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D'un auteur l'autre

Publié le 27 juin 2013 par Jlk

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GENRE DESCHIENS. - L’imagination « sociologique » des écrivains francophones est assez pauvre, et notamment en Suisse romande. J’entends par là que rares sont les auteurs qui traduisent, par leur observation, les faits et les mouvements significatifs qui travaillent nos sociétés en mutation, ou qui captent les faits de langage caractéristiques de ces changements, comme a su les ressaisir un Michel Houellebecq.

Or, avec plusieurs romans et autres recueils de nouvelles, Antonin Moeri a bel et bien montré lui aussi cette capacité, corsée par un sens du comique, du grotesque ou de la dérision qui font merveille dans Tam-Tam d'Eden, son dernier recueil de nouvelles, savoureux en diable et ressaisissant un climat « classe moyenne » typique de la nouvelle société consommatrice qui positive. La chose est d’autant plus cocasse que ces nouvelles se passent, pour majorité, dans un bourg de la riviera lémanique chère au vieux Ramuz, qui souffrirait sans doute de voir à quel point le village planétaire a colonisé nos vénérables rivages vignerons où se pointent informaticiens névrosés et négresses exultantes de santé…

L'idéal poétique de Tonio est en somme un ange de Reiser dont les couilles dépassent du caleçon. Le rire de ce drôle de garçon explose et se ravale à la fois comme un remords nerveux, et cela m'intéresse autant que l'angélisme drolatique et contrarié d'un Thomas Bernhard ou d'un Ulrich Seidl, ces deux terreurs sensibles. Un jour Tonio fera des merveilles, mais il faut qu'il se détende et soit plus naturellement vache. En outre il n'est pas encore assez détaché pour la sainte ouvrage. On sent encore trop sa prose à lui et pas assez celle des choses. Il n'ose pas encore se montrer vraiment méchant comme les vraies bonnes gens style Robin Cook ou Patty Highsmith. Patience: ça viendra et d'autant mieux s'il écoute plus attentivement ce qui vibre et lancine tout au fond du rire de Jackie, sa moitié jurassique commise aux soins de l'humanité finissante. En attendant, son éditeur pignouf ne cesse de le rabaisser en l'appelant la cinquième roue de son char ou sa voiture-balai alors qu'il tient là son plus original énergumène. Mais c'est très bien: un écrivain qui cherche à mettre des auréoles aux poubelles doit être un peu malmené, ou la bonne rage pourrait lui passer... 

Celui qui revit tôt l’aube / Celle qui émerge de la nuit comme d’une eau dormante / Ceux qui font fête au jour malgré les journaux, etc.

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STORY. - Martin Suter est au roman suisse à succès ce que Roger Federer est au tennis mondial : il réussit. Avec de vraies prouesses romanesques, à commencer par Small World, étonnante plongée dans le dédale de la maladie d’Alzheimer, et des récits d’époque habilement ficelés, abordant à chaque fois des thèmes intéressants au fil de stories crédibles.

Storyteller : c’est l’auteur nouveau qui séduit sans faire forcément la pute, ce qu’un certain milieu littéraire a de la peine à avaler, qui rêve de réussite « pure ». À cet égard, Le cuisinier joue sur un velours tout de même équivoque : la passion des gens pour la cuisine, et en l’occurrence corsée de pouvoirs aphrodisiaques, et la mauvaise conscience des Suisses par rapport aux immigrés, en l’occurrence Tamouls. Résultat ? Une excellente story, fine et sensible, bien documentée sur les milieux traversés, propre en ordre comme un match de « rodgère », le top de la compétence, mais c’est ailleurs qu’on ira chercher les failles et les vertiges qui font la grande littérature.

(Extraits d'un livre en chantier)


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