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Retour à Sollers

Publié le 17 janvier 2010 par Jlk


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Notes panoptiques, La Désirade, ce 17 janvier 2010.
AU JARDIN. – C’est ainsi par le jardin que je reviens à Sollers, et par exemple à la lecture d’une phrase comme ça : « J’essaie de voir, ou plutôt d’écouter et de respirer, ce jardin où je suis. » Or, le rythme de cette phrase me chante. J’entends cette phrase, comme j’entends notre jardin suspendu, que j’écoute et respire malgré la neige de ces jours et que je lis, les belles saisons revenues, en m’aidant des lumières d’un vieux manuel gris souris détaillant Les Noms des fleurs trouvés « par la Méthode simple » et accessibles « sans aucune notion de Botanique »... L’ouvrage est signé Gaston Bonnier, professeur à la Sorbonne et membre de l’Académie des Sciences. C’est ici sa nouvelle édition, datant de la première décennie du XXe siècle, avec 372 photographies en couleurs entièrement regravées sur cuivre, et publié à Paris à la Librairie Générale de l’Enseignement, rue Dante. Une étiquette à typo dorée précise que cet exemplaire fut vendu par le libraire Rouge à Lausanne, le même qui refusa de publier les premiers écrits de C.F. Ramuz… L’inventaire floral qui suit, quoique trouvé « par la méthode simple », évoque plus l’Académie que le gai savoir, du fait surtout de ses 2715 figures en noir qui en font une espèce de catalogue style La Redoute comme les prisaient Bouvard et Pécuchet dans les domaines variés de l’outillage horticole ou des insectes de nos régions. Les noms des fleurs y scintillent évidemment, mais point de phrases qui sont aux mots ce que les colliers de vahinés semi-nues sont aux fleurs, le rythme en plus.
Ceci noté, revenant plutôt à Discours parfait, passons aux exemples chantés « dans la langue des étoiles de Dante », jardinier cosmique s’il en fut, finissant son dernier chant en tourbillon de mots-lumière mu par l’Amour cosmique, « l’amor che move il sole e l’altre stelle ». Et Sollers d’ajouter: « Un Dieu éternel jardinier, voilà quand même une nouvelle sensationnelle qui n’a pas encore été vraiment cmprise par les humains ».
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Mon exemplaire de la Divine Comédie, très dépenaillé, est marqué du sceau violet des Gymnases Cantonauxc de Lausanne, à la bibliothèque desquels j’aurai décidément tardé à le ramener puisque l’emprunt date de 1964-1965. Cependant je suis content d’avoir conservé ce pavé de plus de mille pages – il s’agit en effet d’une édition critique aux commentaires fluviaux -, qui m’évoque aussitôt le personnage rablé et coiffé en brosse de notre prof d’italien de l’époque, du nom de François Mégroz, ceinture noire de judo et papiste ardent, commentateur d’une traduction très littérale de la Divine comédie parue à L’Age d’Homme où j’ai publié mon premier livre en 1973 - année à laquelle j’avais déjà rejeté Philippe Sollers et la revue Tel Quel, pour leur préférer le baroquisme étincelant de Charles-Albert Cingria et le pathos russe…
Entre 1968 et 1972, Philippe Sollers avait publié Nombres, Lois et H, restés à mes yeux des exercices purement rhétoriques à caractère expérimental, où je n’entendais aucune musique et que j’associais à toutes les acrobaties esthétiques ou idéologiques de l’époque, à l’enseigne des Modernes. Proche du milieu de L’Age d’Homme et de francs-tireurs à la Dominique de Roux, ancien compère de Sollers qu’il étrillait dans le pamphlet anti-68 de L’Ouverture de la chasse, je voyais l’incarnation de la musique pensante chez Cingria ou chez Vassily Rozanov, penseur russe mal famé pour son amour-haine du christianisme et de ses envoûtements, mais développant une écriture « immédiate » d’une saisissante originalité. Bref, tout cela se passait loin du Paris de la brillantissime constellation toujours convaincue de donner le ton au monde, alors que je voyais en L’Age d’Homme une alternative qu’auront marquée quelques génies inclassables, du catastrophiste décapant que représente le dramaturge-écrivain-philosophe-peintre Witkiewicz, à l’explorateur de l’intimité que fut Amiel, entre tant d’autres, certes loin de la claire ligne française. Mais Platonov, Biély, Gotthelf, Wolfe, Chesterton & Co valent aussi quelque attention, n’est-ce pas, autant que Robert Walser, Georges Haldas ou Umberto Saba – et la phrase de Dominique de Roux, au meilleur de son style, me chantait plus que celle du Sollers d’avant Femmes…
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Ce n’est pas, cependant, par Femmes, lu sans véritable attention, que je suis revenu sporadiquement à l’œuvre de Philippe Sollers, dont plusieurs romans ultérieurs m’ont paru du chiqué, mais déjà par le jardin, dans le registre des citations.
Dans un entretien très éclairant avec Laurent Brunet (Discours parfait pp. 492-513), Sollers dit au passage que l’art de la citation est l’un des plus difficiles qui soient. Cingria le disait aussi, qui estimait qu’un bon article pouvait s’en tenir à un train de citations roulant sur les rails du discours (plus ou moins parfait) d’un commentateur-interprète,et Walter Benjamin « montait » souvent ses essais de cette même façon.
L’art de la citation, que le Sollers de La Guerre du goût, d’Eloge de l’infini et de Discours parfait porte au plus vif de la pointe (bref salamalec au jésuite Gracian) renvoie bien entendu à sa phrase et donc à son propre style – à sa musique et à sa poésie. Or ce qui me frappe de plus en plus à la lecture attentive de Sollers, c’est son attention propre. Attention au mot, attention au jazz de la phrase, attention tout humaine aussi quand il parle de la musique des mots et des phrases de Scott Fitzgerald, qui a payé sa liberté et son bonheur, ou qu’il trouve du cœur à l’affreux Céline, ciselant encore mots et phrases au plus noir de sa détresse.
Attention à tous les sens du terme, j’veux dire : attention à tous les sens


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