Novembre 2010, je rencontre un autre homme, Benjamin, qui m’est présenté par mon ami Louis, pour un autre projet. En entrant dans la maison, il se lève pour venir me saluer. Le regard que nous nous échangeons est celui de personnes qui semblent se connaître. Je sus plus tard où je l’avais déjà rencontré, l’espace d’une minute dans une réunion.
Au-delà de ça, cette rencontre en est une de reconnaissance d’âmes. Nous aurons plus tard la confirmation de vies antérieures vécues ensemble.
Je rencontre aussi sa femme, malade, avec qui il vit depuis plus de la moitié de sa vie, qui se prend d’amitié pour moi. Pince-sans-rire, je ne la plains jamais mais la taquine plutôt même, surtout quand elle a tendance à vouloir tomber dans la victimite. Je l’écoute aussi là où elle se sent seule dans sa maladie, son mari en ayant manifestement assez de l’assister. Il m’en parlera d’ailleurs ouvertement. Cette maladie qui dure depuis plusieurs années et rend sa femme dépendante de lui l’amène dans une cage qu’il ne supporte plus.
Nous travaillons avec Benjamin sur le projet, nous rencontrant de plus en plus, chez lui le plus souvent. M’invitant à souper avec eux de temps en temps, je deviens une amie du couple quand, en février dernier, le regard de cet homme commence à devenir de plus en plus lumineux, son sourire de plus en plus touchant quand il me regarde. De mon côté, quelque chose bouge aussi. Une complicité de plus en plus précieuse s’installe entre nous, en tout bien tout honneur, et nous passons de plus en plus de temps ensemble pour toutes sortes de raisons. Ça va même jusqu’à aller faire l’épicerie ensemble et se courir après dans les allées du magasin comme deux gamins.
Je partage avec lui des moments de pur bonheur simples et fous, autant que très sérieux et parfois même très personnels car il me confie des choses qui lui pèsent sur le coeur qu’il ne peut partager avec sa femme. Nous sommes devenus des amis proches.
La semaine dernière, il me partage un autre de ses secrets suivi de «Ça aussi, je ne l’ai jamais dit à personne…». Je le regarde et lui dis:
- Pourquoi me dis-tu des choses aussi personnelles ? Je n’ai pas besoin de me sentir unique à tes yeux…
- C’est vrai, je ne sais pas… et il se met à réfléchir.
Ses yeux s’illuminent au bout de quelques minutes, le temps de passer un feu de circulation :
- Je sais ! C’est que tu me fais penser à ma mère : ta simplicité, ton intégrité, ta générosité, ta folie. Oui, ton côté fou et simple, c’est aussi ce qui m’a attiré chez ma femme quand je l’ai connue.
Wow… Après tout ce qu’il m’a dit sur sa mère ainsi que l’attachement et le respect qu’il a pour sa femme, je peux considérer que ce qu’il vient de me dire est un sacré compliment… dont je ne sais que faire ni penser. Je ne réponds rien.
Il y a deux semaines, Louis, l’ami qui m’a présenté Benjamin, me pose une question à laquelle je ne m’attendais pas… si vite. Je savais cependant qu’elle allait arriver, connaissant Louis et son regard protecteur à mon égard :
- Si Benjamin était célibataire, est-ce qu’il t’intéresserait ?
- Mmmm…. oui…, je réponds avec un mot qui prend de longues secondes pour arriver à mes lèvres dans un son audible, après avoir décidé d’être honnête avec mon meilleur ami.
- Wow, tu deviens toute rouge !!! me lance-t-il.
- Je l’aime beaucoup, c’est vrai.
- Et il t’intéresse… ?!
- Oui mais, tu sais, au-delà de «ça», il y a le fait, très précieux, de l’entente qu’on a, de cette complicité. De toute façon, il est engagé et je ne sors jamais avec un homme engagé.
- C’est vrai que vous vous entendez super bien, répond Louis en baissant les yeux, me confirmant que ce que je vis avec Benjamin lui fait quelque chose. Je sais qu’il m’aime aussi beaucoup, depuis longtemps, mais je ne suis pas amoureuse de lui et ne le serai jamais.
Je n’en parle pas à Benjamin même si ça me trotte dans la tête. J’aime bien les choses claires et déteste les secrets mais là, je suis capable de garder ça pour moi.
La semaine dernière, Louis me pose une autre question :
- Bernard m’a demandé si toi et Benjamin… ? On vous voit souvent ensemble…
- Je te l’ai dit, il ne se passera rien avec Benjamin. La seule et unique raison est que jamais je ne ferai ça à la femme de Benjamin. Je veux toujours pouvoir la regarder dans les yeux.
- C’est bien ce que je pensais, me répond Louis, ce qui clôt la discussion.
Sauf que, cette fois, la situation mérite que Benjamin soit au courant, Bernard et Louis étant aussi ses amis.
Comme je l’amène à l’aéroport – il part pour deux semaines pour un contrat -, je profite de lui parler. Nous trouvons des fauteuils tranquilles dans un passage entre le parking et les départs. Je lui expose clairement les faits. Il me regarde, fort surpris mais souriant d’un air à la fois inquiet et presque content. Nous discutons un peu avant que je lui exprime mon attirance pour lui, ce qui le surprend beaucoup, et qu’il me réponde qu’elle est réciproque :
- Tu es extrêmement attirante !
Je le regarde avec un sourire. Ses yeux étincellent malgré sa gêne.
- Je n’ai pas dit «attirante». J’ai dit «extrêmement attirante !» reprend-il.
- Sauf que je ne veux pas qu’il se passe quoi que ce soit entre nous, Benjamin, car je veux toujours pouvoir regarder ta femme dans les yeux.
- C’est une très bonne raison, lance-t-il en soupirant légèrement, l’air un peu au regret mais conscient que c’est la meilleure chose à faire.
- De plus, j’ai eu assez d’amants dans ma vie. Je veux vivre autre chose…
- Je te comprends…
- Alors on fait quoi ? je lui demande.
- On ne fait rien. On attend, répond-il en prenant son sac.
On se dit au-revoir comme d’habitude et il s’engage dans le couloir des départs…
Je reprends la route en direction de chez moi, «officiellement» aimante et aimée puisque l’attirance est exprimée sauf que je me sens maintenant porteuse d’un lourd secret.
Je croyais qu’un secret qu’on porte seul était plus lourd qu’un secret qu’on porte à deux.
Je me trompais…
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