Dimanche 10 juillet
19h30 : Retour au cocon après deux journées à Porspoder. Le bilan est mitigé mais pas égal à zéro, c’est même un miracle que je ne rentre pas complètement bredouille car cette manifestation accumulait les handicaps : la municipalité lui avait fait une concurrence déloyale avec une fête à la con en bord de maer, elle était très mal annoncée dans la presse locale et, surtout, elle tombait le premier week-end des vacances scolaires ! Avec la météo que nous avons actuellement, les gosses piaffaient sûrement tous d’impatience d’aller à la plage, il ne fallait donc pas compter sur leurs parents pour leur imposer la visite d’un salon culturel en intérieur… J’ai bien failli abandonner à plusieurs reprises, mais je ne voulais pas décevoir des gens qui me font confiance et qui croient en mes capacités artistiques. De surcroît, ça m’a rapproché avec l’invité d’honneur, le photographe Thierry Richard, dont j’ai pu apprécier la disponibilité et la passion…
Lundi 11 juillet
19h : L’air se rafraîchit enfin à l’issue d’une journée qui risque de ressembler à toutes les prochaines pendant un certain temps : bain de mer et expédition des affaires courantes. Ce serait un programme magnifique si mes concitoyens n’étaient pas si bruyants, sur la plage comme dans le bus…
Mardi 12 juillet
14h45 : C’était pourtant bien parti : je revenais de la plage où j’avais passé deux heures dans l’eau, ce qui n’était pas de trop pour digérer le rallongement du trajet généré par cette maudite déviation… Je me sentais à peu près bien, même si j’avais eu de la chance que le bus arrive juste au moment où un vieux con allait commencer à m’interroger sur la BD que je feuilletais pour patienter… Ensuite, j’avais prévu d’aller aux Capucins pour voir deux expositions et en faire le compte-rendu, histoire d’avoir de la copie de réserve pour la rentrée de Côté Brest – notez bien que je n’y allais pas tellement par plaisir mais parce que cette démarche est la seule solution pour m’assurer d’être à jour avant de partir en vacances. Je me suis donc rendu à la station de téléphérique en toute confiance puisque j’avais vu le funiculaire fonctionner parfaitement ce matin : mais entretemps, il a eu le temps de déconner et le service est « momentanément indisponible pour des raisons techniques, merci de votre compréhension », poil au nichon. Je fais (encore) contre mauvaise fortune bon cœur et décide d’aller boire une pinte en terrasse en attendant le retour à la normale…
15h30 : Une fois mon verre éclusé et payé, je retourne à la station : toujours pas de téléphérique. N’ayant strictement aucune envie de m’attarder davantage en ville et encore moins de reprendre le tram et de dévaler la pente pour entrer dans les Capucins par l’arrière, je me résigne à rentrer à Lambézellec, d’autant qu’il me faut encore acheter du pain. Il n’empêche que ça fait déjà beaucoup de contretemps et de cailloux dans mes chaussures pour un mois qui serait soi-disant dédié à la détente ; je ne peux m’empêcher de faire mienne cette réplique d’un sketch des Minikeums : « Des fois, j’ai l’impression qu’il existe dans ce monde une coalition anti-moi » !
