ligne… Je suis censé recevoir un chèque cadeau au montant équivalent à 70% du produit de la vente de mes livres : ledit montant risque de ne pas être très élevé… Mais je m’en fiche, après tout : l’important pour moi, ce sera d’avoir gagné de la place ! 

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14h : Après avoir retiré mon colis et pique-niqué sur la rue de Siam, je risque, avant d’aller aux Capucins, un tour à la galerie IdPod tenue par un grand ami de ma défunte reine Geneviève, Jean-Christophe Podeur : bon réflexe, il vient tout juste d’accrocher, avec l’artiste, l’exposition des photos prises par Grégory Pol au Botswana et au Kenya. Ses clichés représentent des animaux sauvages et je craque particulièrement pour celle représentant un vieux lion revenant fatigué auprès de sa famille : on a l’impression qu’il sourit ! La dernière fois que j’avais vu une œuvre d’art représentant avec autant de tendresse ce grand félin, c’était dans un dessin de Franquin. Rien que pour ça, bravo l’artiste ! Vous m’avez compris, c’est une expo à voir, mais mon camarade Pod n’a pas l’habitude de recevoir des médiocres dans ses murs…
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14h45 : Je n’avais plus pris le téléphérique depuis le concert de Putain de Renaud aux Capucins : il faut dire que depuis, je n’avais pas vraiment trouvé de nouvelle raison pour aller aux Capucins. J’avais presque oublié à quel point la vue sur la rade est magnifique quand on traverse la Penfeld à cette altitude ! C’est à se demander pourquoi ces crétins de militaires ont insisté pour qu’on floute la vitre opposée : la perspective sur le pont de Recouvrance est si splendide que personne n’aurait l’idée de perdre son temps à observer leurs affreuses installations, même un espion oublierait sa mission ! Je ne dis pas ça par chauvinisme, je ne suis pas le seul à le penser : une jeune femme, qui n’est visiblement pas du coin, ne peut s’empêcher de s’extasier. Et il y a encore des cons pour dire que Brest, c’est moche ! Disons que les Brestois ont construit eux-mêmes la beauté dont l’histoire de leur ville aurait pu les priver…

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15h : J’arrive enfin dans la salle où a lieu la vente des documents déclassés de la médiathèque des Capucins : elle a débuté hier et les prix sont vraiment très avantageux, il ne faut pas que je m’étonne outre mesure si les étalages sont déjà en grande partie ratissés ! Mais ce n’est pas plus mal : je n’aurais sûrement pas apprécié la cohue du premier jour et puis comme ça, j’évite la tentation de dépenser jusqu’à plus soif ! Je ne repars cependant pas bredouille : je ramène un livre sur l’histoire du bagne de Brest qui me sera sûrement utile et, surtout, deux albums de bandes dessinées mettant en scène un jeune garçon taquiné plus qu’il n’en faut pour perdre son flegme par une fillette pourtant loin d’être aussi méchante qu’elle en a l’air… Vous pensez à Corinne et Jeannot, hein ? Et bien non ! Il s’agit de Yann et Julie, un autre duo infernal, dû aux crayons finement inspirés de Philippe Bercovici et François Corteggiani et que j’avais découvert dans mon enfance quand j’étais abonné au mensuel P’tit Loup… Et oui, n’en déplaise à Saint-Ex, je n’ai pas oublié que j’ai été môme ! Plus sérieusement, il est impossible de ne pas penser aux enfants terribles créés par l’excellent Jean Tabary, mais Yann et Julie se distinguent de Corinne et Jeannot sur bien des points : premièrement, la nature de leur relation est encore moins claire, vacillant sans cesse entre antipathie réciproque et attachement irrépressible, alors qu’il ne faisait aucun doute que Jeannot était fou amoureux de sa charmante mais cruelle copine.
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Deuxièmement, contrairement à Corinne, outre le fait que ses farces sont tout de même moins cruelles, Julie fait montre d’une agressivité qui n’est pas complètement gratuite, tant Yann a un côté « m’as-tu-vu » insupportable et fait souvent montre d’une goujaterie impardonnable, le tout justifiant qu’on lui cloue le bec. Troisièmement, enfin et surtout, la jeune fille n’a pas toujours le dernier mot : Yann dame parfois le pion à Julie, quand il ne se retrouve in fine pas dans la même galère qu’elle ! En tout cas, je prends beaucoup de plaisir à lire ces deux albums édités en l’an 2000 par Bamboo, en dépit de deux défauts rédhibitoires : d’une part, les revues estampillées Disney dont P’tit Loup faisait partie avait la sale manie de remplacer les lettrages de Bercovici par des textes dactylographiés, instaurant un décalage visuel entre le texte et l’image qui m’écorche la rétine ; les autres éditeurs de cet excellent dessinateur ne font pourtant pas la même erreur et ses planches ne perdent rien de leur lisibilité, alors pourquoi Bamboo n’a-t-il pas profité de cette réédition pour remettre les textes manuscrits ? Monsieur Sulpice (que je respecte) aurait-il voulu faire des économies de bout de chandelle, à cette époque où sa maison, il est vrai, n’était pas encore ce qu’elle est aujourd’hui ? Dans ce cas, il aurait pu se passer de faire re-colorier les planches : car, deuxièmement, les coloriages manuels d’origine ont été remplacés par des dégradés à l’ordinateur trop parfaits pour être vrais ; qu’on ne me dise pas le contraire, je me souviens très bien de certaines planches qui m’avaient marqué dans les années 1990 et je vois tout de suite la différence ! Là, oui, pour une fois et pour le coup, c’était mieux avant ! Evidemment, ça n’enlève rien au plaisir de retrouver Yann et Julie : point de vue partagé par une adolescente que je croise dans le bus et qui, me voyant feuilleter un album, me dit que cette BD est « trop bien » ! Dommage que cette série n’ait pas eu plus de succès…

