Magazine Journal intime

Pour de vrai.

Publié le 10 mai 2008 par Gaspard_w

male

Il a sorti son flingue, je me suis noyé dans mon verre d'eau, Richard a
éclaté de rire, l'une des filles a dit "c'est un vrai ?".
Sourire en panavision, blanc et extra large, faux costume Armani, fausse
montre en or mais vrai revolver. Nizam, c'est le fils d'un ministre qui est
aussi un maffieux qui fait aussi dans la vente d'armes, les attentats et le
tourisme de masse.
— Mon pays c'est un grosse pute. Male c'est un bordel. Le président,
il est virtuellement déjà mort. Nos problèmes ont tous la même solution,
clic-clic-bang-bang ! Tu manges pas tes noix de cajou ?
Le restaurant est vide, les clients ont disparu sous les tables, les serveurs
sont au garde à vous, quand on les siffle, ils sursautent.
— L'anarchie ça paie, la révolution ça rapporte. Ici c'est Bagdad, la guerre
des gangs, on la finance. On vide les caisses, on viole les filles, on met des
bombes, on brûle des touristes. Souris mon pote, c'est les Maldives, souris
mon frère t'es au soleil. Tout ira bien Inch'Allah . Bon dieu, mange tes
noix de cajou !
J'ai vidé mon assiette, fini celles des autres, j'en ai repris deux fois,
j'ai dit "pardon, pardon c'est que j'ai plus faim". Il a ri, mais j'ai attendu qu'il
glisse son canon dans son faux Diesel pour souffler un peu.

J’ai commandé une vodka, on m'a servi une eau minérale, j'ai maudit
l'empire musulman.

Au dessert ,  Nizam a commandé des feuilles de coca et des profiteroles.
J'ai surtout pioché dans la verdure, c'est à dire que je n'avais pas vraiment
envie de chocolat.

Richard a embrassé sa copine, Nizam a giflé la sienne, j'ai dit "votre
bonheur ne me profite pas, sortons" et je l'ai répété jusqu'à ce qu'on
pousse la porte du restaurant.

Le fils du ministre était garé sur le trottoir, j'ai dit "je monte pas la dedans",
Richard a éclaté de rire et l'une des filles a dit "c'est une vraie ?"
Sur le capot, un serpent qui mort un logo Mitsubishi, peinture verte à
paillettes, "wanted" sur le pare-brise, six-six-six la plaque d'immatriculation
et un néon qui crache sur l'asphalte défoncée.
Nizam a dit "je surkiffe Vin diesel", j'ai répondu que je connaissais mal
son travail.

—"De zéro à cent en moins d'une seconde".
J'ai dit "je te crois", mais il a fallu qu'il me montre.

On a survolé les rues, on a hurlé à chaque virage, j'ai récité de tête le
premier paragraphe de HELL. Sexy Back de Timberlake à en faire trembler
les vitres, les essuie-glaces à  plein régime pour nettoyer le sang des
piétons. On baise à la place du mort, on meurt sur la banquette arrière. 
Les rues de Male en projections saccadées, diapositive surexposée,
ça va trop vite, ça crie trop fort et puis ça coupe.

Un ferry nous a déposés au bar de l'aéroport, au-delà des limite du Coran
où pour vingt dollars on vous sert un long island ice tea dans un dé à coudre.
J'ai fait le tour de mes poches vides, j'ai failli rester sobre mais Richard a
dit "l'argent c'est plus un problème" et c'était tellement vrai que vingt minutes
plus tard, j'avais la tête dans le coton, le nez à la vitre et les yeux dans le vide.
Un avion s’est arraché à la piste, je l'ai regardé grimper jusqu'à ce qu'il ne
reste dans le ciel qu'un point rouge clignotant. J'ai pensé à ce cylindre d'acier,
à cette poignée de touristes en route pour la réalité. J'ai pensé que le vrai
moi attendait sûrement sur le tarmac de l'aéroport Charles de Gaulle. J'ai
pensé à tout ce temps passé en fuite dans des univers parallèles où les jours
se mélange à la vodka et au "je t'aime" raté.

Quelqu'un a mis un disque de Johnny Cash sur le juke-box et en parcourant
la salle j'ai pu apprécier une fois de plus cette façon qu'a l'alcool de ralentir
le temps. Richard a passé la main sous le t shirt de sa copine, Nizam a mis un
coup de boulle a la sienne, une dizaine de bouchons de champagne ont sauté
en même temps. La réalité n'avait plus aucun sens, j'avais de la mousse
plein les yeux.

La soirée a pris fin jetée numéro neuf. J'ai mis un pied sur le bateau, une main
dans celle de Nizam, j'ai dit "merci pour la soirée" il a dit "de rien" et m'a
demandé ce que je faisais comme boulot.
—"Mon travail consiste à risquer la vie des autres tout en gagnant le mienne".
Il a dit qu'on était sans doute dans le même secteur et je n'ai pas eu le cœur
de le contredire, j'ai dit "à la prochaine", il a dit pareil et ça m'a fait plaisir
qu'on tombe d'accord. Autour de nous, le long des quais, des dizaines
de navettes en partance pour des châteaux de sable paradisiaques.

A la sortie du port, je ne me suis pas senti bien, j'ai trouvé contrariant que le
monde entier ne soit pas au courant. J'ai dit "je crois que finalement je ne
suis pas si essentiel", le bateau a sauté sur une vague, Richard a éclaté
de rire, une fille a dit "pour de vrai ?" et j'ai ri aussi.


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