Nous commençons en général notre vie comme des êtres naïfs, contemplant la réalité qui nous entoure avec des yeux crédules et enfantins. Avec le temps, nous apprenons à nous méfier et à construire des œillères invisibles autour de nos yeux, pour ne voir que ce que nous sommes prêts à accepter.
Pour Zeina, la vie commence à l’envers. Dans son témoignage « Sous mon niqab », elle raconte l’enfer qu’elle a dû vivre pendant plusieurs années sous le joug de son mari musulman devenu subitement pratiquant à l’extrême. Croyante, issue d’une famille très pieuse, Zeina vit une enfance sans encombres, mais, bien que scolarisée et plus tard employée, ne connait que la soumission aux traditions librement revisitées par sa famille.
Pour la plupart des femmes voilées, l’histoire s’arrête aux 50 premières pages : extrémisme religieux, confiance aveugle, mariage, hijab, jilbab, niqab (besoin d’une photo ou vous voyez ce dont il s’agit?), soutien de la famille envers le mari, étapes entrecoupées de violences conjugales. Pour Zeina, il y a eu une suite à cette histoire presque banale. Un deuxième volet incroyable, où elle fuit les coups de son mari pour se mettre à l’abri, et préfère vivre dans la rue que retourner chez lui.
Le style de l’auteure est dénué de longues phrases descriptives et s’en tient au strict minimum. Zeina en vient aux faits, sans avoir besoin de parer son récit d’adjectifs inutiles et encombrants. Il faut faire vite, raconter prestement, car le temps presse aujourd’hui. Semblable à l’histoire de l’œuf et de la poule, on ne sait plus qui est arrivé en premier : est-ce la médiatisation de la burqa qui a engendré la profusion de son port, en réaction aux mode occidental, ou le contraire ?
Via Zeina, nous pénétrons dans la mosquée de son quartier et découvrons les rites religieux pratiqués, la séparation hommes-femmes, les félicitations en chaine que reçoit l’auteure pour son engagement « sur le chemin de la perfection« . On découvre l’adulation suprême de la figure mâle, à qui tout doit être cédé. On découvre en bref l’extrémisme religieux dans toute son horreur.
Zeina contemple sa vie à travers son masque. La spontanéité de sa fugue est la réponse logique au premier dialogue concret qu’elle échange avec la personne qui l’aide à s’enfuir, celle qui lui ouvre les yeux sur sa situation. On lui confirme que sa vie n’en est pas une et qu’elle est devenu un véritable objet, instrumentalisé depuis trop d’années. Zeina le souligne d’ailleurs à plusieurs reprises :
» J’ignorais que la loi lui interdisait de me battre, j’ignorais qu’il existe des lois interdisant à un mari de battre son épouse. Je n’avais pas appris cela à l’école. »
Voir sous le niqab des filles, ce n’est pas joli-joli. On y découvre un visage couvert d’hématomes, la honte portée dans chaque trait de la femme, la résignation qui a remplacé tour à tour l’incompréhension puis la colère. Libérée de son niqab, Zeina doit réapprendre à vivre à l’envers, en n’ayant pas connu cette innocence qui forge le caractère, en ayant débuté par l’obscurité la plus angoissante qu’il soit donner de vivre. Et arriver, à tout prix, à accepter de devenir visible, de ne plus être un fantôme. Seule et sans ressources, délaissée par les siens qui portent sa fugue comme une fardeau pour la réputation de sa famille, Zeina joue littéralement sa vie.
Son récit bouleverse et laisse presque dubitatif. Comment ne pas avoir deviné cette souffrance derrière ces « spectres », insulte à laquelle Zeina doit régulièrement faire face ? Nous avons inconsciemment érigé des « murs étanches » de pensées qui nous empêchent de comprendre ce que Zeina a pu ressentir. Interdire la burqa en France ne résoudra rien, bien au contraire, et Zeina le prouve avec son témoignage : c’est entre les 4 murs de la maison que se joue cette relation de dominé-dominant accablante. Et non dans la rue où, de toute façon, elle n’iront bientôt plus, niqab ou pas.
« Sous mon niqab » par Zeina, aux Editions Plon, 154 pages, 14,90 €