NAAMAN
Comédie biblique en 5 actes
Naaman : Général de l’armée Syrienne
Farika : sa femme
Léa : 16 ans, esclave juive
Ben-Hadad : roi de Syrie
Joram : roi d’Israël
Josaphat : roi de Juda
Malia et
Salia : courtisanes
Nazar : prêtre de Rimmon
Élisée : prophète d’Israël
Guéhazi : Serviteur d’Elisée.
Un serviteur de Joram
La scène est à Damas et en Israël au Xe siècle avant J.C.
Source : La Bible : Deuxième livre des Rois, chapitre 5.
L’auteur, bien que très attaché aux Saintes Ecritures, a pris la liberté d’ajouter un peu de fiction au texte biblique. Principalement : Malia et Salia, les groupies de Naaman, et Nazar sont des personnages fictifs. Le nom de la femme de Naaman et de la jeune esclave nous sont inconnus et la jeune fille n’a certainement pas accompagné Naaman dans son voyage.
ACTE PREMIER
Damas, le temple de Rimmon.
Scène première
MALIA – SALIA
SALIA
Malia, si fidèle au temple de Rimmon !
MALIA
Es-tu venue louer ce grimaçant démon ?
SALIA
Salia, n’en déplaise aux dieux, ma foi est nulle,
Et je n’adore pas sa statue ridicule.
MALIA
Du grand prêtre Nazar n’as-tu aucune peur ?
SALIA
Ni des dieux ni des hommes, ni crainte ni terreur.
Non, c’est un autre dieu que j’attends dans ce Temple,
Ni de bois, ni de pierre, mais qu’il soit leur exemple ;
Un homme au bras puissant, au visage charmant,
Un héros merveilleux.
MALIA
Naaman ?
SALIA
Naaman.
Pour le toucher des yeux je donnerai ma vie.
Pour mon impiété je puis être punie,
Mais Malia, je l’aime, et je l’aime à souffrir,
Et c’est un beau présent que ma vie lui offrir.
MALIA
Crois-tu que pour les yeux de ce monstre d’albâtre
Mes pieds courent si prompts à ce temple idolâtre ?
Je suis venue le voir en ce sinistre endroit.
Naaman va entrer, accompagnant le Roi.
J’aime le beau guerrier, tout en moi le désire,
Mon cœur est abattu et mes lèvres soupirent.
SALIA
Vois, d’autres courtisanes se rassemblent ici ;
Les filles de Damas, toutes à sa merci,
Pour un fil de ceinture, pour un morceau de laine,
S’arrachent les cheveux dans la rage et la haine.
MALIA
Hélas, que ferons-nous ? Nous taire et l’adorer ?
SALIA
Nous presser près de lui.
MALIA
Il va nous ignorer.
SALIA
Contraignons Naaman de nous prendre pour femme.
MALIA
Une épouse déjà accapare son âme.
SALIA
Séduisons-le. Peut-être il la répudiera.
MALIA
Tendons-lui maintenant le piège de nos bras.
SALIA
Cesse donc de rêver.
SALIA
Notre rêve est suave.
SALIA
Pour demeurer chez lui vendons-nous comme esclave.
MALIA
Une fille déjà occupe sa maison :
Belle enfant du pays du vieux roi Salomon,
Ramenée prisonnière, une humble et pauvre juive.
On la dit fort aimable.
SALIA
Elle est plutôt naïve.
MALIA
Une innocente fille enlevée à douze ans,
Condamnée à servir auprès de Naaman.
MALIA
Mais je vois s’approcher notre vielle rivale.
Plus un mot de ceci, voilà la Générale.
(Entre Farika.)
Scène II
MALIA – SALIA – FARIKA
FARIKA (à part)
Ces jeunes insensées chaque jour face à moi !
Que je sorte à la ville et partout je les vois.
(à Malia et Salia)
De quoi discutiez-vous, courtisanes légères ?
SALIA
Ceci seul nous concerne, irascible mégère.
FARIKA
Toujours aussi hautaines, et sans aucun respect.
SALIA
Avant votre venue nous conversions en paix.
FARIKA
Vous parliez de Léa, la jeune prisonnière.
MALIA
Nous vantions sa bonté, ses si pures manières,
Disions du Général qu’il était bien servi
Et qu’il avait tout lieu d’être un maître ravi
D’avoir une servante aussi douce et fidèle.
FARIKA
Les affaires du maître vous concernent-elles ?
Devez-vous chaque jour au temple et au palais
Veiller sur sa personne ? Répondez s’il vous plaît.
SALIA
Nous sommes ici-bas de modestes suivantes
D’un puissant souverain, dociles et servantes ;
La naissance a permis d’habiter chez le roi,
Nobles filles de cour et rangées sous sa loi.
Souffrez qu’à la Syrie, ses guerres et victoires,
Ses pertes et conquêtes, sa gloire et son histoire
Nous soyons attentives. Et les derniers hauts-faits
Du Général en chef, et son nouveau succès,
Nous comble de ferveur dans le cœur et dans l’âme,
Et nous ne voulions pas vous offenser, Madame.
Mais pour féliciter le maître Naaman
Vers lui nos pas ici courent innocemment.
FARIKA
N’est-il aucune borne à votre hypocrisie
Et prenez-vous plaisir avec ma jalousie ?
Voulez-vous devant moi provoquer mon époux,
Attirer ma fureur et ma rage sur vous ?
Mais voici Ben-Hadad. Que nos querelles cessent,
Et daignez vous conduire comme dignes princesses.