16h : La boulangerie n’avait déjà plus de baguettes, ce qui n’est pas difficile à expliquer : l’autre boulangerie du bourg étant fermée, tout le monde se rabat sur celle-ci, et comme Brest est envahie par les touristes, ça n’arrange évidemment rien… Rentré au bercail, j’espère au moins que la vieille montre que j’ai gardée dans mon tiroir fonctionne encore et va donc m’éviter d’aller jusqu’au marché de Bellevue pour remplacer celle que je porte et qui ne marche plus : bien entendu, mon espoir est déçu, encore un problème qui n’est toujours pas réglé ! Cerise sur le gâteau, les morveux du voisin d’en face sont dehors et poussent des cris que je vais devoir subir faute de pouvoir me permettre de fermer les fenêtres… Ça y est, j’ai compris pourquoi on a créé les vacances d’été : ce n’est pas pour se reposer d’une année de labeur, c’est parce que c’est le seul moyen de supporter cette saison de merde ! J’en arrive à regretter l’été pourri de l’an dernier, j’étais plus tranquille… Je prends les Chroniques de la haine ordinaire du grand Desproges pour relire le texte sur l’été, histoire de me sentir moins seul… Mais elle ne figure pas dans mon édition ! Si on ne peut même plus compter sur les grands auteurs…
Mercredi 13 juillet
16h15 : Après un bain de mer et un passage (fructueux) aux Capucins, je prends le téléphérique (qui fonctionne à nouveau) pour gagner l’autre rive : je croise alors une jeune fille de mes connaissances, elle aussi autiste Asperger, accompagnée d’une amie. Elle me dit envisager d’aller à l’espace Jaurès et me montre le casque qu’elle portera pour ne pas être incommodée par le brouhaha inhérent aux centres commerciaux de cette espèce, je lui réponds que, dans ce genre de situation, j’utilise des boules Quiès ; elle me dit que face à la chaleur, elle laisse ses fenêtres ouvertes jusqu’à cinq heures du matin, je lui réponds que je préfère laisser mes volets fermés toute la journée… Devant la consternation de sa compagne, elle lui explique que je suis « aspie » moi aussi ; et oui : là où les gens normaux parlent chiffons, nous autres échangeons des considérations sur les différentes stratégies dont nous disposons pour survivre dans ce monde hostile… En tout cas, la prochaine fois que je verrai un(e) adolescent(e) avec, sur les oreilles, un objet ressemblant à un casque audio, j’y réfléchira à deux fois avant de décréter que c’est un(e) jeune gland(e) qui fuit le monde dans sa musique de merde : c’est peut-être une personne qui a le même handicap que moi, qui n’écoute rien et qui cherche désespérément le calme dans un monde où ce besoin est perçu comme une aberration… Comme disait Alain : « Ne dites jamais que les hommes sont méchants ; ne dites jamais qu’ils ont tel caractère. Cherchez l’épingle. »
17h : Jusqu’alors, la journée s’était bien passée dans l’ensemble, je n’avais pas eu trop de contrariétés majeures. Bien entendu, c’était trop beau : allant récupérer mes œuvres exposées à l’école des Beaux-Arts, je constate que pour les fixer, on a employé… Du scotch et des pointes ! Résultat, je ramène trois dessins déchirés et deux troués… Ce n’est pas bien grave, je peux les réparer, mais j’avais déjà assez de choses sur les bras en cette période de l’année où je suis habituellement plus tranquille.
18h50 : Le ciel s’est voilé, ce qui rend l’air plus respirable. Comme je commence à en avoir vraiment marre d’avoir autant de choses en tête, j’envisage d’en profiter pour boucler ce qui peut l’être dans la soirée. J’espère donc qu’on ne laissera pas veiller trop tard le gamin du voisin qui annone je ne sais quelle chanson nunuche : je regrette déjà de ne pas pouvoir lui jeter des godasses comme on le fait pour les chats…
Jeudi 14 juillet
