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L'incroyable destin de Clarisse Manzon (32) : de la scène à la geôle

Publié le 29 novembre 2011 par Mazet

L’incroyable destin de Clarisse Manzon (32) : De la scène à la geôle

La matinée du 12 septembre fut consacrée à une formalité qui devait être supprimée quelques années plus tard : la lecture du « résumé impartial des débats ». A midi, les jurés se retirèrent pour une délibération de sept heures. Le verdict tomba dans un silence funèbre et dans une nuit que trouaient les flammes vacillantes de quelques bougies. Bastide, Jausion, Bach, Collard et la Bancal étaient déclarés coupables de meurtre avec préméditation, l'idiot Missonnier et Anne Benoît de meurtre sans préméditation, Bousquier coupable de la noyade du cadavre. Mmes Jausion, Galtier et Marianne Bancal étaient innocentées. A l’audition du verdict, Bastide, de marbre, se contenta de dire : « Il y en a dans la salle dont le cœur bat plus fort que le mien »,  mais Jausion se livra à un violent désespoir, se levant, s'arrachant les cheveux, interpellant le jury, protestant de son innocence avec des accents déchirants, adjurant ses compagnons de dire qu'ils ne l'avaient pas vu dans la maison Bancal. « Il est bien temps, maintenant », lui répondit Bach en haussant les épaules. Ces quelques mots, sans grande importance en soi, ne seraient pas sans incidence sur la suite des événements. Anne Benoît, qui avait compris qu'elle ne suivrait pas Collard dans la mort, se jeta à son cou en sanglotant : «Je suis seule coupable, dit-elle, c'est moi qui l'ai retenu à Rodez ». « Ne pleure pas, Annette, lui glissa-t-il doucement dans le creux de l'oreille, je n'ai jamais fui devant l’ennemi, je monterai à l'échafaud comme on prend une redoute! » Peu après, la cour prononça les sentences. Bastide, Jausion, Bach, Collard et la Bancal étaient condamnés à mort, Anne Benoît et Missonnier au bagne à perpétuité. Bousquier, dont les « aveux » avaient été d'un si grand secours aux magistrats, s'en tirait avec un an de prison et cinquante francs d'amende. Alors se produisit une scène ignoble. Les autorités remercièrent les magistrats en termes emphatiques, ce qui déchaîna l’allégresse populaire et un concert d'applaudissements. Rodez pouvait respirer. Fualdès était vengé et ses assassins hors d'état de nuire. Mais le dernier mot n'était pas dit. Dans l'ombre du palais couvait un extraordinaire coup de théâtre. Dès le 12 septembre, tous les condamnés, à l’exception de Bousquier, signèrent leur pourvoi en cassation. Sur les conseils de Me Romiguière, ils s'adressèrent à Me Loiseau, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Celui-ci examina à la loupe les centaines de feuillets qui constituaient le procès-verbal et débusqua quelques menues anomalies. Aussi se présenta-t-il avec beaucoup d'assurance devant la Cour de cassation : « Actuellement, messieurs, vous le voyez, cette cause se réduit à des  termes très simples. Quatre moyens de cassation sont présentés. Parmi ces moyens, il en est un qui est invincible, puisqu'il est étayé par vingt arrêts de la cour et par votre jurisprudence la plus constante. En effet, plusieurs témoins n'ont pas juré de parler “ sans haine et sans crainte ”, d'autres n'ont pas juré de dire “ toute la vérité ”, enfin vingt-trois n'ont pas juré de dire “ rien que la vérité ”. Mais, dira-t-on, si la cour casse l'arrêt dénoncé, il faudra donc reprendre par sa base cette immense procédure, il faudra entendre de nouveau 300 témoins ; il faudra recommencer une assise de 25 séances : que de soins, que de démarches, et surtout que de frais pour le trésor royal. Toutes ces considérations, je le sais, ne sont d'aucun poids parmi vous. Elles disparaissent devant la nécessité que la loi vous impose de faire respecter les formes salutaires qu'elle a établies. ›› La mort dans l'âme, le conseiller rapporteur à la Cour suprême reconnut la validité de la requête et chargea l'avocat général Giraud-Duplessis de plaider l'annulation. Dépité, celui-ci se résigna à la triste besogne. La cassation de l'arrêt était, disait-il, « une grande calamité pour la chose publique et pour les accusés eux-mêmes ». Certes, leur culpabilité n'était point douteuse, et c'est la forme moins que le fond qui intéressait la justice. « A Dieu ne plaise, Messieurs, conclut-il, qu'outrepassant les bornes que la loi a mises à l'exercice du ministère public près de la Cour de cassation, je m'ingère de me présenter devant vous comme un nouvel accusateur des accusés mais... ›› Mais, dans un pays de droit écrit, on pouvait prendre au sérieux les fables villageoises les plus extravagantes, recueillir le témoignage d'enfants alléchés par une friandise, fabriquer de faux témoins et livrer le prétoire aux vocalises d'une comédienne, mais ni le roi, ni le pape ni le diable ni le Bon Dieu ne pouvaient rien lorsqu'une virgule  n'était pas à sa place dans un texte. La procédure de Rodez fut donc réduite à néant et l'affaire renvoyée en appel devant les assises d'Albi. Lorsque la sentence de la Cour de cassation fut connue à Rodez, un vent de désarroi s'abattit sur la magistrature. Après avoir enduré les mille tourments d'un procès truqué, elle n'osait même pas imaginer comment resservir le même tissu d'inepties à un nouveau jury. Quant au peuple de Rodez, qui voyait avec dépit ses proies s'envoler, il dénonça la griffe occulte de la famille des condamnés et la malveillance d'un greffier soudoyé. Au ministère de  la Justice, le baron Pasquier fulminait, et comme il ne pouvait s'en prendre ni au pape ni au Bon Dieu, il s'en prit au malheureux greffier Bruyère dont il ordonna la destitution immédiate. En vain celui-ci invoqua-t-il l’ingratitude de la tâche et sa nombreuse famille, en vain le procureur du roi à Rodez, M. Mainier, intercéda-t-il en sa faveur, le garde des Sceaux demeura inflexible. Mais voici le plus extraordinaire. Le jour même de la clôture du procès, M. Mainier demandait l’ouverture d'une information contre la dame Manzon pour faux témoignage et complicité dans l’assassinat de Fualdès. Aussitôt arrêtée, Clarisse fut jetée dans une cellule de la prison des Capucins. Tout avait commencé pour elle par un plaisant badinage. Puis, elle s'était retrouvée grand témoin de l’affaire Fualdès. Maintenant, elle risquait sa tête.


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