En prenant mon billet pour The Social Network, l’ouvreur du cinéma a naturellement entamé la conversation sur le sujet brûlant.
- Ah Facebook ! C’est quelque chose ! Tous les gens vont avoir peur après le film !
- Vous êtes sur Facebook ?
- Oui, mais je bloque tout : photos, vidéos, commentaires… Je fais attention.
Ça, c’est ce que tu crois mec. Tu ne montres pas tes photos, tu bloques ton profil pour que seuls les personnes de ton choix le voient, mais tu as déjà perdu le contrôle depuis longtemps. Tu te protèges de l’utilisateur lambda qui veut connaître ta vie virtuelle, mais, il est trop tard pour échapper à Facebook. Tatatan.
On aime tous critiquer Facebook. On se plaît à souligner les abus du Dieu des réseaux sociaux avec délectation en soirée, en se gargarisant du fait que l’on ne tombera pas dans le panneau, ah ça non, parce qu’on a compris les ficelles de cet outil dangereux qui porte atteinte à notre vie privée. Puis quand les copains sont partis et qu’on a déjà décidé qu’on remettait la vaisselle des verres à demain, on s’empresse d’updater what’s on your mind avec un enthousiaste
« Soirée super, on se refait ça quand vous voulez les mecs ! »
Puis, un peu pompette, tu mettras quand même une ou deux photos de tes potes et toi avec un verre à la main, l’œil mi clos et le brushing en vrille. Et les bonnes résolutions, les grands discours finissent au panier. La démocratisation d’Internet nous enveloppe d’un sentiment jamais connu auparavant : on peut raconter sa vie quotidienne dénuée de tout piment et pourtant trouver un public réceptif et amateur d’anecdotes fadasses. Puissant.
Le film retrace la naissance de Facebook entre les murs d’Harvard et la collaboration entre Mark Zuckerberg, incarné par Jesse Eisenberg, et son meilleur ami Eduardo Saverin (le très bon Andrew Garfield, vu dans le poignant Boy A). Le boutonneux fraîchement plaqué se venge de son ex-copine sur le net, et à grandes rasades de bières, pirate le réseau de l’université en récupérant les images de toutes les belles plantes. Bingo.
On n’est pas dans Dallas, mais The Social Network a son lot de (gros) coups bas. Facebook « redorera le blason » de l’étudiant incriminé mais en passant, le petit coquin détourne la belle idée de trois gaillards nantis de l’université qui veulent connecter entre eux les étudiants d’Harvard. Le filon, trop grand, trop juteux, trop innovateur ne peut être partagé comme nos actus sur nos walls, et comme il est souligné dans le film,
« L’important, c’est d’être le premier »
Mark Zuckerberg apparaît sous les traits d’un véritable génie désintéressé, obnubilé par la perfectibilité constante de sa création. Le gringalet pèse des milliards mais semble perdu dans son monde fait de balises et d’algorithmes, où toutes données personnelles devient synonyme non pas de dollars, mais plus de déploiement mondial et donc de réputation surpassant encore plus les sommets déjà atteints. Le flot de paroles cassantes et déstabilisantes de Zuckerberg laisse ses interlocuteurs sur le carreau : le gamin sait déjà qu’il a trouvé sa poule aux oeufs d’or et ne compte pas se laisser intimider.
Si Zuckerberg finit par payer une belle somme à ses attaquants, il ressort finalement comme le grand gagnant de cette révolution Web et, à voir son regard ferme et profondément indifférent de tout ce tapage, on sent bien que Monsieur le milliardaire le sait. N’en déplaise à Sean Park (Justin Timberlake), fondateur de feu Napster (on le saura dans le film !), dont on ne comprend que vaguement l’implication et le droit à évincer Saverin.
The Social Network est bien fait, sans prétention. Pas le film de l’année mais prenant et des acteurs plutôt bons dans des rôles pas évidents. Léger détournement de débat : la question en suspens à la fin du visionnage reste celle de la culpabilité ou non de Zuckerberg et le jugement de ses agissements, pas réellement, comme on aurait pu le croire, la politique très controversée sur l’utilisation des données personnelles et les paramètres de confidentialité du réseau social. Et si on se pokait tous pour exprimer sa désapprobation ?
Crédit photo : Allociné