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Révolte du petit Jésus ? (confessions 2)

Publié le 19 mai 2009 par Didier T.
Révolte du petit Jésus ? (confessions 2)Ce petit garçon blond, aux cheveux mi-longs et bouclés, accompagné d’une petite fille, comme lui, toute de blanc vêtue, tous deux portent d’une main le même panier rempli de fleurs, monte les marches d’un calvaire dominé par une statue de la Sainte Vierge à l’occasion de fêtes de l’Ascension destinées aux malades de l’hôpital maternel. Ce petit angelot se serait-il reconnu dans ce révolté permanent ?
Cette révolte à fleur de peau l’avait insidieusement envahi au rythme des questions auxquelles il n’avait su que répondre.
A chaque rentrée scolaire, le scénario inexorablement se répétait : remplissez votre fiche personnelle et écrivez de façon bien lisible:
Nom du père : date de naissance :
Nom de la mère: date de naissance :
Profession du père :
Profession de la mère :
Adresse :
Votre date de naissance :
École fréquentée l’ année précédente:
Pour les nouveaux élèves : raisons du changement (déménagement, autre)
Comment déjouer une aussi violente irruption dans votre vie privée ?
Comment s’assurer que les réponses fournies ne vous catalogueraient pour une année entière parmi les éclopés de la vie ?
Pire encore, imaginer les échanges d’informations dans la salle des professeurs et les commentaires subséquents.
Un enfer quand on porte en soi ce qui devrait rester secret.
Car enfin, difficile de s’inventer un père. Bien sûr, « Notre père qui êtes aux cieux… » aurait pu être une réponse satisfaisante dans cet environnement curaillon. On aurait alors plaint tout haut ce pauvre enfant privé trop tôt de son papa. Mais au lieu de noter la date de naissance, il eut fallu indiquer la date de l’enterrement de celui qui n’était peut-être même pas mort. Equation impossible à résoudre.
D’ailleurs le sort en était jeté puisqu’il avait déjà menti à ses nouveaux camarades de classe quand dans la cour chacun comparait les mérites respectifs de son géniteur. Non pas qu’il se soit vanté, loin de là.
Par une indiscrétion de sa Tatate Kiki qu’il ne cessait de questionner sur ce « cher disparu », il avait appris que son géniteur s’était présenter comme artiste peintre. Mais que de l’avis de la Tatate, dans le tableau qu’il avait peint de sa mère, la seule chose ressemblante était la couleur du chandail qu’elle portait alors….
Un mauvais peintre en plus !
De quoi inscrire à la rubrique « profession du père » : peintre en bâtiment.
Il y avait songé le bougre et s’il avait été tenté plus d’une fois de mettre sa menace à exécution lors de la prochaine vague d’interrogatoires, il en avait repoussé l‘échéance au motif que sa supposée origine italienne (Tatate dixit) pouvait laisser supposer une filiation adultérine ancestrale d’avec un des maîtres du Claroscuro ou du Caravage et pourquoi pas du grand Michel-Angelo dont il avait des images.
Protégé par cette ascendance putative, l’artiste peintre en bâtiment s’en tirait au mieux quand le gamin résigné, face à la mention « nom du père » inscrivait rageusement : Sans.
Tous comptes faits, nourri des livres d’images chrétiennes du curé hospitalier, pourquoi se serait-il plaint alors que, fruit de l’immaculée conception, il se retrouvait dans la même situation que le petit Jésus ? Cette pirouette lui permettait d’assumer un état civil particulier.
En fait, ce n’est pas l’absence d’un bras protecteur qui lui pesait, pas plus que les lazzi éventuels de ses camarades de récréation qu’il avait dû plusieurs fois corriger de ses poings quand ils le poursuivaient aux cri de « putain d’ta mère ». Fille mère, ce n’était pas bien vu. Non, c’était beaucoup plus complexe, plus prégnant, plus insidieux. Ceux de ses copains qui avaient perdu leur père, suite à un accident ou une maladie, avaient, eux, un visage à décrire, le souffle d’une voix à imiter, une histoire vécue à raconter.
Lui, il n’avait rien. Le vide total d’un silence glacial, le trou noir qui avale tout, y compris sa propre identité. D’ailleurs, souvent il se disait n’être que le fruit d’une erreur, parfois c’était à la maternité que l’on avait mélangé les berceaux, ou alors, plus tard il se résolut à n’être ( « à naître » oserais-je dire) qu’une erreur de jeunesse. Muni d’un tel viatique, pouvait-il réussir sa vie d’homme ?
Publié par les diablotintines - Une Fille - Mika - Zal - uusulu

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