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Les tricoteuses.

Publié le 15 avril 2023 par Rolandbosquet

chaussettes

Les découvreurs de la fresque des danseuses de Jabbaren dans le Tassili n’Ajjer remontant à 6000 ans avant notre ère ne manquèrent pas d’être étonnés par la qualité du trait, sa puissance et sa légèreté. Outre la grâce naturelle des modèles, ils remarquèrent par ailleurs qu’elles étaient pudiquement revêtues d’un pagne. Un certain malaise, cependant, ne put les quitter. Comme lorsqu’un détail vous manque. Peut-être est-il insignifiant mais son absence brouille malgré tout une bonne compréhension du sujet.

Semblable sentiment devait pareillement troubler les archéologues qui examinèrent la dépouille d’Ötzi, le fameux homme des neiges européen. Il portait pour seuls vêtements un pagne en peau de chèvre maintenu par une ceinture en peau de veau, une grande veste en cuir de chamois et de bouquetin, des jambières attachées à la ceinture par des jarretelles, une cape en fibres végétales tressées et un bonnet de fourrure en peau d'ours. Là encore, il manquait un élément important sinon même crucial dans cette énumération. Mais ils ne parvenaient pas à l’identifier. La communauté scientifique internationale en serait sans doute venue un jour à désigner un expert pour mener l’enquête et résoudre cette énigme d’autant plus importante que la victime avait été retrouvée au cœur des Alpes, à 3210 mètres d’altitude dans le glacier de Hauslabjoch. Mais le fils cadet de l’un des stagiaires en faction devant le corps de cet ancêtre de monsieur Perrichon devait éclaircir le mystère. « Il n’a pas ses chaussettes ! »

On s’alarma. On reprit la liste des hardes qui habillaient le brave homme. On pointa, on cocha, on vérifia. Rien n’y fit. Tous les éléments avaient été correctement répertoriés. Il fallut se rendre à l’évidence. Ötzi ne portait pas de chaussettes en dépit du froid, du vent et de la neige qui allait l’ensevelir. En réalité, cette absence est tout à fait logique. Les historiens ne relèvent la première utilisation de chaussettes que 2000 ans avant JC dans l’actuelle Syrie, soit 1300 ans après notre homme. La chaussette devait par la suite connaître des fortunes diverses avant de chausser le pied et la jambe entière jusqu’au genou. Elle connut son apogée pendant la première guerre mondiale lorsque des cohortes de tricoteuses s’armèrent de leurs aiguilles pour approvisionner les hommes partis au front. Ce sera sans aucun doute l’un des aspects les plus ignorés par les cérémonies de commémoration qui pullulent actuellement par tout le territoire. L’abnégation de ces femmes assises dans l’âtre à longueur de soirée pour tricoter les précieuses protections n’en mérite pas moins d’être reconnue. Elles faisaient non seulement preuve d’un grand courage mais elles montraient surtout un bon sens et un amour qui manquait alors cruellement dans les états-majors.

On voit par là qu’en périodes troublées et avec des gestes simples l’homme et surtout la femme peuvent aider le monde à tourner un peu moins de guingois.


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