12h : Les choses s’amélioraient enfin, j’étais enfin venu à bout des travaux qui me plombaient. Mais là, je rentre légèrement irrité d’un aller-retour infructueux à Bellevue : j’avais pourtant pris la peine de téléphoner à la mairie pour m’assurer que le marché y aurait bien lieu aujourd’hui et que j’allais donc y retrouver mon marchand de montres d’occasion, en dépit du fait que ce jeudi soit férié. Mais quéquette ! Je ne sais pas ce qui m’irrite le plus : d’avoir été mal renseigné par une fonctionnaire assermentée, d’avoir pris la peine de me lever alors que j’avais encore sommeil, de m’être déplacé pour rien un jour où les transports en commun font le service minimum, ou de n’avoir toujours pas de montre en bon état de fonctionnement à me mettre au poignet… Sur le chemin du retour, j’ai croisé deux femmes en hijab, à peine moins austères que des carmélites : j’ai beau soutenir sincèrement les musulmans de France contre tous les fachos qui veulent les expulser voire les exterminer, je ne peux m’empêcher de trouver navrant de voir ça en France alors que les femmes iraniennes se battent contre le durcissement du port du voile ! Surtout à cette période de l’année où je n’ai que filles en bikini en tête… Décidément, ce mois de juillet est rude pour moi et la canicule n’y est pour rien, d’autant qu’un vent assez fort souffle sur Brest : le bon côté, c’est que ça rend les températures supportables, le mauvais côté, c’est que c’est moyennement agréable quand on s’est mis les genoux à l’air comme j’ai eu la mauvaise idée de le faire ce matin…
13h30 : En route pour la plage, dans le bus, je remarque, assise non loin de moins, une autre femme en hijab. Curieusement, elle ne me fait pas du tout la même impression que les deux pimbêches de ce matin. Il faut dire que sa tenue est plus chamarrée, plus élaborée même, je n’ai donc pas l’impression de voir une nonne. Ensuite, elle est nettement plus vieille : cette survivance vestimentaire d’un passé que l’on croyait révolu lui va donc comme un gant. Enfin et surtout, elle est large, imposante et semble autoritaire, il suffit de voir avec quelle poigne elle tient la main du petit garçon qui l’accompagne : de toute évidence, dans le cas de cette « reine mère » en version musulmane, le port du voile n’est pas un signe de soumission au mâle. De toute façon, demandez à mon père qui a vécu au Maroc : celui qui croit qu’une femme voilée est nécessairement faible et dominée n’a jamais vu une mère de famille maghrébine !
18h : J’ai bien profité de la mer, l’aller-retour s’est bien passé malgré cette satanée déviation, et j’arrive en centre-ville exactement à l’heure que j’envisageais. Bref, tout semble enfin bien se passer. Evidemment, ça ne dure pas : quand j’entre dans la friterie pour m’y sustenter avant d’aller à La Raskette pour la scène ouverte du jeudi soir, je tombe sur un groupe de cinq petits branleurs qui font mine de se battre entre eux ! Je n’ai jamais supporté la tension qu’apporte ce genre de scène, d’autant que j’ai toujours peur de recevoir un mauvais coup, pour peu que je me trouve au mauvais endroit au moment moment… Je commets alors une grave erreur imputable à un besoin de sérénité de plus en plus pressant : je menace d’appeler la police s’ils continuent ! Evidemment, ça ne les effraie pas du tout, ils me rient même au nez et ne me lâcheront pratiquement plus, avec leurs regards menaçants… Si je veux avoir la paix, il faudrait que j’apprenne à me taire !
18h30 : A la sortie de la friterie, l’un des branleurs est venu me retrouver pour me demander pourquoi je les ai (je cite sans fioriture) « insultés de connard » ! Je pourrais répondre que je n’ai jamais employé ce terme (même si je l’ai pensé très fort) mais sa phrase est une telle insulte à la grammaire que je préfère le planter là. Je prends le bus pour le port : il ne tourne pas à l’endroit où il le fait habituellement ! Ayant étouffé une brève envie d’étrangler le conducteur (ce qui aurait été quelque peu contre-productif, j’en conviens), je me renseigne auprès de ce brave fonctionnaire avec les restes de courtoisie qui me restent : il me répond que la ligne est déviée à cause du feu d’artifice qui sera tiré ce soir ! Il me rassure en me précisant qu’il ira tout de même jusqu’à mon arrêt, mais il ajoute qu’ensuite, plus aucun bus ne desservira le port jusqu’à demain : merci de me prévenir, j’en serai quitte pour remonter à pied jusqu’au niveau de la Place la Liberté… La série noire continue.
