« City Boy » est une chronique gay. Je n’ai aucun scrupule à catégoriser ce livre, c’est Edmund White lui-même qui m’y autorise. Dans son livre, il fait face au refus catégorique de son entourage de se voir étiqueter d’ « auteur gay ». On parle bien de « littérature Afro-américaine », de « littérature féminine », alors pourquoi pas homosexuelle ?
N’est-ce pas encore plus discriminatoire de ne pas vouloir recevoir une reconnaissance pour sa littérature, forcément orientée car elle est toujours ? N’est-ce pas un déni parfait de ne pas vouloir admettre que l’homosexualité joue inévitablement un rôle dans sa façon d’être et donc dans son style ? Edmund White ne le crie pas, mais l’affirme posément : il fait partie de la littérature gay.
J’ai mis plusieurs jours à lire ce livre. Chaque chapitre est un véritable tourbillon culturel, où l’on est transporté dans les méandres de la vie new-yorkaise. On côtoie la rigidité et les principes de Susan Sontag, on tombe dans le quotidien de Peggy Guggenheim, tout cela des yeux d’Edmund White, jeune romancier et journaliste.
Son parcours initiatique semble avoir été forgé par la ville, comme l’était celui de Sister Carrie de Theodore Dreiser. Il ne choisit pas ses rencontres, ses envies, ses sujets d’écriture ; la ville le fait pour lui. New York le façonne et lui apprend à se découvrir lui-même. Son écriture évolue au fil des rues, des évolutions de la cité. Contrairement à Carrie qui, elle, se fait « détruire » par les forces urbaines, il échappe cependant à sa propre perte, celle-ci même qui a frappé beaucoup d’auteurs « épris » de la ville à tel point qu’ils ne se renouvellent pas, en partant pour Paris. Mais toujours, New York évoque pour lui son adresse de prédilection.
Sans détour, il raconte comment il « lève » ses proies, avec une facilité déconcertante, dans un New York où, si les relations étaient très libres, les jeux de la séduction avaient aussi leur place. Ils parlent sans censure des back room, il écrit les mots que peu arrivent encore à regarder sans rougir ou sans se scandaliser. Et pourtant, Edmund White reste bizarrement toujours élégant dans sa prose.
Cette chronique m’a fait du bien, à une époque où j’entends encore avec peine, prononcé sur le ton de la blague :
« Ton pote me regarde beaucoup, j’ai peur qu’il me saute dessus »
En présence de gays, nombreux sont les mecs qui se croient soudainement irrésistibles et se mettent en position de proies potentielles. Il se croient également en mesure de pouvoir jouer les victimes apeurées et de crier au harcèlement sexuel. Sois tranquille, il ne te sautera pas dessus. Il ne t’a probablement même pas remarqué ou considéré l’espace d’une seconde, car il a certainement déjà senti ton vide intérieur, ton manque de tolérance et surtout, le fait que tu es hétéro.
Ces remarques basses et sans intérêt montre bien combien l’homosexualité reste encore méconnue et interprétée comme une dérive de la morale. Les homosexuels ont des yeux les mecs, et ils n’ont peut-être croisé votre regard dans la rue que pour éviter de vous frôler.
« City Boy » d’Edmund White, éditions Plon, 336 pages, 24€.