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Mémoire vive (49)

Publié le 01 novembre 2014 par Jlk

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À La Désirade, ce mercredi 20 août 2014. - Le petit livre intitulé Fantômes du passé, que mon vieil ami Gérard Joulié, plus vu depuis des années, m’a envoyé avant-hier, m’a beaucoup touché. Il s’ouvre sur une sorte d’autoportrait romantique tout à fait remarquable, d’un style très pur, et les morceaux de poésie qui suivent sont également de premier ordre, marqués au sceau de la Qualité.

J’en recopie ceci : « La rivière descend des montagnes, C’est pourquoi ses eaux ont la rapidité d’un torrent et la fraîcheur de la neige. Mais dans la vallée sur la rive, on ne sent jamais le vent. Du côté de l’ombre, la rivière longe la falaise, et du côté de la lumière, elle glisse au milieu des galets et des joncs, et parfois c’est une prairie ou un bout de jardin qui s’avance comme un petit promontoire d’où l’on peut voir venir et s’en aller les ondes. Et le promeneur aime à jeter dans les eaux un morceau de bois ou un rameau avec ses feuilles qu’il suit des yeux jusqu’au dernier contour.

C’est une rivière qui ne fait pas de bruit, qui coule au bas d’une ville qui ne fait pas de bruit. La ville est sur la falaise, très haut. Elle dresse la tour de sa cathédrale, une tour avec une couronne de clochetons, et tout autour les autres églises apparaissent toutes menues. Quand on est au bord de la rive, il faut bien lever la tête pour voir la ville : on ne la voit que si on veut la voir ».

Reposant l'élégant opuscule, je me suis rappelé l’espèce de poème que j’avais écrit en souvenir d’un voyage à Florence et Rome que nous avons fait ensemble – en 1974, me semble-t-il

 

Aux jardins Boboli

 

Pour G.J.

Ce que j’aime chez vous,

c’est ce lord, mon ami.

Chez vous l’élégance et la mélancolie diffusent

comme une douce aura de nuit d'été.

Nos conversations le soir

à l’infini s’allongent

au hasard des bars.

Et quand nous nous retrouvons à la nuit

(rappelez-vous cette soirée d’été aux jardins Boboli,

lorsque nous parlions de ce que peut-être il y a après)

sur la marelle des pavés

nous jouons encore

à qui le premier

touchera leparadis.

Aux jardins Boboli, cette nuit-là,

vous m’aviez dit que vous,

vous croyez qu’on revivra,

comme ça, tout entiers.

Pour moi, vous-ai-je dit,

je n’en sais rien: patience.

Je ne crois pas bien mais,

comme au cinéma,

j’attends: les yeux fermés,

comme aux jardins Boboli de Florence,

je souris en secret.

Comme aux jardins Boboli,

je ne vois qu’une lueur

à l’envers de la nuit.

°°°

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La lecture de Tchékhov est pour moi vivifiante, peut-être plus encore que celle de Dostoïevski ou de Tolstoï, en cela qu’elle est pure de toute idéologie religieuse ou politique, et qu’elle achoppe à des vies fragiles ou égarées,souvent même perdues. Il y a chez lui une attention aux gens, de toutes espèces, pauvres ou riches, qui va, sans exagération, vers plus d’empathie et de compréhension.

°°°

 

À La Désirade, ce mardi 2 septembre. – J’hésite, en lisant Le Royaume d’Emmanuel Carrère,entre le constat de platitude et celui d’honnêteté sincère de bon aloi. Il y a de tout ça dans ce livre à l’évidence trop long, mais je ne le jugerai qu’après l’avoir lu entièrement. C’est d’ailleurs un exercice qui s’impose aujourd’hui où n’importe qui se fend d’un avis sur n’importe quoi par ouï-dire : de juger sur pièce, en sûre connaissance de cause.

