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l'incroyable destin de Clarisse Manzon (9)

Publié le 11 janvier 2011 par Mazet

Episode 9 Le mobile du crime.

Sous le regard désapprobateur de la gouvernante, j'ai enfilé mon manteau et je suis parti faire le tour des auberges. Depuis le 20 mars, on ne s'attardait guère dehors, mais les récentes arrestations ont ramené un peu le calme. Je pensais pouvoir passer incognito, même si quelques personnes m'avaient aperçu en compagnie de libraire. Je décidais d'entrer dans l'auberge du Coq de l'Alberge. Par chance, il restait une table libre, un peu à l'écart mais assez proche de la masse des consommateurs, de sorte que peu de conversations m'échappent. Dans la fumée des pipes et des chandelles, aidées par l'eau-de-vie râpeuse abondamment servie, les langues se déliaient. Les conversations roulaient sur Bastide-Gramont. Chacun distillait une information sur le « gigantesque ». On se souvient avec des hochements de tête, de ses façons bourrues et de ses manières hautaines de riche propriétaire. Certains rappellent qu'il lui est autrefois arrivé de jouer du bâton sur le dos de quelques pauvres diables. Mieux, un gueulard, sorti d'on ne sait où, affirme l'avoir vu, la veille du crime, roder dans Rodez avec des mauvais habits, un air louche, l'air une canaille, assurément celui d'un égorgeur. Pierre Cazals, le maçon honorablement connu, l'a entendu dire à sa victime :

«  Soyez tranquille, je prends les moyens pour vous faire votre compte ce soir. »

L'assistance en conclut qu'il devait de l'argent au procureur ; pensez, on parle de dix mille francs! Jolie somme! Tous ces beaux messieurs, plus ils en croquent, mieux ils se portent. Monsieur Blaise avait raison, Rodez devenait folle. Ce qu'on ne savait pas, on l'inventait. Les petites gens étaient ravis de la chute de Bastide. Certes, on n'aimait point les Bancal, mais les petits ne devaient pas être les seuls à payer ! Je quitte l'auberge sonné par cette foire d'empoigne. Dehors les derniers frimas n'ont pas calmé les esprits. Autour des feux de sarments, on jase à l'infini. A l'entrée des hebdomadiers, Rose Féral n'en finit pas de répéter sa déposition. Elle est la reine du jour. C'est à ces messieurs de la prévôté qu'elle a raconté la folle soirée.

« Les nommés Bousquier, Missonier, et Bach mais aussi Jean-Baptiste Collard et Palayret sont venus une bouteille. Bousquier et Palayret ne sont partis qu'après neuf heures, mais entre-temps, vers les huit heures, juste au moment où le pauvre Fualdès lassait tomber sa canne non loin d'ici, Collard et Missonnier sont sortis, Bach lui n' a cessé d'aller et venir. Ce sont eux qu'on vu cachés dans les encoignures de portes à se lancer des signaux et des « pstt! Pstt!' » tandis que le Gramont, le colosse aux bottes ferrées, sillonnant le Terral frappait les promeneurs pour les éloigner. »

Oui, ce fut une nuit digne d'un sabbat. L'assistance de Rose frissonnait, comme si à quelques mètres de là, gémissait encore le pauve Fualdès. Vers les neuf heures et demi, je regagnais la librairie. J'y trouvais Monsieur Carrère seul à son bureau.

- Va voir à la cuisine, il doit rester du poulet froid !

Je déclinais l'invitation. Au tour d'un verre de goutte, je racontais ma soirée par le menu.

- Je me demande quand tout cela va s'arrêter.

- Si vous m'en disiez un peu plus sur Fualdès?

- Sur le plan financier, sa situation n'était guère brillante, il devait de l'argent un peu à tout le monde.

- A vous aussi ?

- Oui mais c'était relativement peu de chose. Certains doivent se demander s'ils vont revoir leur argent. Normalement la vente de son domaine de Flars aurait dû lui permettre de rétablir son crédit, mais maintenant l'affaire semble compromise. Je pense que beaucoup s'inquiètent car la justice va sans doute bloquer toute succession empêchant ainsi le recouvrement des sommes dues par Fualdès.

- J'ai entendu parler de lettres de change?

- Moi aussi, je n'en sais pas plus. En revanche je suis sûr d'une chose. Fualdès a reçu dans l'après-midi précédant sa mort l'escompte d' un billet1 de deux mille francs. C'est Bastide-Gramont qui lui a trouvé preneur en la personne de son homonyme Julien Bastide, propriétaire à Saint-Amand.

- Est-ce que vous pensez que Didier Fualdès va honorer les dettes de son père?

- C'est la question que doivent se poser bon nombre de ruthénois et qui les empêche de dormir. Tu comptes attendre la fin de l'enquête?

- J'ai envoyé hier les deux premiers feuillets à la « Gazette des deux mondes ». Si cela intéresse les lecteurs, je continuerai à suivre l'affaire. Sinon, je rejoindrai Villefranche-de-Rouergue.

- A mon avis tu n'es pas encore parti !!

Malicieusement, il ajouta.

- Tes chances de croiser la belle Clarisse vont se multiplier.

1Equivalent d'un traite de nos jours


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