Magazine Journal intime

Bertrand à Bangui – Chutes de Boali

Publié le 05 novembre 2010 par Alainduneuftrois

Il est 17h quand Bertrand est réveillé par ce qu’il pense être une explosion à l’extérieur de l’hôtel.

Il attrape ses lunettes et marque un temps de pause, il réfléchit. Peut être ne devrait il pas s’enquérir tout de suite de ce qui se passe car après tout, nous somme en Afrique centrale et une explosion est souvent accompagnée d’un trouble à grande échelle de l’ordre public.

Il entend des cris indistincts et le mouvement d’un grand nombre de véhicules.

Sa curiosité l’emporte sur la raison, il se chausse et descend les quatre étages le séparant de la réception en empruntant les escaliers. La balade en ascenseur a été suffisamment traumatisante la première fois pour qu’il ne souhaite pas réitérer l’expérience. Première bonne décision de la journée.

Arrivé au rez-de-chaussée, il aperçoit le même réceptionniste qui a le regard porté vers l’extérieur, dont l’air ne laisse transparaître aucune inquiétude. En s’approchant, Bertrand lui demande :

« - Vous savez ce qui ce passe ? »

Comme réponse, l’homme pointe du doigt un gigantesque nuage de fumée qui semble avoir comme source un bâtiment situé à quelques trentaines de mètres de l’ambassade de France.

Bertrand se concentre sur le nuage. Il aperçoit des gens courir, des voitures démarrer en urgence pour s’éloigner des flammes qui semblent provenir d’une voiture.

Des images d’attentats à la voiture piégée commencent à défiler dans sa tête. Des IED, « Improvised Explosive Device » ou Bombe Artisanale Improvisée en français, le quotidien des troupes occidentales en Afghanistan et en Irak. Serait-ce donc la même chose ici ? Il savait que l’instabilité de la paix dans la région centrafricaine était un phénomène fréquent, mais là tout de suite ? Le jour de son arrivée ? Peut être que quelqu’un aurait attenté quelque chose contre l’ambassade mais aurait échoué…

Ces pensées inondent son esprit et Bertrand sent de froides sueurs couler sur son front, il regarde autour de lui pour voir si quelqu’un l’observe, le guette. Il n’y a personne d’autre que lui et l’employé dans le hall. Sa respiration devient de plus en plus saccadée et sa vision se floute au fur et à mesure.

  • Qu’est ce qu’il se passe ?! Il s’étonne de l’avoir hurlé au visage du réceptionniste, jamais il ne se le serait permis dans d’autres circonstances. Quelqu’un vient d’attaquer l’ambassade de France c’est ça ?

L’employé le regarde un instant perplexe, puis explose de rire.

  • Non Patron, non, dit il avec beaucoup de mal, les larmes de rire encore saillante sur ses joues. C’est chez Camshah !

  • Pardon ?

  • Camshah ! Ah vous ne connaissez pas, une compagnie de fourniture de Butagaz, ça fait des semaines qu’ils sont en train de réparer les soudures à l’intérieur de l’immeuble. Mais il faut savoir, monsieur Camshah n’est pas très dépensier, il a donc pris les travailleurs les moins chers de la ville pour faire les travaux. Il ne voulait pas non plus déplacer les Butagaz hors de l’immeuble, il a peur qu’on les lui vole donc ils sont tous restés à l’intérieur. Forcément, Patron, quand on mélange des travailleurs blaireaux, des chalumeaux très très chauds et des Butagaz, ça n’est qu’une question de temps, mais ça va faire BOOM à un moment ou un autre.

Bertrand s’assied en expirant profondément et en se disant qu’il devrait arrêter de regarder la télévision.

L’air inquisiteur du réceptionniste commence à l’énerver, il ne supporte pas être observé par quelqu’un qu’il ne connaît pas, et encore moins par une personne hilare à son sujet.

En ayant assez vu, il décide de remonter à sa chambre, la fatigue étant encore bien présente, une heure de sieste en plus ne pourrait pas lui faire du mal.

Un Land Cruiser blanc arborant l’insigne d’une compagnie occidentale puissante, encadré par deux 4x4 de marque inconnue et sans plaque minéralogique, se garent à vive allure devant les portes du Sofitel.

« Lockheed Martin », l’un des trois plus grands conglomérats de technologie de défense militaire sur Terre. Son employeur.

