En descendant l’escalier roulant de l’aéroport, je commence à me sentir bizarre, la poitrine subitement alourdie. L’impression que je pensais n’avoir que si je consommais la relation avec Benjamin est subitement apparue : l’impression très forte que je venais de trahir Bernadette, sa femme.
Le fait d’avoir partagé nos sentiments l’un envers l’autre, Benjamin et moi, aurait dû alléger le fardeau ?!
C’est le contraire qui vient de se passer. Je n’y comprends rien.
Ce sentiment de trahison pèse infiniment lourd dans ma poitrine et dans mon corps. Je ne me souviens pas d’avoir supporté un tel secret, un tel poids, depuis plus de 20 ans, et encore. Les secrets, je m’en passe et fais en sorte qu’aucun ne me pèse : je n’ai donc pas de secrets !
C’est vendredi soir. Je rentre à la maison. Le lendemain matin, une amie m’appelle au secours pour m’occuper de sa fille. Je vais la chercher et passe la journée à regarder un film puis bricoler avec elle avant d’aller auprès de Bernadette. Elle vient d’être très malade pendant plusieurs semaines et, même si elle va beaucoup mieux, je lui ai promis que j’irais tous les jours en fin de journée. Cette promesse date naturellement de bien avant la discussion avec Benjamin à l’aéroport et je ne peux pas trouver d’excuse pour ne plus y aller. La vie me pousse au fond de mes limites pour que je dépasse quelque chose que je ne connais pas encore.
«Bernadette a décidé de t’aimer», m’a dit un jour Benjamin, m’expliquant que sa femme aime ou n’aime pas, sans milieu, et que, en décidant ainsi de m’aimer, je suis privilégiée. Je sens le poids d’une amitié que je n’ai pas demandée, une responsabilité aussi puisqu’il m’explique que je suis sa seule amie, dorénavant, puisque les autres sont décédées. Oufff…
J’arrive chez elle complètement bizarre. Je dois avoir l’air simplement fatiguée car elle n’a pas l’air de se douter de quoi que ce soit. Je passe un temps simplement agréable avec elle puis rentre à la maison. Il était temps. Je me sentais tellement mal face à elle même si elle ne sait rien. Justement. Le secret est là et je n’aime pas les cachotteries, les mensonges, les choses pas claires et malhonnêtes. Je suis profondément droite, une qualité qui est parfois difficile à supporter mais m’apporte toujours de bons résultats.
Le fardeau est trop lourd. J’ai besoin de le libérer, de faire sortir ce qui me pèse tant et fait mal. Je mets de la musique et commence à danser. La danse est mon exutoire. C’est ainsi que j’arrive, seule, à m’auto-thérapeutiser en laissant sortir les émotions, les images, les mots et la compréhension, pour laisser place à la guérison de la blessure.
Je danse, je danse, les larmes commencent à monter, les images suivent bientôt. Je comprends que ce n’est pas l’impression de trahison qui me pèse tant. Ce sont mes peurs d’aimer et d’être aimée. Ces peurs que je porte depuis si longtemps.
Dans ma visualisation dansante, je vois Benjamin venir à ma rencontre et m’ouvrir ses bras. Je combats, je refuse, je pleure, je crie, j’ai mal.
Il reste calme, les bras ouverts, simplement. Je pleure de plus belle, laissant monter les peurs pour qu’elles se transforment tranquillement. Je les accueille car je n’en ai plus besoin. Je suis prête à aimer et être aimée. Elles n’ont plus leur place dans ma vie.
Quelque chose se transforme doucement et je finis par accepter les bras de Benjamin, qui me sert fort et tendrement, simplement, m’aimant inconditionnellement. Le processus aura pris plus de 30 minutes.
Je me sens calmée ensuite. Je décante ce flot d’émotions qui provient d’une blessure d’enfance très profonde qui m’a fait vivre dans une croyance de non-mérite et de non-droit à l’Amour depuis toute petite, que ce soit le donner ou le recevoir.
Le lendemain, je me sens bien. L’impression de trahison a presque totalement disparu. Je redeviens l’amie de Bernadette comme si de rien n’était, enfin presque.
Ce qui compte, c’est d’avoir réalisé la cause de ma souffrance qui n’était, finalement, pas ce que je pensais. Certes, le fait de vivre avec ce secret est dérangeant pour moi mais beaucoup plus vivable maintenant.
Benjamin et moi n’avons pas trahi Bernadette.
Nous sommes sur un chemin d’enseignement… simplement.
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