23h : Je pourrais vous raconter en détail ma soirée à La Raskette : je pourrais vous décrire ma joie d’avoir retrouvé Eléonore, la bonne impression qu’ont laissé mes slams, le plaisir que j’ai éprouvé à écouter les autres artistes qui se sont produits sur scène, la satisfaction que m’ont apportée les caricatures que j’ai faites, moyennant finance, pour deux jolies jeunes filles… Mais la bonne humeur accumulée dans le bar de la rue de la Réunion ne tarde pas à s’envoler : d’abord, remonter tout le port de commerce de nuit, en short et en sandales n’est pas une expérience des plus agréables, même si les températures sont clémentes. Si j’ai des ampoules, il ne faudra pas demander d’où ça vient ! Et ce n’est qu’un début…
23h15 : Je remonte les rampes qui accèdent au port. A ma grande surprise, elles sont pleines de monde ! Sincèrement, je ne pensais pas qu’il pouvait y avoir autant de monde pour s’intéresser encore aux feux d’artifice ! Quand on en a vu un, on les a tous vus, non ? Admettons que c’est tout de même un événement relativement rare qui, suivant la date où il a lieu, peut avoir un intérêt symbolique : dans ce cas, le badaud qui regarde avec ses yeux à lui est encore quelqu’un de bien, toutes proportions gardées, par rapport au blaireau qui braque déjà le ciel avec son smartphone pour tout filmer ! Et je ne suis pas sûr que la seconde race ne soit pas déjà majoritaire… Pour me donner du courage face à la côte que je dois grimper à pied dans les conditions assez spartiates qui sont les miennes (d’autant que je transporte mes affaires de plage et que j’ai donc un bras occupé !), je me donne du courage en chantant « Avec sa gamelle », ce qui, évidemment, me vaut assez vite d’être essoufflé et d’affronter quelques regards consternés… Décidément, dès que je sors de mon art, je ne suis plus qu’une merde !
23h20 : Alors que j’arrive enfin au bout de la zone fermée à la circulation pour les véhicules motorisés, j’entends qu’on commence à tirer le feu d’artifice ! Je ne m’attendais pas à ce que ça commence si tôt et j’ai encore du temps avant le passage du bus, alors je me retourne, ma curiosité étant éveillée : après tout, ce bazar m’a déjà valu assez d’ennuis, alors autant en profiter un peu moi aussi ! je reconnais que c’est un spectacle bien fait, mais je mentirais si je disais que ça va me laisser un souvenir impérissable. Et encore plus si je jugeais que ça valait tous les désagréments que ça m’a déjà apportés !
23h50 : Je suis quand même parti avant la fin, ne voulant en aucun cas rater le bus qui, je le sais, sera le dernier avant la fin du service… La station s’est vite peuplée : même en plein jour, je n’ai pas le souvenir d’avoir vu autant de gens attendre le bus ici ! Craignant de ne pas trouver de place, même debout, je me faufile jusqu’au bord du trottoir. Hélas, je ne suis pas au bout de mes peines : beaucoup d’autres bus sont déjà en retard, le boulevard est saturé par une circulation d’une densité rarissime à cette heure-ci, la foule devient de plus en plus impatiente et bruyante… Le cauchemar ne se décide pas à finir !
23h55 : Le bus de la ligne 2 se présente enfin. Un couple me barre le chemin : je les prie de s’écarter (peut-être un peu trop vivement mais sans grossièreté, je le jure), l’homme me répond « Ferme ta gueule » ! Déjà échaudé par cette rencontre pour le moins désagréable, je dois en plus tomber sur un os : le bus ne va pas vers Lambézellec mais, dans l’autre sans, vers le Technopôle ! Le chauffeur m’assure que le bus pour Lambé vient derrière… Heureusement que je ne suis plus au port, je me serais probablement déjà foutu à l’eau !
00h00 : J’attends toujours, prisonnier d’une foule de plus en plus impatiente et haineuse. J’ai une pensée pour une musicienne que je viens de rencontrer à La Raskette et qui, consciente de ce qu’implique la vie avec autisme, m’a demandé comment je faisais pour supporter la foule : je lui ai répondu simplement que je l’évitais ! Malheureusement, cette stratégie très simple n’est pas applicable dans tous les cas…
00h05 : Naturellement, ça ne pouvait pas rater : la rumeur selon laquelle plus aucun bus ne circulera avant l’aube commence déjà à se répandre. Quand une dame me relaie ce bruit, j’ai bien du mal à l’éconduire poliment… Je n’y crois pas, mais ça me rappelle trop ces fausses informations que mes « camarades » de collège faisaient courir pour foutre la merde et, plus particulièrement, me faire paniquer… Les hommes ne mûrissent-ils donc jamais ?
