Magazine Journal intime

That time.

Publié le 08 juin 2010 par M.
Et, comment dire, je ne sais pas exactement si nous sommes déjà morts ou si c'est encore un vaniteux précepte. Ma chair ramollie se faufile d'un pas égal dans les couloirs silencieux, j'épouse la forme de ma chaise et pendant des heures, et des minutes supplémentaires, je pense toutes ces choses qui n'auront jamais l'occasion de s'évader de mon crâne ; en deux minutes à peine, elles sont mortes asphyxiées, remplacées plus vite que n'importe quel individu dans une société moderne. Je pense à l'angle mort des caméras, à la chambre de l'hôpital qui n'était pas une vraie chambre, plutôt un box d'usine en contreplaqué blanc, à la fille cheveux blonds-yeux rouges et à ses enfants que je n'ai jamais revus, au distributeur de boules de chewing-gum à même pas un franc - pour toujours, à toutes ces histoires que j'aurais voulu raconter quand elles sont arrivées et qui à force de bêtise se sont éclatées sur le vélux de mon grenier, avec les mouches et les frelons. Je me souviens par analogie. Tout cicatrise, même toi qui dit, je ne suis pas triste. Je me demande seulement à quoi ça aurait ressemblé. Les dessins froissés s'entassent dans un sac poubelle. Il est peut être temps de tout brûler encore. Les carnets, les souvenirs, le plancher. Je n'aime pas laisser traîner derrière moi des indices, même si au fond tout ça ne mène nulle part, ou alors juste à moi. Ce n'est pas comme si un rôdeur quelconque allait suivre la piste. Pourtant, j'aimerais bien, des fois : que le loup arrive et me bouffe. Qu'il essaie seulement. Mais enfin, c'est peut être moi, le loup. Tu sais ? J'ai peut être faim. Cette nuit, j'ai mâché un corpuscule tiède et palpitant, tout blanc et lisse, mais je n'ai pas aimé le sang qui dégouline sur le menton : ça fait comme, tu vois, quand tu salives tellement que ça devient franchement désagréable. Cette nuit j'ai voulu tuer quelqu'un mais je n'ai pas eu le temps de finir, c'était vraiment frustrant, au réveil. Je ne sais pas ce qu'il est advenu de l'inconfort angoissé de mes cauchemars, c'est aussi bien comme ça, pourtant à ne pas trembler on se sent moins humain. De la viande crue, lourde et suante, puant l'humanité, ça oui - mais des sentiments aiguisés comme un couteau de pêcheur, uniquement de monotones résidus brumeux. Je sais lesquels existent, je les entends remuer au dedans. C'est exactement comme : se réveiller avec le nez bouché et se rappeler le goût des aliments. En attendant de le retrouver. Exactement comme s'apercevoir une fois le train parti qu'on a laissé dans une chambre d'hôtel, à l'heure qu'il est désinfectée et lavée, le cadeau qu'on voulait tellement faire, le bout de chiffon dont on ne se sépare jamais, ou la plus belle lettre du monde. Je me demande quel genre de fille je suis. Je me demande si j'ai un genre. Je mange des pommes et des chips japonaises, je colle les étiquettes en forme de cœur sur le frigo. Bientôt, ce ne sera plus le mien. Tout ce qui m'appartient ici risque de finir à la poubelle : il n'y aura personne pour l'emporter ailleurs. Même pas moi. Mais tout ce que j'ai d'irremplaçable soit rentre dans mon sac à dos, soit peut me retrouver tout seul  - on appelle ça plus communément des gens, bien vu. Je n'arrive pas à avoir peur. Quand ma mère me dit qu'elle ne viendra pas, je prends ça comme une suite logique. Je sais que je ne m'en fous pas mais ça ne se fait pas encore sentir. Pour l'instant je dors encore. Je dors des heures et des heures, en observant du coin de l'œil les anonymes consciencieux qui se pressent devant les vitrines, je dors et un soir je me réveillerai dehors mais je n'arrive pas à avoir peur : il fait beau. J'ai fait de mon mieux, je te jure. C'est juste que ça n'a pas marché. Pas assez vite. Trop de répondeurs, la ville pieuvre est impitoyable. Pourtant les bras bétonnés sont doux pas autant que les tiens mais presque et je dors toute la journée ; d'un coma très différent de celui de la chambre en plastique. Alors quand le garçon redemande si nous sommes déjà morts, je suis bien obligée de lui répondre : putain, non. Je ne suis même pas réellement sage et c'est ça qui est bien malgré que le monde actuel soit dans l'autre camp. Un jour aussi, je serai assez grand et fort pour faire barrière aux mauvais rêves. Mais pour l'instant on est d'accords, j'ai des muscles, on dirait du flan.

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