Ce n’est pas comme si Bertrand n’avait pas eu le choix, son profil académique étant exemplaire : Diplômé de Math Sup à Paris, un échange a Johns Hopkins en Californie financé par papa et interne chercheur au département d’informatique appliquée et à celui de l’hydro-dynamique, son CV avait attiré l’attention de grandes corporations aux mœurs douteuses : Thalès, Israeli Military Industries, EADS… Au final, ce fut Lockheed Martin, la compagnie américaine qui l’eût conquit avec un chèque. Un très gros chèque.

Le genre de chèque que des personnes moyennes utilisent pour illustrer un propos dans une métaphore. Sauf qu’ici, le morceau de papier était bien réel et le montant inscrit dessus contenait 6 chiffres… en Euros.

Issu d’un milieu suffisamment aisé, il n’aurait en théorie jamais eu besoin de vendre son âme au diable pour subvenir à ses besoins quotidien, mais son père, un réactionnaire prononcé n’avait que peu apprécié son choix douteux de compagne.

Cette Chloé Morisaé, qui était elle ? Quel était le rang social de sa famille ?

On ne traîne pas dans la gouttière, ni avec les êtres qui s’y trouvent, lui avait hurlé son père.

Des mois de silence s’en étaient suivis, puis un jour, une coupure totale de la rente patriarcale.

Etant assez économe pour les dépenses quotidiennes, il n’avait pas ressenti l’urgence de ses besoins financiers au début. Mais les années passant, l’appartement acheté sous prêt relai sur 20 ans (il avait rechigné à vivre autre part qu’avenue Foch) et l’absence d’emploi stable de sa compagne l’avait forcé à se vendre au plus offrant.

Un gros chèque, plus qu’il n’aurait imaginé dans ses rêves les plus absurdes, qui comportait néanmoins une condition : La mission contractée aurait lieu en République Centrafricaine sous la supervision de l’officier technique en place.

La mission ? Secrète en raison d’une clause de confidentialité qu’ils lui avaient fait signer en 3 exemplaires, en insistant longtemps et lourdement sur les conséquences financière et juridiques qu’un écart de conduite pourrait avoir sur sa carrière au sein de l’entreprise et plus fondamentalement sa vie.

En l’espèce, il s’agissait d’une mission de plusieurs semaines consistant en l’installation de matériel informatique « sensible et classé » sur le barrage hydro-électrique des Chutes de Boali au nord de la ville, et de la réfection sous accord bilatéral du ministère de la défense Français et du « DOD » (Departement of Defense) de matériel militaire américain dont la nature ne lui serait dévoilée que sur place.

D’ailleurs, sur place, tout contact avec le monde extérieur serait interdit, incluant de manière exhaustive mais non limitative les appareils de télécommunication cellulaire, par bande FM, par liaison satellite… Bertrand leur avait dit qu’ils auraient à ces fins pu inclure les pigeons voyageurs, les signaux de fumée Indiens et la télépathie. Ils n’avaient pas ri, et l’un des associés présent lors de la conclusion du contrat, dont l’apparence générale lui aurait plus fait penser à un ancien lutteur qu’à un associé d’entreprise l’avait dissuadé de continuer dans sa lignée de blagues stupides.

Des hommes en costume, malgré la chaleur et l’humidité insoutenable, sortent des 3 véhicules. Bertrand remarque trois choses sur eux : Il y a une grosse bosse apparente au niveau de la ceinture de chacun de leur costumes, ils portent des oreillettes et ils n’ont pas l’air commodes.

L’un d’entre eux, le chef en toute vraisemblance, murmure des ordres au microphone caché sous sa manche et instantanément, ses hommes se positionnent. Puis après un instant où chacun d’entre eux semble scruter le paysage, le garde le plus proche de la Land Cruiser Blanche ouvre la porte arrière.

L’homme qui en sort s’appelle M. Wolcott (nul n’avait osé insister sur son prénom), il est l’agent senior technique de Lockheed Martin, il a 45 ans. Il fait 1 mètre 90, pèse 135 kg mais n’a pas une once de gras dans son corps. Son passé ? Rien n’est sûr, mais de ce que Bertrand a entendu dire de lui, c’est que cette mastodonte est dangereuse, intelligente et sans pitié. Dans les années ’90, il faisait partie d’une unité sans nom, basée dans une base sans nom, dans un pays qui n'existait pas. Ensuite, ce ne sont que des rumeurs, mais quand ces dernières parlent de 7 années passées au service du Service des Activités Spéciales, une « succursale » du Service des opérations clandestines de la CIA, on ne pose plus de question si on tient à ne pas avoir à nourrir les pissenlits par la racine.

