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Croquer la pomme.

Publié le 10 avril 2023 par Rolandbosquet

massif

Tout aurait commencé dans un jardin.  La Genèse ne dit pas s’il ressemblait alors au parc du Château de Courson ou à celui de Buckingham Palace. Point non plus de banc en fonte aux pieds ouvragés pour vénérables dames percluses de rhumatismes, de statue de Vénus ni de nurses en uniforme tirant par la main de jeunes enfants réfractaires. Quoi qu’il en soit, la description qui en est brossée dévoile un très beau jardin avec des fleurs toute l’année, des arbres fruitiers divers et variés et un pommier.

En revanche, à aucun moment, il n’est fait allusion à d’éventuelles pelouses. Sans doute parce qu’aucun poste de jardinier n’y avait encore été créé. Les seuls êtres humains déambulant en effet sur la Terre de l’époque étaient précisément les deux et uniques résidents de ce jardin : Adam qui faisait la sieste à longueur de journée et Ève qui tenait à goûter à tous les fruits.

Hélas, celle-ci trouva un jour un serpent lové entre les pépins de l’une des pommes qu’elle croqua. Elle cria de surprise et jeta le trognon le plus loin possible. Fortement contrarié, le propriétaire les chassa l’un et l’autre sans ménagement avec interdiction de revenir. La nostalgie de ce magnifique jardin devait malgré tout demeurer profondément ancrée dans la mémoire des descendants de ces deux premiers locataires.

Les paléoanthropologues contestent aujourd’hui le récit de la Genèse. Elle ne relèverait que de la légende pure. Selon eux, la vie étant apparue dans les océans, il n’était pas possible qu’un jardin aussi bien entretenu ait pu exister. C’est oublier que les continents s’étendaient déjà un peu partout sur la planète. Ils formaient même d’ailleurs une ile si gigantesque qu’il aurait fallu plus d’une vie aux meilleurs marcheurs pour en arpenter les innombrables plages. On peut donc imaginer qu’à la suite d’une soudaine montée des eaux, un amphibien, las de n’avoir plus pied dans son marigot, se soit un jour échoué sur l’une d’elles pour souffler un peu. Trouvant le jardin admirable et à son goût, il s’y serait installé à demeure. On voit par-là qu’en laissant un peu de temps à Ève pour sortir de son bain on peut parfaitement réconcilier les deux hypothèses.

Quoi qu’il en soit, c’est probablement en souvenir de ces jours heureux que nombre de villes et de villages organisent de nos jours sur la place du marché des échanges de boutures de géraniums ou de plants de salade et de tomates. C’est pourquoi le jardinier d’aujourd’hui ne peut plus se contenter de faire la grasse matinée jusqu’à sexte et d’enchaîner après un frugal repas avec une sieste monumentale jusqu’à vêpres. Il doit se lever dès l’aube, adresser quelque prière à la lune pour obtenir l’autorisation de fendre la terre nourricière de son plantoir, se pencher avec révérence au risque de se briser les reins et glisser son plant, racine en avant, dans le trou constitué.

De nombreuses oraisons seront ensuite indispensables pour obtenir auprès des agents de la météorologie le beau temps nécessaire. Le soleil sur les tomates et les melons, la pluie sur les haricots, les choux et les poireaux, de la chaleur pour les radis roses et de la fraîcheur, le matin, pour la cueillette des fraises. La vie du jardinier est difficile. Ce qui explique pourquoi il s’assoit souvent sur son banc à l’ombre du tilleul pour souffler un peu à son tour.

Mais que ce serait-il passé si ce jardin extraordinaire si bien chanté par Charles Trenet ne s’était pas précisément situé en Normandie ? Ève n’aurait pas croqué la pomme… etc… etc. !


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