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Ce soir au cinéma avec Julie. Sils-Maria d’Olivier Assayas. Pas mal. La confrontation des femmes de plusieurs âges est bien modulée. Mais le plus intéressant a été notre conversation d’avant et d’après le film, où ma grande petite fille,assistante à l’Université, m’a notamment expliqué le droit international…

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Certaines musiques, certaines mélodies, certaines phrases de piano ou de violon ou de quelque autre instrument n’en finissent pas de nous revenir à travers les années, on ne sait trop pourquoi, mais ce que je sais, pour ma part, c’est qu’il y a au moins quatre décennies que m’accompagnent les airs de violon du concerto de Saint-Saëns, parfois snobé par les spécialistes. C’est vrai qu’il est d’une tendresse romantique, dans son deuxième mouvement, et d’une expressivité presque gitane, dans ses autres parties, qui peuvent paraître trop suave aux uns ou trop extravertie aux autres, mais je n’en ai cure en ce qui me concerne, et ce soir encore j’ai vérifié que j’avais raison : cette œuvre est une pure merveille de délicatesse et de vigueur, de yin et de yang.

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Jonas, mon protagoniste de La Vie des gens,  se protège contre toute forme d’hystérie. Sa façon de ralentir le cours des choses est caractéristique. Il est naturel, de bonne composition, jamais violent, jamais dépendant. Il y a en lui quelque chose de mystique. Il est essentiellement sensible à la beauté du monde. Plus précisément : à l’harmonie de la nature. Mais il s’est beaucoup intéressé, aussi, aux malformations naturelles et aux monstres. En revanche très choqué par la méchanceté, la jalousie, l’hypocrisie, la cruauté.

Il ne sait pas qu’il est un personnage de roman. Il sent les choses comme un romancier, alors qu’il n’écrit pas. Il est poète sans avoir jamais composé de vers. Il est musicien sans connaître le solfège, et peintre sans avoir jamais peint.

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Passer de la note au roman, c’est passer du dehors au dedans.

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À La Désirade, ce vendredi 26 septembre. -  Commencé hier soir, j’ai fini ce matin de lire Pétronille, le vingt-deuxième roman d’Amélie Nothomb. Très bien. Enfin : très bien pour ce que sont les romans d’Amélie Nothomb, avec des traits de pertinence et, parfois des fulgurances, mais rien qui marque très profond sauf, ici, une évocation de l’amitié entre deux femmes-garçons, toutes deux romancières.

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Jules Renard en son Journal: "C'est au doux climat de cette femme que je voudrais vivre et mourir".

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À La Désirade, ce dimanche 28 septembre. – La journée, toute belle journée d’automne, a été marquée par la rencontre à Morges, dans le dédale des Ateliers Moyard, de Flynn Maria Bergmann, au premier livre duquel (Fiasco) j’avais fait très bon accueil et dont j’ai découvert cette fois 300 petits objets-tableaux constituant une sorte de journal plastique combinant mots et images. Gentiment reçu par le jeune maître des lieux, j’ai eu grand plaisir à rencontrer Flynn qui m’a dit que mon travail, mes listes, mes propres montages et, plus récemment la série de Mémoire vive, n’auront cessé de l’accompagner et de l’inspirer. Plusieurs de ses tableaux font d’ailleurs écho à mes écrits, et la page de garde de Riches Heures fait même l’objet d’une sorte d’enluminure. Bref, je ne serais pas étonné que ce début de connivence ait une suite.

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Le portrait très nuancé, sévère mais juste, de Gide par Simon Leys, dans son Protée et autres essais, où il fait la part du grand homme de lettres et du vieillard maniaque courant après les petits garçons, m’intéresse autant que ses développements sur Stevenson, Confucius, Don Quichotte ou Orwell. C’est le type  de l’honnête homme que ce grand passeur disparu récemment, dont je vais lire tous les écrits qui me sont encore inconnus.

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Oscar Wilde : « L’éducation est une chose admirable. Mais il est bon de se souvenir de temps à autre que rien de ce qui mérite d’être su ne peut s’enseigner ».


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