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Le sang de la cité.

Publié le 21 octobre 2022 par Rolandbosquet

Cite

On peut être un escolier de l’Université, maître même de la Faculté des Arts et néanmoins "indiscipliné". On peut être emprisonné à la suite d’une rixe, libéré, de nouveau enfermé pour cause d’assassinat, condamné à la pendaison et de nouveau gracié et être néanmoins un poète. Mais les enjoués perturbateurs de nos actuelles cités périphériques ne sont pas tous de futurs François Villon. Certains connaîtront peut-être une vague notoriété par la grâce de textes approximatifs scandés au rythme saccadé de musiques urbaines diffusés sur les réseaux sociaux mais la plupart, contrairement à notre François de Montcorbier, goûteront seulement les errances chaotiques de leurs incarcérations sans jamais laisser rien d’autre derrière eux que les archives judiciaires de leurs tristes exploits.

Il y a maintenant deux mois et plusieurs nuits de suite, une trentaine de ces joyeux lurons ont ainsi défrayé la chronique dans la Capitale du Département. Après avoir joyeusement mis le feu à une voiture, ils ont hélé les pompiers qui se sont bien sûr précipités … pour recevoir caillasses et insultes en remerciement de leur célérité. Appelées en renfort, les forces de l’ordre du gouvernement sont alors intervenues et ont joyeusement poursuivi les garnements dont certains, pour leur échapper, ont tenté d’escalader rebords de fenêtre et balcons des immeubles alentour, sous le regard amusé des locataires des appartements qui trouvaient ce programme bien plus divertissant que leur habituelle série télévisée. Cette anecdote, car il ne s’agit là bien sûr que d’une simple anecdote de banlieue, évoque irrésistiblement les courses échevelées du héros de Guillaume Chamanadjian dans son roman Le Sang de la Cité.

Nous découvrons avec lui une ville improbable, tentaculaire et hors du Temps. Des millions d’habitants s’entassent dans des constructions abracadabrantesques, vivent et commercent de mille trafics sous l’attentive surveillance d’autorités "ducales" à la tête de quartiers plus ou moins alliés mais toujours concurrents sinon même adversaires. Notre ami Nox, au passé confus et peut-être même imaginaire, évolue comme garçon d’épicerie-livreur sous la protection jalouse du Duc de son clan, la Maison de la Caouane. Expert en escalade de treilles, vignes vierges, escaliers dérobés et murs branlants, il connaît les rues, les établissements, leurs toits et leurs habitants aussi bien que le fond de sa besace. Nous humons en sa compagnie les folles odeurs des viandes grillées directement sur le trottoir, des salaisons artisanales, des étals de beignets aux parfums aléatoires, nous entendons la rumeur de la foule, les éclats des porte-faix avinés, les rires des dames patronnesses, les chants des enfants, les appels des vendeurs à la sauvette, nous traversons des places envahies par la cohue, nous évitons les artères dévolues aux dockers du port ou aux marins en bordée, nous nous glissons dans des passages sombres qui paraissent sans issue, nous frappons aux épaisses portes cloutées des bâtisses prospères comme à celles des veuves et des orphelins, nous saluons les commis, les mégères et les tâcherons miséreux autant que les serviteurs du "château" en soyeux habits chamarrés. En un mot, nous vivons au rythme de la Cité.

Or, à l’issue de circonstances inattendues, Nox entre en possession d’un livre qui éveille sa curiosité. Les pages lui révèlent non seulement de longs poèmes rapportant les contes et les légendes de l’histoire de sa ville mais également, noyé au milieu de ce fatras, un texte versifié différemment, comme si l’auteur avait volontairement cherché à en masquer le sens immédiat. Assis sur les ruines des anciens remparts désormais submergés par les constructions, il croit comprendre que le poète a calqué le pas de ses vers sur celui de la ville, son souffle, sa cadence, son oscillation, son mouvement.

Et c’est une terrible aventure qui l’emporte, propre à émouvoir, de canicules estivales en frimas hivernaux, le plus citadin des lecteurs comme le campagnard invétéré enraciné dans sa vallée perdue au cœur des Monts. (Le sang de la cité, Guillaume Chamanadjian, éd. Aux Forges de Vulcain.)


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