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De nos rêves africains

Publié le 09 octobre 2012 par Jlk

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De JLK, dit le Papillon, à Daniel Vuataz, dit le Kid

À La Désirade, ce mardi 9 octobre 2012.

Après un voyage à Lubumbashi, au Congrès des écrivains francophones. De la littérature romande et de sa "légitimation" parisienne, ou comment s'en affranchir. De la dignité de chaque littérature en fracophnie et aileurs...

Mbota na you, moninga,

Ouallou Ouatta, v'là que je te hèle en lingala. Ndenge nini ? Nsango nini ? Comment que tu vas ? Quoi de neuf ? Que du neuf g spère, ce matin, vu que pour le coeur vert chaque matin se refait une beauté...

Je t'entends encore parler, l'autre jour à la radio, de ton rêve africain, et la lecture de tes textes m'a bluffé. Le Maxou les a aussi entendus et appréciés, m'a-t-il dit lorsque nous nous sommes embarqués pour Lubumbashi. J'ignorais jusque-là le passé malgache et gabounais de la tribu coopérante des Vuataz, et j'ai mieux compris ta mélancolie stambouliote de routard frustré quand tu as laissé tes potes au seuil de la route africaine. J'ai pensé à Bruno en visant, par le hublot du vol de nuit, les premières lumières d'Addis-Abeba. Puis j'ai repensé à toi en voyant monter la terre aux ocres orangées du Katanga, et j'ai pensé à ma bonne amie débarquant au Mozambique, il y a quatre décennies, quand elle est allée vivre là-bas les liesses de la Révolution avec son Groupe Afrique. À ce moment-là, jusqu'au dernier flottement dans l'atterrage (on dit atterrage en vieux français pour désigner la dernière mer ou le dernier ciel préludant au rivage), je me suis demandé si je ne rêvais pas, mais le ravisement aux anges du Bantou me semblait plus-que-réel, autant que la recommandation que sa mère lui avait faite, de Douala, de ne pas oublier de prendre avec lui "la Parole", et déjà la première bouffée de touffeur nous faisait tituber sur le tarmac et là-bas un grand panneau publicitaire donnait le ton: Boudchou c que du bonheur !

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Nous avons souri, toi et moi, en découvrant, juste avant mon départ, la page mirifique consacrée par Le Temps à "l'extraordinaire sucès des écrivais romands", essentiellement liée à l'apparition de deux ou trois d'entre eux sur les listes des prix littéraires parisiens de cet automne. Toi qui a 26 ans et qui vas publier, sous peu, tonétude consacrée à la grande époque de La Gazette littéraire de Franck Jotterand, après t'être intéressé à Monnier et à Cingria, entre autres, tu m'as dit comme ça que ces dames du Temps avaient une fois de plus, bien courte mémoire. À quoi j'ajouterai: autant qu'étroite et servile vision. Car j'ai beau me réjouir, évidemment, de voir s'inscrire le nom de Joël Dicker sur la sélection du Goncourt, avec son formidable roman que j'ai été le premier à encenser sur la Toile, autant que je me réjouis du succès du deuxième livre de Quentin Mouron dont j'ai commis la postface: parler de "jamaisvu" et d'"une période d'une intensité sans précédent" pour les lettres suisses romandes relève juste de la fabrication médiatique sur fond d'amnésie. Quant à évoquer une nouvelle génération en rassemblant Dicker (27 ans) et Metin Arditi (70 ans), Catherine Safonoff (plusvieille que moi) et Quentin (plus jeune que toi), c'est aussi bêta que la page parlant, après la mort de Maître Jacques, de l'après-Chessex où notre compère le loup était donné pour une star, qu'on oublie aujourd'hui pour le coup.

Parler d'un "avant et d'un après 2012", s'agissant de la rentrée romande, est à mes yeux plus que de la foutaise: une forme de désinformation méprisante qui fait fi de tout le travail accompli par nos éditeurs pendant des décennies, quel que soit leur essoufflement actuel - il suffit de se rappeler les rentrées littéraires romandes des années 80-90, avant même l'inflation délirante de la rentrée française boostée par les prix, quand plus de cent titres paraissaient dès septembre aux enseignes conjointes de L'Age d'Homme et de Bertil Galland, de Campiche et de Zoé, de L'Aire et de Metropolis ou de quinze autres éditeurs. Seulement voilà: tout ça se passait loin de Paris, où divers auteurs romands de qualité (les Bénoziglio, Comment, Delarue et consorts) se trouvaient déjà largement reconnus sans que le Goncourt à Chessex (en 1973) n'y ait rien changé. Ces dames font dire à mon ami Bernard de Fallois, avec lequel j'ai partagé la découverte de Volkoff avant celle de Dicker, que la scène littéraire suisse aurait été inexistante avant que Vladimir Dimitrijevic, notre cher Dimitri, ne lui apporte L'Amour nègre de Jean-Michel Olivier, avec lequel il a obtenu le Prix Interallié 2011. C'est oublier au moins les co-éditions de plusieurs livres d'Etienne Barilier, sans parler de toute la production romande étalée aux salons de Paris, de Bruxelles ou de Montréal. Et à ce propos, je ne sais si tu te doutes du travail également accompli par Dimitri et ses fouineurs sur toute la francophonie européenne, entre la Belgique et le Québec souvent oubliés par l'instance parisienne.

