Magazine Journal intime

Retour aux sources

Publié le 24 septembre 2019 par Hugo Bourque

En route vers les îles, j’ai réalisé que les racines de mon archipel sont longues. Très longues. Elles s’étirent au-delà de la frontière entre le Nouveau-Brunswick et le Québec. Parce que dès que je prends cette route qui me mène jusqu’à ma terre natale, mon attirance pour Madeleine se fait rapidement sentir.

En mettant le pied dans le char, l’effet des vacances qui commencent se mélange à celui du retour à la maison. La vraie maison. Celle d’où je viens et où je me sens le mieux. Et je roule. Roule. Et roule encore. Attiré vers elle comme par un aimant. Puis, tranquillement, le cœur du Madelinot se remplit d’une excitation peu compréhensible pour le commun des mortels. Quand mes roues lâchent les routes trouées du Québec pour atteindre les beaux chemins du Nouveau-Brunswick, c’est les palpitations qui commencent. C’est vraiment là, pour moi, que le p’tit gars des Îles revient en moi. Les souvenirs, les habitudes, les références. On a hâte de revoir les faces qu’on connaît, les places qu’on aimait. On se prévoit déjà un messe de homards et l’on sait d’avance que le Dixie Lee va être pas mal bon en arrivant.

Puis, j’ouvre la radio et j’écoute l’émission « Ti-cowboy », au 89,5 CJSE. Comme une tradition entre Moncton et l’Île-du-Prince-Édouard. Le chiac se fait aller dans toute sa splendeur. Chaque fois, il trace un sourire sur mon visage, et pendant ce temps-là, les racines de Madeleine s’entourent solidement après mes pieds et me tirent encore plus fort vers ses Îles.

Et c’est généralement là que mon accent refait surface. Non pas parce que je suis fatigué ou que j’ai pris un verre, comme dans le restant de l’année. Mais simplement parce qu’il en a envie. Et par nécessité, aussi. Il se pointe le bout du nez comme pour dire à Madeleine que malgré toutes ces années passées loin d’elle, je ne l’oublie jamais vraiment. Ça commence avec des accents graves sur à peu près tous mes A puis ça va jusqu’à ramener des « Whate traille », des « djeule » et des « godêche de luck » dans mon vocabulaire courant.

Ensuite, c’est le Pont de la confédération et là, l’urgence se fait sentir. On dirait que l’Île-du-Prince-Édouard s’agrandit d’année en année tellement je le trouve de plus en plus long à traverser. Je roule en pensant que chaque tournant sera le dernier. Un rond-point, deux ronds-points, trois ronds-points. C’est interminable ! Dommage parce que Édouard est quand même beau. Mais c’est Madeleine qui m’appelle. Et pour moi, elle sera toujours plus belle que lui. Les derniers miles avant de la revoir sont toujours trop longs. Je me sens comme un soldat qui revient de la guerre et qui va retrouver sa bien-aimée. Ou Gabriel qui cherche son Évangéline.

Je cherche du regard le mot « Souris » sur tous les panneaux routiers qui passent. Et en fait, je n’en manque pas un, comme si j’avais un radar intégré dans l’œil. Et c’est avec un sourire incontrôlable étampé dans la face que je donne mon nom au gars « pas d’air » sur le quai à Souris. Mais je m’en fous, parce que de l’air, je vais en avoir en masse rendu chez nous. Un air salin ressourçant et ravigotant. Cet air qui nous fait ouvrir un peu plus grand nos narines et nos pores de peau pour être sûr de ne rien échapper de ses bienfaits.

À bord du bateau, je me sens chez nous. La musique country, la p’tite bière des Îles. Déjà tcheuques faces que je connais. Je passe une partie du voyage dehors, sur le pont ; ça fait whate traille que j’ai pas eu la djeule au vent de même. Godêche de luck que j’me sens bien !

Dès que je débarque aux Îles, je suis comme une vache dans un parc : complétement à ma place. La pression tombe. Rapidement, je me ramasse sur le quai de L’Étang-du-Nord, près des dolosses qui retiennent encore tant bien que mal les vagues et protègent le quai d’une mer parfois un peu trop fougueuse. Chaque ressac ramène à ma souvenance des bribes de mon enfance et de mon adolescence. Je joue aux fusils sur la Butte du vent. Je fais de l’improvisation Chez Gaspard. Je trouve des borlicocos sur la plage de la Martinique. Je cours dans le foin entre chez pepé et chez nous. J’observe les étoiles filantes allongé sur une table à pique-nique dans le Parc des Bucks. Un coucher de soleil à la Light du Borgot. Un feu de camp sur la Dune du Nord. Une poutine au poulet à l’Escale. Tant de souvenirs, d’habitudes, de références

Et je fais le plein de nouvelles images qui rempliront ma tête pendant des jours et des jours, même une fois de retour sur la grand-terre. Les racines de l’archipel sont longues. Très longues. En fait, elles s’étirent jusqu’à chaque Madelinot déporté sur la grand’terre. Et quand on a les blues, qu’on s’ennuie trop de notre belle Madeleine, il suffit de s’accrocher à cette racine et à remonter le courant jusqu’à sa base, comme Ariane l’a fait avec son fil, comme le Petit Poucet l’a fait avec ses roches. Le commun des mortels comprend qu’on aime nos Îles, mais il ne comprendra jamais à quel point. Jamais.

On se r’parle !

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