Bertrand lui pense être dans un rêve complètement surréaliste. Dans quel pétrin s'est il encore fourré? Sa simple mission d'installation d'équipement, certes militaire, commençait à ressembler légèrement à un épisode de roman d'espionnage...

Rassemblant le peu de stoïcisme qui qui lui reste et s'approche d'un pas peu rassuré vers Wolcott. Sans lui dire un mot, l'agent lui fait signe de la tête de monter dans le 4x4 blanc du milieu: un Toyota Land cruiser, l'un des véhicules tout terrain les plus solides du marché de l'automobile. Beaucoup de personnes pensent que les voitures américaines sont les plus solides, mais si vous voulez vraiment savoir ce qui est le plus solide, il est autrement plus recommandable de regarder l'équipement militaire au lieu de se fier à des illusions erronées. Avec un réservoir de plus de 90 litres et un autre de réserve de même capacité, le land cruiser est celui disposant de la plus grande autonomie. Le châssis renforcé par le pare buffle triangulé en titane lui permet de rentrer dans deux voitures garées à une vitesse supérieure à 60km/h sans endommager le moteur ni la grille de ventilation. Pas que cela soit nécessaire, car Bertrand aperçoit dans le coffre des fusils d'assaut Heckler &Koch 416 de calibre 7.62 et une mitrailleuse lourde Browing M2 de calibre .50

Bertrand s'installe à l'arrière et le ballet des gardes recommence, mais cette fois ci en sens inverse. Il est maintenant assis au milieu, entre Wolcott à sa gauche et un garde au gabarit, disons, inqualifiable dans le sens où il dépasse les normes que l'on associerait à celui des humains. Plus gorille amazonien qu'homo sapiens, l'homme à sa droite tourne la tête, scrute Bertrand un instant puis explose de rire. Le mot « rire » manque cependant de précision pour qualifier le son qui s'échappe de la bouche du Gorille. Il s'agit plutôt d'un grognement puissant et continu entrecoupé de pauses pour respirer. Bertrand se dit qu'il n'a pas pensé si bien dire en le comparant au roi des primates, et qu'il ne serait pas surpris de le voir monter sur le toit de la voiture pour hurler et frapper son torse.

« - Vous a t'on expliqué les détails de la mission en métropole? Bertrand est sorti de ses songes saugrenus par l'accent américain de Wolcott.

  • Euh non, à vrai dire ils sont restés particulièrement flous quant au travail que je suis censé faire ici... répond t'il en bégayant presque. Pas le moment de passer pour le puceau bizut de service devant ce qui ne peut être décrit que comme un amas de testostérone armé de fusils d'assaut.

  • Parfait, répond sèchement Wolcott. Moins vous en savez, mieux vous vous porterez. »

Là Bertrand se dit que les américains ont vraiment le don pour mettre les gens en confiance. Et si j'en sais trop que se passe t'il? Je termine dans le caniveau avec un deuxième trou au niveau de la tête, on s'arrange comment?

Le convoi démarre et les voilà partis pour les chutes. Durant le trajet, Bertrand ne dit mot, il a peur à la fois de se ridiculiser, de dire quelque chose qui donnerait envie à l'un d'entre eux de lui mettre un coude dans les côtes, de s'évanouir et ce pas forcément dans cet ordre là.

La climatisation est réglée au maximum dans le Land Cruiser Toyota, à tel point que Bertrand commence à frissonner. A l'inverse, le Gorille lui semble avoir couru le 1500 mètre haies car il transpire de toutes les pores ce qui a le don de dégouter notre héros qui affectionne une aversion particulière pour les sécrétions corporelles et à plus forte raison quand il ne s'agit pas des siennes et plus encore si ces dites sécrétions se trouve à proximité immédiate de sa tête. Mais, n'étant pas complètement inconscient, il n'émet aucune remarque, même quand l'odeur fétide de la sueur atteint ses narines. Il se dit qu'il va se distraire en mangeant un peu. De son sac en bandoulière, il sort sa boîte d'Oréos, maintenant complètement écrasée par les occupants de la plage arrière, et en propose à ses voisins immédiats.

