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Merveille des merveilles

Publié le 07 juin 2010 par Jlk

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D'un vers de Schlunegger, poète suicidé, et de L’Elégance du hérisson
Une paire de vers me revient tout le temps, qui m’est devenue comme un fragment de psaume se répétant malgré moi presque tous les jours:
Merveille des merveilles, sous le lilas fleuri
Merveille, je m’éveille…

C’est le poète romand Jean-Pierre Schunegger qui en est l’auteur, Schlunegger que je voyais tous les jours, lorsque j’étais collégien, sur la ligne 6 du trolleybus reliant les hauts de Lausanne au centre ville, Schlunegger qui me faisait l’effet d’une espèce d’ours russe doux en canadienne, avec sa serviette de prof et sa pipe éteinte, Schlunegger qui a vécu quelque temps dans le val suspendu de La Désirade, où il écrivit La chambre du musicien, Schlunegger qui s’est jeté d’un pont de la région, Schlunegger dont il ne me reste que ces vers :
Merveille des merveilles, sous le lilas fleuri,
Merveille, je m’éveille.

Le souvenir du lilas me revient ce matin à cause de la neige de pétales de camélia sur la mousse d’un temple de Kyoto, évoquée dans un film d’Ozu que cite Muriel Barbery dans L’Elégance du hérisson, au blanc de laquelle fait écho la neige de ce matin sur les monts de Savoie, de l’autre côté du lac aux eaux dormantes.
Et toute la poésie de ces choses infimes constituant la « merveille des merveilles » me revient aussi, tandis que j’écoute It’s only a Papermoon de Lester Young, en revenant à ces lignes que j’ai soulignées dans L’Elégance du hérisson (p.93-94) évoquant le rituel d’un inhabituel thé matinal de deux bonnes dames : « Ces instants où se révèle à nous la trame de notre existence, par la force d’un rituel que nous reconduirons avec plus de plaisir encore de l’avoir enfreint, sont des parenthèses magiques qui mettent le cœur au bord de l’âme, parce que, fugitivement mais intensément, un peu d’éternité est soudain venu féconder le temps. Au dehors, le monde rugit ou s’endort, les guerres s’embrasent, les hommes vivent et meurent, des nations périssent, d’autre surgissent qui seront bientôt englouties et, dans tout ce bruit et toute cette fureur, dans ces éruptions et ces ressacs, tandis que le monde va, s’enflamme, se déchire et renaît, s’agite la vie humaine. Alors buvons une tasse de thé… »
Et plus loin : « Où se trouve la beauté ? Dans les grandes choses qui, comme les autres, sont condamnées à mourir, ou bien dans les petites qui, sans prétendre à rien, savent incruster dans l'instant une gemme d’infini ? »
Et ceci, tiré des Sœurs Munakata d’Ozu : «La vraie nouveauté, c’est ce qui ne vieillit pas malgré le temps ».
Alors la concierge philosophe Renée, l’une des protagonistes de L’Elégance du hérisson, de conclure : « Le camélia sur la mousse du temple, le violet des monts de Kyoto, une tasse de porcelaine bleue, cette éclosion de la beauté pure au cœur des passions éphémères, n’est-ce pas ce à quoi nous aspirons tous ? Et ce que nous autres, Civilisations de l’Ouest, ne savons atteindre ? La contemplation de l’éternité dams le mouvement même de la vie »…
Muriel Barbery. L’Elégance du hérisson. Gallimard, 359p.


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