Magazine Humeur

La bibliothèque du professeur Blequin (9)

Publié le 09 mai 2014 par Legraoully @LeGraoullyOff

Ce n’est pas un secret, j’aime beaucoup les livres ; c’est pourquoi j’ai décidé de vous parler régulièrement des livres que j’ai lus ou relus. Gardez bien à l’esprit que mon avis en vaut largement un autre…

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Jacques Mousseau et Christian Brochand, L’Aventure de la télévision, Nathan, 1987 : J’ai été bien surpris de trouver dans les rayonnages de la médiathèque de ma commune cet historique de la télévision française aujourd’hui largement dépassé ; l’ouvrage, en effet, est contemporain de la privatisation de TF1 et dieu sait si, en plus de vingt-cinq ans (désolé pour le coup de vieux que je donne à ceux qui ont connu cette période) il a pu s’en passer, des choses… De surcroît, les auteurs, tous deux anciens de la RTF, semblaient attachés à la conception de la télévision qui prévalait de leur temps, au point d’avoir bien du mal à dissimuler la méfiance qu’éveillait en eux l’évolution du ton de ce média ; ils sont trahis par le regard qu’ils portent sur Michel Polac (qu’ils désignent clairement comme celui « par qui le scandale arrive ») et plus encore par leur commentaire de la fameuse affaire Maurice Clavel, le coup de sang de ce dernier étant presque réduit à un caprice d’adolescent  : « La télévision n’a pas de chance : elle ouvre le plateau de « À armes égales » à un contestataire et celui-ci lui claque la porte au nez ! » En somme, l’intérêt principal de cet ouvrage se situe justement dans le fait qu’il offre une photographie saisissante du regard qu’une génération déjà sur son déclin portait sur l’émergence d’un monde nouveau, émergence dont la télé était le reflet plus ou moins fidèle. De plus, il est intéressant pour les gens de ma génération qui, comme moi, sont nés avec six chaînes de télé, de (re)découvrir comment on en est arrivés à cet état de fait qui avait fini par nous sembler naturel alors qu’il était le fruit d’au moins cinquante ans d’efforts humains et de progrès techniques…

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Claire Bretécher, Agrippine et l’ancêtre, 1998 : Pourquoi ce tome-ci en particulier ? Parce que ce quatrième album détonne, dans la série que Bretécher consacre à son adolescente, par son relatif optimisme ; le dessin de couverture lui-même est surprenant : alors que la dessinatrice nous avait habitués à représenter Agrippine bougonne et avachie, cette fois-ci, nous la voyons esquisser un sourire et posant fièrement aux côtés de son arrière-grand-mère, « l’ancêtre » en question dont elle apprend l’existence dans l’album et envers laquelle elle fait montre d’une sollicitude et d’une affection pour le moins inattendues : il ne fait aucun doute que c’est en grande partie intéressé et qu’elle compte sur la sénilité de « la meurh de la meurh de sa meurh » pour lui soutirer de l’argent, mais il est aussi à peu près certain qu’elle est heureuse de pouvoir se rattacher à une famille, à un passé et donc à une histoire autrement que par le biais de ses parents frustrés et de sa grand-mère dégénérée et que même cette « ancêtre » vaut mieux que les « blocs d’agglo » susnommés. Bien lui en prendra puisque c’est ainsi qu’elle connaîtra enfin l’amour… L’auteur elle-même avoue être angoissée par cette parenthèse presque heureuse au sein d’une saga marquée par le cynisme et le pessimisme, ce qui explique la présence apparemment incongrue du « bolot occidental », personnage animalier peu reluisant, vedette d’un autre album de Bretécher et venu pour offrir à l’album sa dose de nihilisme…

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Alain, Propos sur le bonheur, Gallimard, 1928 : Vous avez lu tous ces articles, dans la presse sur papier glacé, avec des tartines de conseil pour atteindre le « bien-être » voire le bonheur ? Jetez-les aux orties ! Et reportez-vous plutôt à ce recueil de textes magnifiques dus à la plume d’un grand philosophe français. Souvent inspirés par l’actualité de la première moitié du XXe siècle, ces propos n’ont cependant pas pris une ride ; le dénominateur commun ? Aux yeux d’Alain, le bonheur est une question de volonté dans la mesure où il ne consiste pas en une statique mais au contraire en une dynamique : pour le dire plus clairement, les plaisirs qui nous sont donnés sans que nous ayons eu à faire d’effort pour les conquérir nous sont de peu de valeur en comparaison de ceux que nous obtenons par nos propres forces, ce qui est le signe que le bonheur de l’homme n’est pas dans l’autosuffisance mais au contraire dans l’action ; la mélancolie et le désespoir ont pour victime toute désignée l’apathique, celui qui n’agit pas et se laisse berner par les apparences face auquel il n’est plus que spectateur. Le bonheur est en quelque sorte une conquête en perpétuel renouvellement : de ce fait, le désespoir n’est qu’une illusion, quiconque s’entraîne sérieusement à l’optimisme doit devenir optimiste de fait et répandra sa joie de vivre autour de lui ; beaucoup de sentiments négatifs (voire tous) s’expliquent davantage par les dérèglements de la machine corporelle que par les causes qu’on leur assigne qui méritent rarement l’attention qu’on leur accorde. J’ai conscience de résumer bien maladroitement un ouvrage qui se prête mal à l’exercice du résumé tant il est riche, coloré et, de surcroît, écrit dans une langue impeccable qui le rend accessible à tous.

