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l'incroyable destin de Clarisse Manzon (10)

Publié le 18 janvier 2011 par Mazet

Episode 10 : L' hypothèse Bastide-Gramont.

Avec la mi-avril, Rodez avait retrouvé des matins moins froids. J'avais passé  une nuit difficile, ma plongée dans la vie nocturne ruténoise m'avait laissé un goût amer. J'ai  essayé d'imaginer un scénario du crime. Le matin, autour du café fumant, j'en parlais avec Blaise.

   - Je pense qu'on peut voir s'esquisser un scénario raisonnable, Monsieur Carrère, même s'il vous déplait.

   - Je dois dire que voir mêler Bastide-Gramont à cette affaire ne me satisfait guère. Cependant, il faut bien constater que les faits sont troublants. Essaye de me résumer ce qu'on sait aujourd'hui de cette pénible affaire.

   - Comme vous le savez, Fualdès est lourdement endetté. La vente de son domaine lui a été réglée en effets de commerce, pour lesquelles Bastide-Grammont a trouvé un preneur. Je ne crois pas à l'hypothèse du crime crapuleux de sa part. Il ne devait rien à son parrain. Je pense qu'on peut l'exclure du complot qui a mis fin aux jours du procureur, d'autant que j'ai entendu les gens de Bastide-Gramont  affirmer qu'il avait passé la soirée et la nuit chez lui.

   - Enfin ce sont ses domestiques, des gens qu'ils paient.

   - Vous croyez qu'avec la  tournure que prend l'affaire, ils s'aviseraient de mentir à la justice.

   - Admettons que cela innocente Bastide-Gramont. Mais alors que s'est-il passé?

   - Une affaire fort simple, vous n'êtes pas sans ignorer que votre ami Fualdès avait une sexualité débordante.

   - Oui, comme beaucoup d'hommes.

   - Mais vous m'aviez caché qu'il avait une aventure avec Anne Benoit[1]?

   - Qui vous a dit cela?

   - Je vous l'ai dit, j'ai écouté toutes les conversations hier soir !

   - Je dois dire qu'il ne m'en a jamais parlé, j'avais aussi entendu des rumeurs sans y attacher foi.

   - Au fond nul ne le sait, mais ça fournit à Collard un double mobile pour le crime : La cupidité et la jalousie.

   - Vous avez raison Gilbert, sauf que la manière dont a été tué le procureur est rarement utilisé dans ces cas-là. Si la soirée du 19 mars s'est déroulée de la manière dont on nous le décrit, Fualdès a été victime d'un guet-apens et subit une sorte de meurtre rituel dans lequel des dizaines de personnes sont impliquées, c'est une méthode peu en accord avec les mobiles que tu as évoqués.

   - A moins que le déroulement de la soirée ne soit que du pur fantasme.

   - Tu oublies une chose. Après avoir reçu l'argent, Fualdès est rentré chez lui. Il y a probablement déposé les dix mille francs qu'il venait de recevoir. Donc s'il est allé dans la maison Bancal en soirée pour retrouver Anne Benoit, il avait sans doute les poches vides. Et entre nous, Anne Benoit a une réputation telle que je serais surpris que Collard prit ombrage de quelques écarts avec Fualdès.

   - Vous avez raison, mon raisonnement ne tient pas. Et de plus, sa présence dans la maison Bancal, ne relève que de la rumeur.

Je n'eus pas le loisir de poursuivre ma réflexion, puisque la clochette de la porte de la librairie tinta. Monsieur Carrère se précipita. Je l'entendis saluer d'une voix timide.

   - Bonjour Madame Manzon.

   - Laissez tomber les civilités, cher ami, appelez-moi Clarisse. Avez-vous  reçu la nouvelle édition de ce merveilleux ouvrage de Madame de Staël : « Corinne ou l'Italie »?.

   - Je ne me souviens pas que vous m'ayez passé commande?

   - Quelle étourdie, je fais!

   - Je réparerai cet oubli dès aujourd'hui.

   - Je vous en remercie. Vous n'avez pas présenté le jeune homme qui vous accompagnait l'autre jour.

Je me précipitai dans la boutique.

   - Permettez-moi de vous présenter Gilbert Alvergnat, spécialement délégué par un journal parisien « La gazette des deux mondes », pour rendre compte de l'affaire Fualdès.

Elle me tendit la main que je serrais maladroitement en rougissant.

   - C'est un grand honneur que vous nous faites, je ne pensais pas que Paris pût s'enflammer pour des petites histoires provinciales.

   - Il y a tout de même eu mort d'homme, ma chère Clarisse!

   - Vous avez raison Monsieur Blaise, mais depuis trente ans, combien en avons-nous connus et qui sont restées impunies?

   - C'est cet afflux de témoignages et ce rituel macabre supposé s'être déroulé dans la maison bancal qui donnent de la renommée à l'affaire.

   - Vous êtes un homme sage Monsieur Carrère. S'il vous plait de venir bavarder de tout ceci avec quelques amis, venez chez moi vers 17h, nous discuterons en toute simplicité autour d'un thé. Monsieur Alvergnat se joindra à nous, il faut qu'il découvre les charmes de la vie provinciale.



[1]Maitresse de Collard, qui vit au 1er étage de la maison Bancal


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