Scène III
MALIA – SALIA – FARIKA – BEN-HADAD
Jusqu’à l’entrée de Naaman, la scène va se remplir de figurants : courtisans, soldats, prêtres, gens du peuple.
BEN-HADAD (à Malia et Salia)
O bonjour, jolies demoiselles.
MALIA
Sire, mon Roi,
Un si beau compliment nous transporte d’émoi.
Nous mettons notre honneur et notre art à vous plaire.
BEN-HADAD (à Farika)
Ô dame Farika, quel grand plaisir, ma chère,
De vous trouver ici au pied de cet autel
Où nous célébrerons d’un rite solennel
La brillante victoire, qu’au peuple de Syrie,
Rimmon a ordonné pour sauver la patrie.
Il a choisi un homme, héros fier et vaillant
Qui vous choisit un jour pour femme : Naaman.
Le peuple de Damas en ce temple se presse
Pour l’homme qui brisa la fougue vengeresse
Des soldats de Ninive, guerriers forts et cruels.
Homme ardent et divin, héros providentiel,
Nous voulons lui offrir une cérémonie
Et le rétribuer, couronner son génie.
FARIKA
Ô grand maître sublime, souverain merveilleux,
Au nom de Naaman, en ce jour glorieux,
Je dépose à vos pieds toute ma gratitude,
Toute ma loyauté, mon humble servitude.
Mais souffrez qu’à présent je m’engage en chemin,
Rejoindre Naaman et lui tendre ma main.
BEN-HADAD
Ne craignez rien, Madame, rejoignez le bon maître,
Et qu’à son bras ici nous vous voyons paraître.
Mais je vois de Rimmon le noble serviteur
Qui sait de tous les dieux recevoir les faveurs.
SALIA
Voici venir le prêtre aux sinistres augures.
Composons-nous céans de pieuses figures.
Scène IV
MALIA – SALIA – BEN-HADAD – NAZAR – figurants
NAZAR
Sire, soyez béni.
BEN-HADAD
Tout est-il prêt, Nazar ?
NAZAR
Tout. Et je n’ai laissé nulle place au hasard.
Tout sera magnifique, et la cérémonie
Digne de notre Roi, en ordre, en harmonie.
Pour rendre hommage à Naaman, le Général,
Nous avons préparé un culte magistral.
Rimmon sera heureux. D’opulentes offrandes
Lui seront dédiées : des bœufs dont la viande
Rôtira sur l’autel ; agneaux, chèvres, béliers,
Canards, dindes, faisans, chevreuils et sangliers.
Aucun roi, aucun dieu, aucun maître semblable,
Ne s’est vu présenter une aussi belle table :
Légumes colorés, riches et gras épis,
Les fruits les plus sucrés, les vins les plus exquis.
BEN-HADAD
Dis-moi, qui doit payer toute cette abondance ?
NAZAR
Le peuple, évidemment, pourvoit à la dépense.
Je l’exhorte à donner, dans mes brillants sermons,
Pour attirer à lui les grâces de Rimmon.
BEN-HADAD
La générosité devrait le satisfaire
Et nous manifestons une foi exemplaire.
Des faveurs de ce dieu nous sommes assurés.
Sur Naaman, Rimmon t’aurait-il murmuré
Quelque bénédiction, quelque douce promesse :
La santé, le bonheur, l’amour et la richesse ?
T’a-t-il dit que sur lui ses bienfaits répandus
Devaient récompenser les services rendus ?
NAZAR
Hélas !
BEN-HADAD
Quoi ?
NAZAR
La terreur et l’angoisse me rongent.
Par trois fois le grand dieu m’a parlé dans un songe.
J’ai imploré Rimmon, j’ai pleuré, j’ai jeûné,
Mais, hélas, Naaman est déjà condamné.
Mon dieu l’a révélé dans une liturgie
Et me l’a confirmé par le foie d’une truie.
BEN-HADAD
Que va-t-il arriver ?
NAZAR
La mort le rongera.
Un mal qui n’a pitié sa chair ravagera.
BEN-HADAD
N’avons-nous de recours que subir en silence ?
NAZAR
Notre dieu a déjà prononcé sa sentence.
BEN-HADAD
Nazar, pour son salut ne pourrions-nous souffrir ?
Quelque pieuse action ferait Rimmon fléchir ?
NAZAR
Une nouvelle offrande, un dévot sacrifice
Pour Naaman rendra l’excellent dieu propice.
Rimmon a soif d’argent, il réclame de l’or.
Donne-lui sans peser, donne-lui plus encor :
Le cœur tout palpitant d’une vierge innocente,
D’une fille au cœur pur, victime consentante,
Une enfant dont le corps ne s’est point débauché,
Et que jamais les mains d’un homme n’aient touché.
SALIA
Entends-tu comme moi ces funestes paroles ?
Pour sauver Naaman une fille on immole.
MALIA
L’aimerais-tu au point de mourir sur l’autel ?
SALIA
Jusqu’à mourir, je l’aime. L’amour est éternel.
Pour le beau Naaman je sacrifie ma vie.
MALIA
Mais la gorge tranchée ! Je n’en ai point envie.
SALIA
Je vais trouver Nazar.
(à Nazar)
Ô maître vénéré.
N’as-tu pas à l’instant par tes mots assuré
Que le sang immolé d’une fille pieuse.
Rendrait à Naaman une vie bienheureuse ?
Or nous craignons Rimmon et voulons le servir,
Et pour notre héros je veux mon corps offrir.
Qu’il accepte aujourd’hui mon sang, ô grand apôtre.
NAZAR
L’ultime condition vous exclut l’une et l’autre.