Tu le sais autant que moi, Kiddy, vu que tu as pris la peine de te pencher sur la littérature de ce pays, dont tu sais également combien le milieu m'insupporte, tu sais combien notre culture diffère de la culture française par son fonds protestant et mélangé, son substrat terrien et cosmopolite, ses relations à la métaphysique et à la nature, sa poésie spiritualisante et ses penchants amiéliens à l'introspection - tu le sais même si ta génération commence d'échapper à ces composantes séculaires.

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Je le vois tous les jours sur mon blog et sur Facebook: les Français nous méconnaissent, nous autres Suisses francophones, autant que nous méconnaissons les Camerounais, les Congolais ou les Burkinabés. À cet égard, c'était assez délicieux que de voir notre Max Lobe, dit Maxou le Bantou, permis C frétillant de jalousie à la vue de mon passeport rouge à Croix-Blanche, titulaire d'un master d'administration mais en stage de chômeur à la commune gaucho de Renens, représenter une moitié de Suisse au Congrès des écrivains francophones avec autant de malice que de justesse de ton intelligente. J'imaginais certains de nos convenables plumitifs dans ce rôle et j'en souriais de plus belle. Bref, c'est à tout ça que j'ai commencé de gamberger en assistant aux débats et autres vacations de ce congrès un peu surréaliste sur les bords puisque le Congo de la RDC, si j'ai bien compris, est aussi dénué de librairies que d'éditeurs et de politique du livre autant que de politique culturelle. Or ce que j'avais envie de dire au noir aréopage de profs et de scribes réunis là-bas était cela: qu'il est possible d'écrire, de publier et de se faire lire, en francophonie, sans forcément s'en remettre à l'instance française de consécration.

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Tu sais, moninga (mon ami en lingala), que j'ai publié un livre consacré au rayonnement européen de notre édition, rien qu'à partir de Lausanne, des Oeuvres complètes de Voltaire à celles de Rousseau, de Ramuz ou de Cingria, en passant par les collections de La Guilde du Livre et de Rencontre, les 4000 livres publiés par L'Age d'Homme et tous les fonds vivants de Zoé ou de feu Galland, de L'Aire de Michel Moret, des éditions gauchistes d'En Bas,des catalogues multinationaux de Noir sur Blanc ou d'In Folio et j'en passe. La Suisse est la moitié d'une crotte de puceron sur la  carte du Congo RDC, et pourtant notre expérience éditoriale et littéraire est considérable, autant que celle de Wallonie-Bruxelles dont beaucoup d'entre nous ignorons tout. C'est un peu de ça que j'avais envie de témoigner entre débats plus ou moins académiques et propositions plus ou moins utopiques, alors même que des liens personels se nouaient, que je crois plus importants que les belles déclarations d'intention.

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J'aurai encore des tas de choses à te raconter, moninga, sur ce voyage un peu surréaliste par sa forme et sa brièveté, qui nous a du moins permis de rencontrer des gens intéressants, tel ce Fiston Mwanza Mujila dont je t'ai parlé déjà du tapuscrit qu'il m'a envoyé, genre rhapsodie jazzy afro-multimondiale relevant d'une étonnante vision poético-satirique et d'un très actuel fantastique social. Avec la lecture des Mathématiques congolaises de Jean Bofane, celle d'une anthologie de la littérature des Grands Lacs, un aperçu biographique passionnant des Femmes d'Afrique lié àune expo itinérante, de beaux moments avec nos nouveaux amis de là-bas, c'est un début de butin de cedrôle de safari littéraire qui en appelle d'autres. Aussi, je suis sûr que Maxou donnera une suite à ses Cahiers bantous dont j'attends le meilleur, pas loin de tes propres proses, et puis je compte bien communiquer encore avec les soeurs Courage que j'ai rencontrées là-bas et qui s'activent aux divers échelons de la chaîne de la création et de l'édition; on se retrouve ainsi sur Facebook avec Ana au Burundi et Bestine à Kinshasa, Dominique à Liège ou Fabrice en son bureau volant de la Communauté belge, sans parler de mes amis Nétonon ou Bona,entre la Côte vaudoise ou Sheffiled, qui nourrissent, chacun à sa façon, mon propre rêve africain...

 

 


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