Le Lycée.

Monsieur Daïdé.
      Puisque j’ai parlé du lycée Arago, où je fis toutes mes études secondaires, je ne puis me dispenser d’évoquer trois autres figures de professeurs, particulièrement marquantes pour la période de ma vie qui fait l’objet de cet ouvrage, à savoir l’enfance et le début de l’adolescence.  
      Monsieur Daïdé était le professeur de français-latin-grec de la classe de Quatrième A. C’était un homme sévère et bourru, le sourcil ombrageux, la lippe réprobatrice. Toujours vêtu d’une blouse grise et coiffé d’un béret basque, il ne quittait jamais sa salle de classe. Il ne tolérait que les cahiers de textes fabriqués à la maison. Ceux qui venaient du commerce ou qui présentaient un vice de découpage ou de présentation - j’en sais quelque chose- passaient par la fenêtre et s’en allaient flotter sur le Ganganell, qui coulait sous les murs de briques roses du lycée.  Monsieur Daïdé se montrait aussi très pointilleux sur l’emploi alterné, dans la rédaction des cours de grec, des stylos à bille rouges et noirs.  Nous traduisions sous sa férule (et ce n’est pas une image : il nous donnait des coups de règle plate sur les épaules, si nous faisions des contresens!)  La Guerre des Gaules  de Jules César et  l’Anabase  de Xénophon.  Ce maître redoutable avait une prédilection pour le genre épique et les récits et poèmes exotiques.  Je lui dois la découverte du Chateaubriand du  Voyage en Amérique  et de la poésie du Parnasse, qui donnaient des ailes à mon imagination et alimentaient mon désir d’aventures...
                      Ils reverront le fleuve échappé des grands monts,                     Où nage en mugissant l’hippopotame énorme,                     Quand, blanchis par la lune et projetant leurs formes,                     Ils descendaient pour boire en écrasant les joncs. *
*Leconte de Lisle, « les Éléphants ».