Avez-vous déjà ressenti cette tension qui émane du cœur, contracte les clavicules, oppresse les épaules et qui finit par courber tout le corps jusqu'à ce qu'il se roule telle une pelote de contrariété ? Avez-vous déjà touché du bout de vos doigts le crépitement qui appelle le contact physique tandis qu'un harpon paraît vous transpercer la poitrine et vous retenir en arrière ? Avez-vous déjà expérimenté cette sensation de pieds enfoncés profondément dans le sol, certainement en béton, qui vous empêche d'avancer ? Connaissez-vous ce nœud entre votre palais et votre langue, celui qui vous empêche d'énoncer les mots que vous voudriez réellement prononcés ? Ce nœud, on l'appelle de bien des manières. Les bonnes manières.
Contenir les choses en soi, est-ce bien la solution ? Dans un quotidien où l'on tente de se comporter en personne bien éduquée, nous suivons des règles innées ou apprises afin de vivre en société. Je ne parle pas de la comédie que l'on pourrait jouer dans certaines situations sociales pour des objectifs précis (vie professionnelle, par exemple), mais plutôt de ces gestes et convenances que l'on accepte malgré soi. Parfois ces convenances se muent plutôt en contenance afin de chiffonner ses réels sentiments, envies, besoins, pour les jeter dans une corbeille à papier. Mais une corbeille qui ne serait jamais vidée. Un peu comme celle que l'on garde sur son ordinateur jusqu'à oublier les fichiers qu'elle contiendrait réellement. Je n'ose regarder la mienne. Faut-il restaurer, faut-il vider définitivement ?
Une autre expression, celle de vider son sac. Elle évoque ce moment souvent cruel, autant pour le locuteur que pour le destinataire, où l'on déploie les voiles de ses sentiments. Ce qui a été contenu et qui demande à être étalé pour enfin avancé au gré du vent.
Regarde comme c'est joli.
J'ai lu, il y a bien longtemps, une théorie sur l'amour. Elle disait que nous avons tous différentes manières de donner et de recevoir l'amour. La mienne est de partager des choses, des informations, des images, des sons, des saveurs, des parfums. Ce sont des successions de dons factuels ou sensoriels que je sème dans des journées parfois tout à fait banale. C'est sans doute la façon la plus simple pour moi de dire à quelqu'un que je l'aime sans jamais être en mesure de pouvoir prononcer ces mots. C'est pourtant beau, de l'amour sincère. Pourquoi le cantonner à la sphère du couple ou de la famille alors que l'on pourrait l'exprimer pleinement et ressentir encore mieux la chaleur que cela nous procure ? Je repense à A. qui m'a un jour partagé un podcast parlant de cette forme d'amitié si forte que c'en est de l'amour. Est-ce encore une question de case, de contenance et de choses bien rangées ? Ces dons que je ne suis pas en mesure de réaliser, c'est cette tension qui loge entre mes clavicules. Elle part du cœur et me donne la nausée, tant elle est forte, tant elle voudrait sortir. Je crois que je souffre plus de ne pas pouvoir exprimer simplement l'amour qui essaie de s'échapper de moi, plutôt que de ne pas en recevoir. Aimer c'est donner, ce n'est pas s'attendre à recevoir.
Regarde comme c'et joli. Le ciel, il est toujours joli. Toujours changeant. Même gris, même tourmenté, je l'apprécie chaque journée. Je regarde les nuages qui rythment cette vaste toile et je profite du son de la pluie parcourant des kilomètres entre les nuages et le sol. J'observe la danse des oiseaux, les murmures, ceux qui volent en ballets et ceux qui logent dans mon esprit. Les yeux face au ciel, je murmure encore : " Regarde comme c'est joli. ".
Photographie prise avec un Fuji Instax Square.