Les deux tournent la tête et le fixent, puis ils se regardent et lèvent les yeux au ciel, comme s'il venait de leur proposer l'idée la plus débile qui leur ai jamais été faite.

Tant pis, de toute façon, Bertrand n'a pas très faim, il faut dire que le trajet est long, saccadé par les nids de poule et que de toute façon il pue tellement à l'intérieur du véhicule que s'il mange il va repeindre le tableau de bord.

Bertrand entend les hommes parler en anglais à leurs radios activées par un système accroché à leur poignets où il suffit d'appuyer. Le système PTT, le plus simple et intuitif du monde: « Push To Talk ».

Il entend et comprends les mots qu'ils se disent, mais paradoxalement, ils n'ont aucun sens pour lui.

Complètement incompréhensible, se dit il, un langage de brutes décérébrées.

Puis, sans avertissement, la colonne de voitures tourne brutalement sur une piste en terre à droite où le confort des passagers est réduit substantiellement. Bertrand sent la tension monter chez les agents qui ont maintenant leurs mains posées sur leurs armes. Il comprend maintenant à quoi sert la mitrailleuse Lourde M2 qui est en général fixée en tourelle sur le toit de Hummers militarisés: Le 4X4 de tête vient d'ouvrir son coffre et il aperçoit la M2 accrochée par un système à l'apparence très sophistiquée qui lui permet d'être montée en mouvement sur le toit par un arc de 180° avec son opérateur harnaché faisant face à l'avant, le dos dans le vide. La voiture de queue vient de faire la même chose. Bertrand lance un regard ahuri à Wolcott qui ne sourit pas.

« - On entre en zone de jungle dans un pays où la milice rebelle opère à moins de 30 kilomètres de la capitale sans se faire repérer, dit il les yeux rivés sur la piste et ses alentours. »

Ils continuent sur cette route pendant plus de vingt longues minutes.

Bertrand n'est plus d'humeur à demander un complément d'information. Oh putain... Oh putain mais qu'est ce que c'est que ce délire..? Ca y est j'en suis sur je vais me faire refroidir soit par un rebelle soit par un de ces gorilles assoiffés de sang mais dans tous les cas je vais mourir dans le trou du cul du monde, personne ne verra plus jamais mon corps, il n'y aura personne pour nourrir mon chat Pimousse et - « On est arrivé! Hurle le conducteur du 4X4 »

Se sentant un peu ridicule d'avoir eu aussi peur, Bertrand soupire, ferme les yeux, puis suit Wolcott en descendant.

Il est accueilli par une vue sans égale: Des chutes d'eau gigantesques étalées sur plusieurs centaines de mètre créant une brume et une pluie permanente; sur un des affluents en amont, un barrage hydro-électrique stupéfiant de grandeur entouré par une jungle si dense que même l'armée française n'arrive pas à la pénétrer.

Bertrand ses surprend parfois à se parler en Anglais, et aujourd'hui est l'une de ces fois. « Holy Mother of God... » est la seule chose qu'il arrive à soupirer face à la vue titanesque qui se présente à lui.

« - Monsieur Pok! » C'est Wolcott qui lui fait signe de se rapprocher.

Les yeux toujours fixés sur les chutes, Bertrand s'avance lentement vers lui. Il est en train de parler à un homme en uniforme militaire Français avec la coupe adéquate et les galons d'un Officier de l'armée de l'Air.

« Monsieur Pok, voici le Commandant Chavosse, je pense qu'il est temps de vous expliquer votre rôle au sein de notre organisation. Mon Colonel, je vous laisse l'honneur de briefer notre nouveau collègue. »

Bertrand se retourne et observe le Commandant Chavosse qui lui jette un grand sourire et lui tend la main pour la serrer.

Il jette un deuxième coup d'oeil à ses galons et aperçoit quelque chose qui le tétanise de peur.

Dans l'armée de l'Air, un Commandant est un officier supérieur en charge d'un escadron spécialisé. La spécialité d'un escadron est représentée par un symbole ou un dessin sur le galon. Ici, il s'agit d'un avion de chasse Mirage 2000 avec en dessous une représentation grotesque du globe terrestre:

L'escadron aérien de la Force de Dissuasion Nucléaire.

« Oh putain de merde... »


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