Magazine Journal intime

Vie et destin

Publié le 11 mars 2008 par Stella

Le metteur en scène russe Lev Dodine a adapté pour la scène l’énorme roman de Vassili Grossman, Vie et destin, et c’est une véritable réussite. Je croyais que nous ne serions qu’une poignée de spectateurs, or la grande salle de la MC93 de Bobigny était pleine aux 4/5ème et, à la fin de trois heures d’un spectacle extraordinaire, le public a longuement applaudi, debout, la performance des acteurs et Lev Dodine lui-même, rappelés par trois fois.

L’adaptation théâtrale s’attache à la vie des deux soeurs Chapochnikova, Génia et Liouda. L’une, divorcée d’un certain Krymov, commissaire politique, est amoureuse de Novikov, commandant d’une division blindée. L’autre a quitté le père de son fils, Abartchouk, s’est remariée avec Viktor Strum, physicien juif, qui a fait une découverte importante dans le domaine nucléaire.

La bataille de Stalingrad bouleverse le destin de cette famille. Krymov est arrêté pour trotskysme et Novikov pour insoumission (il a retardé de 8 mn l’assaut des chars). Strum est en butte à l’antisémitisme de ses collègues et rue dans les brancards pour conserver ses conditions de travail à l’Institut qu’il dirige. Il va être “sauvé” des ennuis par un coup de téléphone personnel du camarade Staline. Mais c’est une protection qui a un prix : celui de la compromission. Strum finira par signer une immonde lettre dénonçant les “mensonges calomnieux” de la presse occidentale sur la répression politique en URSS.

Les réflexions de Krymov et de Novikov, désormais prisonniers politiques en Sibérie, sont mis en parallèle avec celui d’un détenu d’un camp de concentration allemand, un ami de la mère de Strum. Le nationalisme nazi, qui a mis les opposants politiques dans des camps de concentration dès 1933 n’est pas de meilleur aloi que le nationalisme communiste, qui a ouvert les siens des îles Solovki à Vladivostok. Chaque fois, la fin justifie les moyens et broie hommes, femmes et enfants sur son passage. La démonstration est un peu simple, mais efficace. On entend “le grincement combiné des fils de fer barbelés de la taïga sibérienne et du camp d’Auschwitz”.

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Les scènes s’emboîtent les unes dans les autres sans jamais se télescoper. Le propos reste clair et l’attention du spectateur ne se relâche jamais. Les acteurs sont tous excellent et il faut mettre en exergue la prestation de la petite Tatiana Chestakova qui joue Anna Strum, la mère du physicien Victor Strum. Elle apparaît périodiquement sur la scène pour nous livrer le contenu de sa dernière lettre à son fils. Une merveilleuse diction (l’ensemble de la pièce est en russe) servie par une voix cristalline, un aspect de petite vieille fragile et obstinée, un visage d’ange souffrant, elle est véritablement extraordinaire. La pièce se clôt sur ses dernières répliques, empreintes d’une immense émotion qui a fait monter les larmes aux yeux de plus d’un spectateur. Il est clair que les applaudissement sont allés en priorité à elle.

Jusqu’au 16 mars seulement, salle Oleg Ofremov, MC93, Bobigny. Courez !


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