00h10 : Un premier bus, qui dessert Bellevue, se présente : mine de rien, plus de la moitié des gens montent ! La station est déjà en grande partie libérée : je pourrais être soulagé de ne plus être oppressé par la foule, mais l’angoisse de ne pas pouvoir rentrer chez moi me gâche ce plaisir. Je me vois déjà déranger mon frère en pleine nuit afin de lui demander de venir de Guilers me tirer de ce merdier : la simple perspective de devoir lui expliquer cette situation surréaliste m’angoisse ! J’ai déjà assez de mal moi-même à la comprendre…
00h15 : Mon bus arrive enfin ! Avec plus de vingt minutes de retard… Je ne peux évidemment pas en vouloir au chauffeur : mon premier geste est de lui demander, par sécurité, s’il va bien jusqu’à Lambé ; il me répond « bonsoir » ! J’insiste : il me répond encore « bonsoir » ! Ce n’est pas la première fois que je vois un conducteur faire la fine bouche sur les civilités, mais dans la situation présente, ça me paraît franchement déplacé ! Toutes proportions gardées, ça me rappelle un capitaine de bateau qui, voyant des naufragés sur des canots de fortune, n’accepterait de les laisser monter à bord de son navire qu’à la condition qu’ils lui disent « s’il vous plaît ». Ah mais suis-je bête, ça existe déjà : c’est ce qu’on fait pour les migrants… N’empêche, étonnez-vous, après ça, que les agents du service public se fassent agresser ! Je ne dis pas qu’ils le méritent, mais si les fonctionnaires faisaient plus souvent montre d’empathie face à certaines personnes en situation de détresse, les incivilités fondraient sûrement comme neige au soleil ! Une chose me frappe : je n’ai aucun mal à trouver une place assise et le bus, vide à l’arrivée, n’est rempli qu’à moitié ! Bref, il semble que les résidents de mon quartier n’ont pas été les plus nombreux à foncer sur le feu d’artifice comme les mouches sur autre chose : on ne pourra donc pas reprocher aux gens de Lambézellec d’avoir fait chier le monde, ça aura même été le contraire !
00h20 : Je déchante déjà : dès l’arrêt suivant, le bus se remplit à bloc ! Pour ne rien arranger, il est retardé par une altercation entre une femme et un homme qui l’aurait, semble-t-il, bousculée… J’ai une pensée pour le mois de juillet 2019 où tout se passait si bien : j’en déduis que la crise sanitaire a rendu les gens encore plus cons, égoïstes et agressifs qu’avant ! Si c’est ça le « monde d’après », ce n’était vraiment pas la peine de nous faire faire des sacrifices démentiels dans l’espoir vain de sauver des gens qui étaient déjà condamnés…
00h35 : J’arrive enfin à Lambézellec. L’honneur de mon quartier est sauf, le véhicule s’est déjà vidé en grande partie à mi-chemin : ouf, je ne vis pas entouré de blaireaux prêts à provoquer un bordel monstre rien que pour voir un feu d’artifice. Je pousse un soupir de soulagement, même si je dois encore rincer mes affaires de plage, ranger toutes les autres, prendre une douche… Curieusement, les derniers passagers parlent surtout de l’altercation survenue dans le bus et se plaignent peu des problèmes de circulation : résilience ou résignation imbécile ?