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Donald Friedman, Peintures et dessins d’écrivains, Beaux-Arts, 2007 : « Quand on a un talent en quelque domaine, on excelle généralement aussi en un domaine voisin. » disait Cavanna ; tout le monde sait que Victor Hugo nous a laissé bon nombre de dessins magnifiques exécutés avec des techniques très novatrices pour l’époque, que le dessin était un prolongement parmi tant d’autres de l’activité poétique de Jean Cocteau, que ce touche-à-tout de génie qu’était Boris Vian n’a pas délaissé le graphisme… Mais on sait moins, en général, que Charles Baudelaire a fait le portrait de la belle Jeanne Duval, qu’Alfred de Musset aurait pu être un très grand peintre s’il ne s’était pas laissé aller, que Marcel Proust a fait des croquis, fort médiocres en tant que tels, qui ont servi à l’élaboration de son œuvre et que Bukowski dessinait comme il écrivait, c’est-à-dire avec une certaine insouciance. Et ce n’est là qu’une infime partie de cet ouvrage qui est à prendre pour ce qu’il est, c’est-à-dire un catalogue des écrivains ayant laissé une production graphique ; l’ouvrage a une visée essentiellement documentaire et, du fait de son format (plus d’une centaine d’écrivains-graphistes, chacun étant présenté en une seule page illustrée d’un échantillon de leur production), le rapport entre l’activité graphique et l’activité littéraire n’est pas analysée en profondeur, Friedman rapportant les informations disponibles à ce sujet et donnant ainsi au lecteur les pistes nécessaires pour explorer plus avant le sujet. Lire l’intégralité d’une traite risque d’être indigeste, mais on peut se permettre de se borner à feuilleter l’ouvrage dans un moment de désœuvrement et le classement des auteurs par ordre alphabétique facilitera le travail au chercheur en quête de renseignements.

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Jean Anouilh, Le voyageur sans bagage, 1937 : Voilà une histoire qui arrive à point en cette année de commémoration de la première boucherie mondiale : tout de suite après la guerre, la presse française évoqua le cas d’un poilu amnésique à peine capable de bredouiller son propre nom ; ce n’était que le début d’une bonne vingtaine d’années de folie collective dont le malheureux allait être la victime innocente puisque plusieurs familles allaient reconnaître un des leurs dans ce soldat perdu et se disputer le droit de le réintégrer dans leur foyer. Le plus incroyable est que même lorsque la famille du pauvre homme sera définitivement identifiée et officiellement reconnue en bonne et due forme, les autres familles candidates à l’accueil de l’amnésique ne se résigneront pas et, loin de reconnaître l’évidence, redoubleront d’effort pour que « leur » cher disparu leur soit rendu, tant et si bien que le malheureux ne pourra jamais retrouver sa famille ! Cette histoire abracadabrante, qui a défrayé la chronique de l’entre-deux-guerres, a inspiré à Jean Anouilh une pièce moins célèbre que son Antigone, de sept ans postérieure, mais qui traite déjà de la question des rapports entre l’individu et la société : l’amnésique de l’histoire, nommé Gaston faute de mieux, est emmené par sa protectrice, une « duchesse » d’une bêtise savoureuse (« Un garçon qui a l’air si charmant, je serais désolée qu’il fût d’extraction basse. ») dans une famille aisée qui reconnait formellement en lui l’un des siens mais qui lui impose une identité qu’il refuse. Jules Renard disait que tout le monde n’a pas la chance d’être orphelin, Anouilh nous dit que tout le monde n’a pas la chance d’être amnésique : de ce handicap mental et social, Gaston va faire un atout pour revendiquer le droit de se construire comme bon lui semble, de ne pas devoir rejouer le rôle de l’individu qu’il a peut-être été (l’auteur se garde d’être catégorique à ce sujet) mais qui désormais lui répugne. Il finira par se créer de toutes pièces une famille grâce à un providentiel petit garçon : son modèle n’a pas eu la même chance…

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À bientôt pour de nouveaux coups de cœur littéraires.


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