Magazine Journal intime

La dame de la librairie

Publié le 18 décembre 2008 par Stella

Elle est redoutable et, comme tous les êtres de sa catégorie, elle attire autant qu’elle fascine, elle enthousiasme mais non sans provoquer une pointe d’inquiétude. Etre son amie relève d’un statut difficile à obtenir, la joie qui en découle en est la précieuse récompense. Elle est loyale et juste, pertinente dans ses analyses et plus protectrice qu’un abri anti-atomique. La vie s’étant amplement chargée de lui durcir la peau, en échange de son attention elle exige la même loyauté, la même franchise, la même justice et c’est là que nous, misérables mortelles, réalisons combien il est difficile d’être “quelqu’un de bien”. Nous avons si souvent recours au petit mensonge miteux, comme celui qui consiste à dire qu’on n’a pas eu le temps pour signifier qu’on a oublié de lui téléphoner…

Elle est dotée de connaissances extraordinaires, que d’aucuns jugeraient même extravagantes. Elle les partage, les transmet parfois mais avec une parcimonie qui pourrait relever d’un amour immodéré du secret si ce n’était plutôt dicté par un serment très ancien et très mystérieux. Nous devons donc nous contenter de quelques bribes, grignotées de ci, de là, au hasard d’une envie qui lui prend d’organiser un stage, un séminaire, une réunion. Alors, nous touchons du doigt avec cet étrange frisson du profane, un monde ignoré et vaste, une autre planète.

Du fond de sa boutique, qui ressemble peu ou prou à une caverne d’Ali Baba, elle jauge le chaland qui s’approche, intimidé. Celui-ci traverse avec circonspection un espace piégé par divers présentoirs, jette un coup d’oeil prudent sur les images des saints, les livres de prédictions, les encens précieux et les poudres magiques. Son nez perçoit un parfum mélangé de cire et de musc, une odeur étrange et profonde qui l’intrigue. Il note avec étonnement la présence d’un chat du Cheshire, d’une taille hors norme, le menton en avant, qui cligne des yeux vers lui, l’air faussement indifférent. Les murs couverts d’étagères sont emplis de mille et une choses inconnues, des manuels, des traités, des grimoires, clefs des songes soigneusement fermées sur leurs incompréhensibles secrets. Jusqu’au sol, des bougies multicolores s’empilent. Elles côtoient, sans le savoir, les sages neuvaines. Des pierres venues du fin fond du monde luisent doucement. Frileusement rassemblées par couleur dans de petits paniers, elles invitent la main fureteuse à se saisir d’elles, à les soupeser, à s’en faire des amies. Dans une vitrine, les tarots attendent de dire leur avenir et fixent de leur visage tutélaire les figurines sacrées, “mes bondieuseries”, comme les appelle la maîtresse des lieux.

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Attentive, un brin bourrue, elle s’enquière sans ménagement des intentions du client. “Je cherche une pierre philosophale…” bredouille ce dernier, impressionné. “Ah monsieur, moi aussi !”, lui assène notre amie, péremptoire. Son regard malicieux, qui passe au-dessus de ses lunettes, congédie l’intrus sans autre forme de procès. “Au revoir, monsieur, bon courage !” lui lance-t-elle, riant sous cape. Elle peut alors se retourner vers son ordinateur, sa véritable fenêtre ouverte sur le monde entier et qui l’informe, en temps réel, des faits et gestes de ses amis, de ses ennemis et de toutes les sociétés, petites ou grandes, ouvertes ou fermées, auxquelles elle s’intéresse.

C’est pour cette raison qu’on ne peut rien lui cacher, pas le moindre petit morceau de mouche ou de vermisseau… Elle sait tout, elle suit tout et nous, ignorants informes, sommes là comme de pauvres piou-pious à tenter de grapiller un peu de son savoir. De consultation, nous n’aurons point, écartés d’emblée par notre statut. Mais si le sort sur nous s’acharne, elle n’aura de cesse de nous conseiller et d’intercéder. Ses pouvoirs ne sont pas grands, ce sont ses capacités qui sont infinies.


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