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1947 - Martin Heidegger

Publié le 18 avril 2023 par Perceval

1947 - Martin HeideggerLouis Pauwels 1955

Louis Pauwels (1920-1997), journaliste à Combat, voudrait rencontrer Heidegger. Lecteur au Seuil, il vient de publier un roman, '' Saint Quelqu'un '' qui retient l'attention des critiques. Lancelot a été séduit. Il s'agit , d'un homme ''ordinaire'' qui est amené suite aux circonstances, à '' s'évader '' de sa vie. C'est en effet, l'objet de la recherche de Pauwels. Un soir, il entretenait ses collègues à s'intéresser à Sri Aurobindo, du côté de l'Inde ; il voyait chez ce maître un dépassement de certaines limites dans lesquelles nous serions, nous chrétiens, enfermés. Son héros, a du mal lui-même à se situer " Je ne suis plus, pense t-il, je suis tout ce qui existe, je suis la lumière de ce qui existe. ". Ce détachement de soi, recherché dans le yoga, rejoint ici une extrême insensibilité qu'il va éprouver devant le cadavre de son petit garçon... C'est aller trop loin, pense Lancelot.

Pauwels s'enquiert auprès de Lancelot, de la difficulté à joindre Heidegger. D'autant que le conseil de l'Université de Fribourg a édicté à son encontre une interdiction définitive d'enseigner, en janvier 1946, en raison de son engagement nazi. Pourtant, depuis, que Sartre a fait, dans L'Etre et le Néant, référence au ''maître de Fribourg'', sa notoriété ne fait que grandir en France.

Précisément, en 1947, Martin Heidegger (1889-1976) s'adresse à ses disciples français, dans une '' Lettre sur l'humanisme'', et revient sur sa pensée depuis '' Etre et Temps'' (1927 - Sein und Zeit ). Lancelot et Pauwels se remémorent le concept qu'Heidegger a avancé avec le mot '' Dasein '', il peut se traduire par '' être-là'' '' être-présent'' et renvoie au mode d'existence de l'homme en tant que son être propre lui importe et en tant aussi que la possibilité de sa mort lui est constamment présente.

1947 - Martin Heidegger
Heidegger

- En effet, cela va plus loin que le ''cogito'' de Descartes : ce n'est pas seulement le ''je'' qui pense, et qui en déduit qu'il ''est''.

- Comment Heidegger en arrive t-il à critiquer l'humanisme ?

- Aujourd'hui, l'humanisme affirme une volonté, vecteur d'une liberté capable de se façonner elle-même, sans essence qui précéderait son existence, propriétaire de la nature.

Heidegger montre que cette conception humaniste de l'homme tend à l'enfermer dans une seule vision de la réalité.

- Ah ? Pourtant, on peut être humaniste avec des visions différentes de la liberté, et de la ''nature '' de l'homme. Marxisme, existentialisme, christianisme, se réclament de l'humanisme ; ils sont différents ... ! ?

- Oui, et - c'est essentiel - ils " tombent pourtant d'accord sur ce point que l'humanitas de l'homo humanus est déterminée à partir d'une interprétation déjà fixe de la nature, de l'histoire, du monde, du fondement du monde, c'est-à-dire de l'étant [ce qui est] dans sa totalité. ".

- Le problème, ce serait cette interprétation fixe ?

- Et son caractère universel.

- Heidegger s'écarte de l'existentialisme selon Sartre, non ?

- Pour Sartre, l'humanisme consiste à affirmer l'individu et à le poser comme fondement de la valeur. Pour Heidegger, l'humanisme est " souci de l'Être ".

- Nous ramenons souvent l'humain à sa pensée, une pensée technique ( penser avant de faire) pour maîtriser le monde. L'homme est ''humanitas'' avant d'être un animal rationnel.

- D'ailleurs Heidegger nous invite à " réapprendre à habiter le monde en poète "

- Je reprends là un petit extrait de son texte : " Ce n'est qu'à partir de la vérité de l'Être que se laisse penser l'essence du sacré. Ce n'est qu'à partir de l'essence du sacré qu'est à penser l'essence de la divinité. Ce n'est que dans la lumière de l'essence de la divinité que peut être pensé et dit ce que doit nommer le mot ''Dieu'' " ( Lettre sur l'humanisme ...)

Cela pourrait signifier que : - Ce n'est plus l'Être qui vient de Dieu, c'est Dieu qui vient de la vérité de l'Être...

- Si je reformule : L'être est ce qui fait advenir autant la divinité que l'humain. Dieu ne peut être sans l'être. Nous ne pouvons savoir ce qu'est Dieu, nous avons seulement accès à l'expérience que nous faisons de ce dieu.

Nous n'irons pas plus loin dans cet échange ; d'autant que chacun reconnaît la complexité de la pensée de Heidegger, et de plus, à partir d'une traduction.

1947 - Martin Heidegger
Martin Heidegger

Lancelot, prévient Pauwels que '' l'ermite de la forêt noire '', redoute en effet la visite de français qui ne cessent de le solliciter. S'il n'est pas en son domicile de Fribourg, il sera dans sa retraite de Todtnau Bord ( la montagne de la mort...?). Son refuge est un petit chalet, avec une pièce dortoir et un bureau. L'occasion sera un article pour la revue Fontaine.

C'est finalement, Alexandre Astruc, qui remplit cette mission.

Heidegger, dans son refuge, est en pleine méditation sur la bombe atomique, qui a " une importance capitale dans le domaine de la métaphysique. Elle marque la fin de l'âge technique. C'est son aboutissement, vous comprenez... Il y a eu Descartes, Leibniz, le machinisme. Mais, ici, la technique se détruit elle-même. " (...) " Ce qui est capital, ce n'est plus la découverte technique elle-même, mais la conscience que l'homme a de pouvoir détruire la création. J'insiste sur ce terme de ''conscience ''. "

Astruc l'interroge sur la liberté et la morale : " Il ne faut pas oublier que la réalité humaine (l'existence) est aussi vérité, c'est-à-dire valeur. Dans la vie banale, nous n'avons pas conscience de cette valeur. C'est le rôle de la métaphysique comme de l'art de la révéler à l'homme. Cette vérité existe indépendamment de l'homme, elle est avant lui. "


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