Le journal du professeur Blequin (203)
Franciane, une poétesse en pleine déclamation.

20h : Ce soir, dans une des salles les plus importantes de Brest, un grand concert a été organisé : malheureusement, la tête d’affiche, celle qui avait attiré des centaines de personnes, n’est pas au rendez-vous ! Les organisateurs sont sur le point de désespérer ! Heureusement, JE suis là : on condescend à me laisser passer sur scène pour faire patienter le public qui trépigne d’impatience, je fais mon numéro et je remporte un succès fou qui fait vite oublier l’absence de la vedette que tout le monde attendait et me vaut la reconnaissance éternelle des organisateurs… Bon, j’arrête. Evidemment, j’exagère : en fait, c’était au Temple du Pharaon, le salon de thé et de narguilé de la rue Jean Macé, où il n’y a guère plus de quoi accueillir une vingtaine de personnes et où le Collectif Synergie, renouant avec ses bonnes habitudes bousculées par la pandémie, organisait une scène ouverte. Les premiers clients, un vieux couple, venait pour écouter un chanteur et guitariste qui était censé venir et ne s’est finalement pas présenté : mais ils ne sont pas venus pour rien, les slameurs, conteurs et musiciens qui se sont produits ont fourni un spectacle de qualité ! Voilà la vérité, mais là où je n’exagère pas, c’est quand je dis que mes propre gaudrioles ont eu du succès et que les organisateurs m’étaient reconnaissants de mon passage…

Le journal du professeur Blequin (203)
Cyril, un jeune surdoué !

22h45 : La fatigue se fait sentir ; je quitte le Temple après avoir écouté Cyril, le jeune conteur, improviser une histoire à partir de trois éléments fournis par l’assistance, à savoir un lieu et deux objets ! Le résultat n’était pas exempts d’incohérences, à commencer par un changement brutal de localisation géographique (on est passé des Pyrénées orientales au parc d’Armorique !), mais l’histoire tenait tout de même la route, ce qui est déjà remarquable ! Sincèrement, je suis admiratif des gens qui arrivent à improviser, j’en serais absolument incapable ! Mais Cyril a énormément de talent et je ne m’aventurerai pas à rivaliser avec lui en faisant le conteur à mon tour ! Du moins pas avant que mes prestations de slameur n’auront pas perfectionné ma diction – et il y a encore du boulot…


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