Magazine Journal intime

# o2 — CITIZEN BRIGITTE

Publié le 26 novembre 2009 par Didier T.
Bon ben la suite, alors. Le jour où vous en avez marre, suffit de dire —en ce domaine je suis invexable, je remets juste dans ma guitare.
# o2 — CITIZEN BRIGITTE
— "Et pour mon chien, vous me mettrez un stèque d'ouvrier!"
Dans une boucherie, voilà une parole qui occasionne fatalement son petit effet chez les clientes qui attendent leur tour de saucisses à coup de considérations géostratégiques genre "et vous avez appris pour la pauvre petite Mélanie Froissard qui vient de revenir en catastrophe de Besançon où qu'elle recevait des cours d'arts soi-disant plastiques?".
Celle qui avait demandé ça, le “stèque d'ouvrier" pour son chien, c'était une bonne dame bien sur elle et tout et tout, habillée comme l’épouse de notable local qu’elle devait être. Consternation ménagère dans la boucherie remplie de femmes d’ouvriers, vous imaginez.
Si j'ai entendu parler de cette histoire c'est parce que dans la queue à la boucherie se trouvait une camarade à moi, Brigitte, une que je connais assez bien. Brigitte et moi on a bossé en binôme pendant plusieurs mois dans la même usine, elle dans les papiers et moi dans les palettes —on a eu le temps de faire connaissance, passer outre les apparences.
C'est une maman, Brigitte, la trentaine finissante, une femme qui c’est bien légitime pense avant tout à l’avenir de ses mômes. On s'entendait bien. Quand c'était nécessaire, au boulot on jouait les duettistes face aux contrariétés —elle dans l'attaque, moi dans la couverture, un duo au point. Dézingueuze de fâcheux elle possède un sens de la répartie qui m’a souvent scié, et une aptitude à ne pas se laisser marcher dessus ma foi bien agréable à observer dans ses œuvres —ce n'est pas pour rien que la Brigitte on l'avait élue dans les délégués du personnel pour nous défendre face aux ravages de la mondialisation qui conduit l'humanité à l'extinction imminente, ou quelque chose d’approchant, du moins si j’ai bien compris les tracts.
Alors la Brigitte qui va chercher sa barbaque de midi avec ses vingt ans d'usine au cul de son CV plus les vingt ans de son mari qui font quarante, cette histoire de "stèque d'ouvrier", vous imaginez, ça l'a rendue joviale comme Chirac offrant son soutien spontané à Sarkozy. Une autre qu'elle aurait incendié la bonne dame. Mais ce n’est pas son genre d’insulter les gens, Brigitte. Elle a tapé sur l'épaule de la cliente et demandé:
— "Il est jeune au moins, votre chien?"
La dame a répondu que oui, un jeune chien. Alors la Brigitte a regardé le boucher et gueulé:
— "Et pour mon ouvrier, vous me mettrez un stèque de jeune chien!"
Quand dans une boucherie la consternation passe direct à l'hilarité, ramdam pour la bonne dame... Surtout que la Brigitte ne l'a pas lâchée, l'autre, elle l'a suivie jusqu'à sa voiture, chouté dans un pneu, et elle a dit:
— "Oh là!... c'est des roues d'ouvrier, ça... c'est du suicide."
Et là j'imagine trop bien le visage de Brigitte regardant la bonne dame rentrer vers son souhitehome... sans doute à peu près la même expression que ce jour où l'on se fumait une cigarette entre deux camions, qu'un cravateux qui passait par là a dit "c'est interdit de fumer en dehors des pauses" et qu'elle lui a répondu tac au tac, façon Arletty: "et c'est autorisé, les mains dans les poches?", qu'il en est resté tout nigaud sans oser les sortir, ses mains, pauvre homme, il me regardait, il cherchait de l'aide. J'essayais de lui faire comprendre des yeux: "insiste pas, tire-toi, ou grilles-en une avec nous..." —ce qu'il a fait, d'ailleurs, le directeur de je ne sais quel secteur, se barrer tout piteux comme un mec qui repart les poches pleines de stèques d'ouvrier à nourrir tout un chenil, avec la Brigitte qui se marrait pas possible en tirant sur sa cibiche.
Il y a des gens réjouissants sur Terre...
Ah oui, quand même, préciser: ma copine Brigitte, ça fait des années qu'elle vote Le Pen.
***Publié par les diablotintines - Une Fille - Mika - Zal - uusulu

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