L'avion vient d'atterrir à l'unique aéroport de la ville: Mpoko International. Le qualificatif "international" semble un peu excessif eu égard au fait qu'un seul avion par semaine ne se pose sur ce tarmac, où diverses plantes étranges poussent là où il est mal en point.
Mais un atterrissage n'est jamais une affaire anodine ici, un atterrissage est un évènement où tout un ballet se met en place.
Tout d'abord, quelques heures avant que l'avion ne se pose, la moitié des taxis de la ville (réguliers et clandestins confondus) se rassemble sur l'immense et très optimiste parking aéroportuaire suivis par une foule de porteurs de sacs, dont les services sont à commander aux risques et périls des clients. Puis vient la police pour mettre un peu d'ordre dans tout cela. Puis vient l'armée pour rappeler à la police que le racket aux abords de l'aérogare leur appartient.
En général ils arrivent à trouver un terrain d'entente : Police du côté de l'entrée pour taxer ceux qui partent et l'armée aux petits soins des arrivants à la sortie.
Quand il n'y a pas d'entente, le litige est tranché selon la loi du 7.62 .
Vous ne savez pas ce qu'est la Loi du 7.62? Très simple, le calibre d'une AK-47 est de 7.62mm. Le litige est très rapidement tranché, en général l'armée obtient gain de cause et la justice dans toute sa grâce est rendue.
Aujourd'hui, notre personnage a de la chance, un accord est formé entre la police et l'armée qui se préparent déjà à arrondir leur fin de mois.
J'allais failli oublier les camions de pompier! La France vient de faire don de trois camions de pompier pour avion au pays, qui ne manque jamais l'occasion de les sortir faire rouler peu importe que les circonstances l'exigent ou pas. L'aéroport sera fanfaresque ou ne le sera pas!
Les voilà, en train d'encercler l'avion Air France, le doigt sur la gâchette du canon à mousse carbonique, prêt à faire feu. Le pilote de l'airbus A330, bien trop habitué les regarde, mi amusé, mi apitoyé... Peu importe, il est temps pour lui de réciter un monologue qu'il connaît par cœur.
"- Mesdames et messieurs, nous venons d'atterrir à l'aéroport Bangui Mpoko International marmonne t'il avec le soupçon d'un rire au mot "international". Il est 11h35, la température extérieure est de 34°c, le taux d'humidité est de 90%. L'escalier mobile de débarquement va s'arrimer sous peu, nous vous demandons de bien vouloir rester assis jusqu'à l'extinction des signaux vous demandant de garder votre ceinture. Au nom d'Air France je vous souhaite un agréable séjour et j'espère vous revoir très prochainement à bord de l'un de nos vols."
Bertrand, assez nerveux, est pensif. Paris est loin, plus de 6 heures d'avion... Il ne connait personne, hormis de nom, ne connaît pas la ville et n'avait même pas entendu parler du pays avant ce fichu contrat de travail.
Le voyant du pictogramme d'une ceinture s'éteint, la cohue débute comme il est coutume dans un avion qui vient de se poser après plusieurs heures de vol. Les 250 passagers avancent lentement, empruntant tour à tour l'escalier dont l'état qui laisse à désirer feinte de bientôt s'écrouler sous le poids des passagers
Les premières choses que Bertrand remarque en sortant de l'avion et en marchant sur le tarmac sont: La chaleur intense couplée avec l'humidité, le militaire armé qui le fixe droit dans les yeux et l'odeur.
Peu importe, il tente de s'en accommoder et suit la foule qui se dirige vers le terminal.
Malheureusement personne n'a prévenu Bertrand que l'administration douanière est à l'instar de toutes les autres administrations du pays, une organisation à but lucratif et qu'un expatrié insouciant comme lui est une source de revenu certaine. Ajoutez à cela une incompréhension à la procédure d'entrée, une "malencontreuse" faute de date sur le visa qu'il s'est procuré pour la modique somme de 60 euros à l'ambassade à Paris et une tête hagarde et...
- C'est 10 000 CFA de pénalité patron, lui dit le douanier, le sourire avide à peine dissimulé.
N'ayant que des euros et aucune notion du taux de conversion avec la devise locale, notre personnage lui tend timidement un billet de 20 euros que l'agent accepte gracieusement.
La vie est lente en Afrique, il n'y jamais le feu. Les porteurs de bagages l'illustrent d'ailleurs assez bien, car cela va bientôt faire une demi heure qu'il attend son sac. Certes il n'y a qu'un seul avion à décharger, certes la distance entre l'avion et le carrousel est d'à peine 60 mètres mais comme nous venons de le dire: Il n'y a pas le feu.
Le tapis roulant reprend vie, non sans une certaine dose de difficulté. Le dernier graissage des pièces devant remonter à la guerre froide, le grincement aigu et particulièrement agressif détonne dans les oreilles des passagers déjà usés par le vol.
Enfin, il aperçoit son sac écrasé, sali mais surtout ouvert. L'un des aléas de mettre un cadenas trop fébrile... Il s'empresse pour vérifier ce qui a été volé: son rasoir électrique et quelques chemises. Très énervé, il se dirige vers la sortie quand un autre agent des douanes l'interpelle et lui demande de présenter son passeport, sa carte d'embarquement et d'ouvrir son sac.
Le contenu du sac venant tout récemment d'être allégé, et ne contenant autre chose que des vêtements, le douanier reste perplexe et contemple pensivement l'objet devant lui, tel une statue romaine la main près du visage, les sourcils froncés. Puis après quelques instants de réflexion, peinant à trouver une excuse à moitié valable pour alléger le portefeuille encore plus qu'il ne vient de l'être, il perd espoir, abandonne et le laisse sortir.
A peine a t'il le temps d'ouvrir les portes de l'aéroport que quelqu'un se saisit de son sac, l'appelle "Patron" et lui propose de l'amener au taxi qui est en toute vraisemblance son cousin ou son frère. Il refuse, mais le porteur est insistant, d'ailleurs il ne l'écoute pas et se dirige déjà vers la voiture. Une vieille Nissan Sunny des années '90 dont la banquette arrière consiste en 3 chaises fixées aléatoirement avec du gros scotch et des clous rouillés. Après avoir remercié le porteur et lui avoir donné une pièce de 2 euros, Bertrand s'installe sur la plage avant, à savoir un tabouret fixé de la même manière, peu rassuré. Il tend une carte avec écrite dessus l'adresse du Sofitel au conducteur qui pour la course lui dit que le tarif sera déterminé quand ils seront arrivés. Grave erreur...
Peu importe, il accepte et les voilà partis... enfin.
Il referme ses yeux et soupire de manière presque inaudible "-Ah putain..."
A suivre : Bertrand à Bangui - Quartier France