01h00 : Etant trop nerveux pour espérer trouver le sommeil, je relève mes mails : le vendeur que j’avais contacté de matin m’assure que la montre bon marché qu’il propose ne fonctionne pas et qu’il lui faudra une pile neuve… Je préfère renoncer et attendre tout de même le prochain marché de Bellevue. Un peu las, j’énumère les corvées qu’il me reste à accomplir avant de rejoindre mes parents en Sarthe : il me faut encore trouver la référence exacte d’une citation pour boucler un manuscrit, allez chez le coiffeur (car, au grand désespoir de ma mère, je n’y prends strictement aucun plaisir, même si l’artisan est sympathique et compétent) et, donc, aller au marché de Bellevue. Rien de méchant, finalement ! Mais je croise tout de même les doigts pour qu’il n’y ait plus d’imprévu…
Vendredi 15 juillet
11h30 : Après toutes les avanies d’hier soir, j’avais bien mérité une bonne grasse matinée, quitte à prendre le petit déjeuner à midi. Je somnole encore quand le téléphone sonne : comme je suis déjà remis de mes mésaventures de la veille, je me prends, dans un démentiel accès d’optimisme, à penser que c’est un être cher qui vient prendre de mes nouvelles ; je ne suis même pas déçu de voir s’afficher un numéro inconnu, je me dis que c’est peut-être un éditeur. Je décroche : c’est ma banque. S’inquièteraient-ils que je retire si peu d’argent depuis presque deux mois, grâce au liquide que j’avais accumulé à la Foire aux croutes ? Non : on m’appelle pour que j’active ma « clé digitale » sur « l’application »… Je réponds donc à l’employée qui est à l’autre bout du fil que je n’ai pas de smartphone, elle n’insiste pas et me souhaite une « agréable journée » avant de raccrocher : cette pauvre femme, probablement payée une misère pour ce boulot d’autant plus ingrat que tous les clients dérangés ainsi ne sont pas forcément aimables, ne se rend sans doute pas compte qu’à cause d’elle, ça commence déjà mal…
14h : En route pour la plage : dans le bus, une touriste allemande s’installe devant moi avec ses enfants. Déjà que je ne déborde pas d’estime pour les touristes, quelle que soit leur provenance, je ne peux m’empêcher de penser que ceux-là ont l’air particulièrement con ! Je sais que je suis peut-être injuste, que je ne devrais pas juger les gens d’après leur mine : mais quand je vois ces trois lardons à cheveux blonds à côté desquels je dois ressembler à Tarzan, je me dis que si je les mettais dans une caricature, les gens diraient que je vais trop loin ! L’envie me prend de faire un croquis de ces spécimens : mais avec les secousses du véhicule, impossible de dessiner ! Il me semble pourtant que quand j’avais commencé à faire des croquis sur le vif il y a quatre ans, je l’avais fait dans le bus sans trop de difficultés. Alors : ou bien la suspension des bus brestois se détériore, ou bien la route de Plouzané est plus accidentée que celle de Guilers que j’empruntais jadis, ou bien mon carnet à couverture souple est inadapté. En tout cas, c’est dommage : je croise souvent, dans les transports en commun, des tronches qui mériteraient vivement d’être couchées sur papier ! Les reportages dessinés de Cabu étaient parfois en-deçà de la vérité…
17h40 : Après un bon bain de mer et une séance de frigidarium (salle froide des thermes romains, ‘faut tout vous dire) dans un tram sur-climatisé, je débarque à la médiathèque des Capucins, à vingt minutes de la fermeture : c’est plus qu’il n’en faut pour retrouver la référence dont j’ai besoin, le livre concerné est dans la réserve, je n’ai qu’à donner les références à une bibliothécaire. Mais stupeur ! La porte de la réserve ne s’ouvre pas avec le badge dont elle dispose ! N’écoutant que son devoir, cette diligente fonctionnaire se met en quête d’un(e) collègue en mesure de faire entendre raison à cet huis rebelle. En attendant, je marine dans mon jus : pourra-t-elle m’apporter satisfaction avant que l’heure de la fermeture ne me contraigne à quitter les lieux ? Vais-je ENCORE être obligé de remettre à plus tard la finalisation de ce chantier pour lequel je n’ai plus besoin que d’une minuscule référence qui serait à portée de ma main si la manie du modernisme qui caractérise des dirigeants n’avait mis si tôt au rancard la bonne vieille clé traditionnelle ? Et bien non : on arrive à ouvrir cette maudite porte, on m’apporte le livre que je demandais, je retrouve sans peine la page dont j’avais besoin et je note la référence dont j’ai besoin. J’arrive enfin à bout de mes chantiers de pré-vacances ! Je me pince pour être sûr que je ne rêve pas…