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Huile de coude.

Publié le 08 novembre 2022 par Rolandbosquet

huile_coude

La lune baguenaude aujourd’hui en trajectoire montante et en phase décroissante. Le terrible nœud lunaire qui interdit toute activité au jardin s’est noué à 7h08’, bien avant que je ne décide d’écarter les couvertures et de poser le pied sur la moquette. Pour les jours suivants, je suis fortement invité à poursuivre ma non-activité en n’élaguant ni ne taillant les haies et en ne plantant ni fleurs ni légumes ; je ne saurais par ailleurs ni bouturer, ni tondre ni repiquer ; en un mot, j’ai interdiction formelle de me pencher vers le sol de mon potager, sauf, peut-être, pour arracher les carottes, les choux raves et les rutabagas qui composeront ma soupe de saison. Et la Terre sera sauvée ! L’écologiste de centre-ville ne mesure pas l’étendue des sacrifices imposés aux ruraux pour que notre planète continue de tourner rond pendant ses vacances à la campagne.   

En effet, le ciel est exceptionnellement dégagé ce matin et mille choses pourraient être réalisées ici ou là. Mais soucieux de respecter l’interdiction de travailler, nous nous retrouvons sur la place de l’église.  Plusieurs tables et des chaises pliantes d’un vibrant vert pomme du bistrot des Mégalithes tentent de trouver leur place sur les pavés inégaux et une dizaine de consommateurs sirotent paisiblement qui sa mousse locale, qui son Picon-bière comme Henri, l’ancien garde-champêtre, qui sa traditionnelle anisette comme Paul, retraité des Ponts de Marseille, et moi-même. Nous devisons bien sûr des tâches qui nous attendent au jardin lorsqu’une jeune femme se tourne vers nous. Je vous entends parler de la taille de vos haies et vous dites utiliser de l’huile de coude. Où est-ce qu’on en trouve ? Henri se lance dans l’écoute attentive des cloches qui sonnent leurs douze coups pour masquer un sourire qui pourrait être qualifié de moqueur. Paul, en revanche, du fait de son statut d’ancien ingénieur dans le Service Public, se doit d’apporter une réponse exhaustive à une question aussi cruciale. Il s’enquiert galamment d’une chaise pour notre interlocutrice et explique.

Vous avez certainement remarqué que les branches des chênes, sauf ceux à pédoncules bien sûr, et les hêtres à feuilles de fayards ont tendance à pousser d’abord presque à l’horizontale puis à monter vers la lumière. Ils marquent, ainsi, un coude qui s’affermit avec les années. Au mois de février, alors que la sève n’a pas encore commencé sa remontée, pratiquez à cet endroit une petite incision avec la pointe de votre opinel et vous verrez apparaître une huile jaunâtre. Vous la laissez couler dans un récipient, de préférence en verre. Mais attention, il faut surtout veiller à ce que ne coule pas également la sève, cela affaiblirait l’arbre, qui résisterait mal ensuite à l’attaque des parasites et autres pucerons néfastes pour son développement. Lorsque la sève apparaît, vous cicatrisez la plaie et vous l’obturez avec une bourre de poil de brebis allaitante. Ensuite, vous laissez macérer l’huile jusqu’au printemps et lorsque vous décidez de tailler vos noisetiers, vous nettoyez et aiguisez vos cisailles et vous passez l’huile sur les lames avec un chiffon. C’est naturel, c’est écolo et c’est efficace.

Tandis que nous regagnons nos voitures, Henri ne peut retenir son gros rire qui secoue sa bedaine et fait danser ses bajoues. Tu crois qu’elle va essayer ? Paul marque soudain le pas et le fixe d’un regard étonné. Tu ne l’as jamais fait, toi ? Mais non, dis-je, il n’a jamais su utiliser l’huile coude ! Et c’est à notre tour de faire résonner notre fou rire sur la place de la mairie. Vous me devrez la prochaine tournée, grogne notre souffre-douleur. Tout de même, ajoute-t-il, vous êtes durs avec cette parisienne ; vous saviez que c’est la fille de la Colette ? Nous avouons notre ignorance. Mais si, sa mère, une bien belle fille si on va par-là, avait marié l’aîné du percepteur ! Henri serait capable de dérouler la généalogie de tout l’arrondissement et, quand il commence, inutile de chercher à y mettre fin. Inutile même de l’écouter ! Il se met alors en position automatique et rien ne l’arrêtera. Ils sont comme cela, les vieux, à la campagne ! Et si vous venez les chatouiller avec vos SUV et vos 4X4, vous repartirez sur vos autoroutes de la Capitale, piteux comme chien galeux au fond d’une impasse sans avoir rien compris à leurs sarcasmes rigolards.


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