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Mémoire vive (39

Publié le 22 octobre 2014 par Jlk

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À La Désirade, ce 1er janvier 2014. - Premier de l'an tout paisible, après une soirée qui ne le fut pas moins, avec ma bonne amie, à regarder des films. Point d'amis à la maison, pas d'enfants non plus. Rien que nous. Et pas mélancoliques pour autant. Pas un téléphone à minuit. Est-ce à dire que nous nous coupions du monde? Nullement D'ailleurs nous avons envoyé des tas de voeux et des tas de voeux nous ont été adressés. Mais la mondialisation, entre autres, rend le passage d'une année à l'autre bonnement banal, sinon arbitraire, malgré l'agitation commerciale des"fêtes"...   

La nouvelle année a commencé pour moi avec l'amorce, il y a quelques jours, de mon prochain livre: un recueil de nouvelles que j'ai d'ores et déjà intitulé La vie des gens.

Ce nouveau travail découle directement de ma lecture des dix recueils d'Alice Munro, dont chaque nouvelle  me donne de nouvelles idées de récits brassant ma propre matière. Jamais, à vrai dire, je n'avais connu ce genre de stimulation, sauf avec Tchékhov ou, à un degré moindre, avec Carver. Or, la perception de la réalité propre à Alice Munro, autant que les modulations de sa ressaisie littéraire, m'ont immédiatement donné l'impression de prolonger une sorte de rêverie que je vis moi-même depuis une trentaine d'années au moins. Il y a chez cet écrivain un mélange d'observation sociale et d'empathie humaine qui me touche comme chez très peu d'auteurs, et d'autant plus que le ton de ces nouvelles est pur de toute sentimentalité et de toute forme de démagogie.  

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La série télévisée The Wire, que m'a recommandée Jean-Daniel Dupuy, m'a tout de suite impressionné par sa riche matière humaine et son fonds socio-politique très élaboré. Dans le genre, proche de la fiction documentaire telle que l'a pratiquée Jean-Stéphane Bron dans Cleveland contre Wall Street,  je n'ai jamais rien vu d'aussi vivant et intéressant.

J'ai fini de regarder hier soir les douze épisodes de la première saison, qui m'ont réellement passionné en dépit d'un certain formatage des situations et des personnages, inévitable dans le genre de la série télévisée. Mais ce qui frappe, dans les grandes largeurs, est la richesse exceptionnelle du tableau, qui rend vraiment compte de ce qui se passe dans les quartiers pauvres de Baltimore pourris par la drogue, avec une quantité de personnages bien dessinés, parfois originaux et souvent très attachants.

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Toutes mes lectures et observations, y compris mes interventions quotidiennes sur Facebook et moult autres activités,convergent dans la constitution de ma vision panoptique; et mes variations récentes sur les textes de Flynn Maria Bergmann, ou sur les images de Robert Indermaur, en sont un nouvel exemple.

         

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Ma bonne amie ressent à peu près tout avec justesse, comme personne de ma connaissance. J'ai certes mes propres intensités, auxquelles je tiens, mais en matière de bon sens et d'équilibre elle est irremplaçable - c'est ma terre ferme en un mot...

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En me rappelant les personnages significatifs de nos années bohèmes, je revois par exemple la fille à papa, dont le père dirigeait l'Hôtel Président de Genève, nous tenant une conférence dans un bistrot en pure maoïste de salon. À décrire! Ou la soirée chez Jimmy, dans la chambre aux orgies où les cloches de la cathédrale nous ont sonné le réveil. Ou celles que nous avons passées au square du Roule, avec les danseurs de Béjart. Ou le personnage d'Asa en ses multiples avatars d'Alexandrie à la ferme aux chats. Les scènes de celle que je croyais la femme de ma vie ! Les cris des fins de discussions politiques au Mao. La poussée d’hystérie que m'a racontée mon défunt ami cher, d'une soirée du GHR achevée dans les larmes et les vociférations sous prétexte que les filles avaient prétendu que tout garçon portait sur lui l'arme du viol. Et tant et tant de situations du même acabit, plus ou moins drôles et surtout significatives de telle ou telle époque – cela qui m’intéresse notamment.  

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Que je lise Alice Munro, annote un tapuscrit (ces jours ceux de Sinzo, Max et Bona), regarde un épisode de The Wire ou un film, coupe du bois à la tronçonneuse ou ferraille sur Facebook, tout me fait miel pour La Chose, qui rassemble et filtre tout ça.

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À La Désirade, ce 9 janvier.- Commencé de lire le tapuscrit du nouveau roman de Max. Très bien. Plus maîtrisé que la première mouture du précédent, intéressant par sa matière (en gros : la vie quotidienne d’unBantou en Suisse) et très bien rythmé. J’ai fait quelques corrections et Zoé finira le job avec lui.

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En  regardant les épisodes de  TheWire, je me dis que nos cinéastes ont encore beaucoup à apprendre, sans parler de la carence, plus marquée d’ailleurs, de notre cinéma en matière de scénarios et de dialogues. Godard prétendait que du scénario on n’a que faire.On en voit le résultat…

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L’intoxication menace parfois, aussi faut-il couper court. Retrouver ses marques, comme on dit. Faire de l’ordre en soi et autour de soi. Nettoyer ses pinceaux et ranger ses couleurs.

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L’expérience sur la Toile est intéressante, pour autant qu’on ne se laisse pas engluer dans la mélasse sentimentale et niaise des pseudo-poètes, ni dans lapseudo-complicité compulsive.

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J’ai été généreux avec Le Miel de Slobodan Despot, mais ce sera sans plus. La froideur de ces mâles dominants, de ces mecs-qui-assurent, de ces rouleurs de mécaniques aux faiblesses secrètes m’a toujours glacé le sang et tenu à distance. Ils se croient fort mais ce sont eux les faibles. Le type reste ricanant malgré son talent, et basta ; il se croira toujours plus malin, mais à moi on ne la fait plus. Poil au cul.

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Ce qui m’impressionne, chez Maxou, est sa discipline personnelle et sa gaîté, malgré la galère du chômage. Ce qui est sûr en tout cas est qu’il avance. Je crois qu’il a trouvé d’instinct – et par l’éducation de sa mère, sans doute – l’attitude juste, contrairement à divers frimeurs de son âge en quête d’effets.  Il est assez conséquent et honnête, et j’aime ça. Il ira plus loin, en outre,  que nos petits lettreux envieux genre X.

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Reprenant la lecture des Gens du lac, le dernier livre de Janine Massard, j’en suis impressionné, autant par la matière  historique que par le ton et la qualité des portraits qu’elle brosse, dont celui d’une redoutable parvenue,égocentrique et méchante. Aussi, l’évocation de ces années de guerre, en Suisse romande, est très réussie, et je vais donc lui faire un bon papier. 

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Je vais tâcher de creuser, de plus en plus, dans le terreau de la rêverie. Max Dorra, Proust,Bachelard, les musiciens, Michaux, la peinture : tout cela m’y porte de multiples façons. La recherche de la beauté est à la fois quête de sens et de valeur – de réalité augmentée. Confiance aux fées de la mémoire et de l’imagination.

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À La Désirade, ce mercredi 22 janvier. - Mon poulain bantou a décroché, ce soir, le Prix du roman des Romands. Belle reconnaissance pour ce garçon dont j’apprécie, particulièrement, la façon de prendre la chose, tout modestement.

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Le livre de Slobodan Despot a provoqué tout un échange de commentaires, sur Facebook, où le fiel et la moraline ont déferlé, avec l’intervention de personnes qui, de toute évidence, n’avaient pas lu le livre. Je m’en suis un peu mêlé, mais pas longtemps: je déteste les faiseurs et les truqueurs affectant de souffrir eux-même de tel ou tel génocide, mais je ne suispas disposé à m’exposer inutilement, non plus, pour un type qui continue d’attiser l’opprobre avec une sorte de jouissance trouble.

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À La Désirade, ce dimanche 26 janvier. – Au cinéma, ce matin, pour voir Philomena de Stephen Frears, très beau film d’émotion et nécessaire aussi – devoir de mémoire, comme on dit – en cela qu’il documente une tragédie ordinaire vécue par ces jeunes mères « pécheresses » auxquelles l’Eglise arrachait leurs enfants pour les vendre à de riches bourgeois, comme il en est allé du fils de Philomena elle-même. Bref, nous avons versé quelques larmes à la fin réellement émouvante du film, admirablement réalisé et interprété.

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À La Désirade, ce vendredi 31 janvier. – Repris aujourd’hui l’exercice physique à la salle de musculation et la piscine de Burier, non sans grincementsd’articulations et douleurs musculaires diverses. Mais j’ai besoin de me refaire un semblant de forme physique, sans trop forcer pour autant. Juste pour me sentir un peu moins lourd et contraint dans ma carcasse qui accuse, évidemment, un certain vieillissement en sa putain de soixante-septième année.   

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La lecture du Dernier mot de Hanif Kureishi, qui évoque la face cachée d’un écrivain (V.S. Naipaul, de toute évidence) par le truchement d’un roman qui détaille aussi les tribulations d’un biographe rassemblant tout ce qu’il peut sur l’auteur en question, me rappelle la petite enquête d’une jeune parente du  peintre débarquant un jour, à La Désirade, avec une prétendue cinéaste prétendant réaliser un film sur Thierry Vernet. De la peinture de celui-ci, la prétendue cinéaste et la jeune parente avérée ne voyaient strictement rien, à voir leur façon de ne pas voir nos tableaux, mais cela ne les intéressait pas du tout à vrai dire : ce qu’elles voulaient était juste glaner des précisions sur la vie de Thierry, et notamment sur sa « vie sexuelle », qu’elles cherchaient à élucider à partir de ses carnets. Or, savoir les carnets deThierry en ces mains m’a choqué : j’ai trouvé cela presque obscène, et j’ai fait valoir à ces deux pécores que la « vie sexuelle » de Thierry n’avait aucune espèce d’incidence dans sa peinture, ce que la prétendue cinéaste a contesté en affirmant qu’au contraire c’était « hyper-important ». Je les aurais volontiers foutues à la porte à coups de pied au derrière, mais comme je suis gentil  je me suis montré gentil, très excessivement gentil.

Reste qu’il ya une nouvelle à tirer de cette scène, sur le thème de l’Artiste en proie aux philistins, et c’est pourquoi je ne regrette pas d’avoir passé deux heures avec ces impudentes; et je me console aussi en pensant que le film, sans doute, ne se fera jamais.

Quant au roman de Kureishi, il traite bel et bien de la «vie cachée » de l’écrivain, mais avec tant de finesse cultivée, d’intelligence et de connaissance, d’humour et de pénétration que le modèle, loin de se trouver réduit à un « petit tas de secrets », selon l’expression de Malraux, en devient plus humain, plus proche et plus  digne d’intérêt.


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