C es deux citations : Je crois que la poésie ne va au front de rien, sinon à la profondeur de tout (Juarroz) et Révolutionnaires du monde entier, descendez dans vos propres profondeurs, cherchez-y la vérité, créez-la, vous ne la trouverez nulle part ailleurs (Makhno), en liminaire de cette anthologie, donnent la teneur de l'ouvrage. On ne saurait en éclairer la démarche : sa force est de n'en avoir aucune, ce qui ne signifie pas incohérence et éparpillement. Il s'agit ici d'un chemin, d'une brèche, d'un tracé où se croisent, se retrouvent, se rencontrent, s'entremêlent parfois de nombreux poètes (51). Quelques noms : Baudry, Boudou, Boulic, Dauphin, Dugardin, Farina, Guignard, Huot, Maison, Mathé, Raoul, Salameh, Venturini... Oui, ce livre est révolutionnaire, nulle place n'y est faite à l'autre monde, celui du mercantilisme, des idéologies, dogmes, diktats culturels, réseaux, écoles, courants. Se respire l'air vivifiant de la liberté. Il ne fait acte d'aucune complaisance et s'il devait s'agir d'un brûlot, ce serait une étoile. Les voix entrent en résonance : Ici, nous réunissons un ensemble de poètes qui ― nous semble-t-il ― présentent dans leurs écritures comme dans leurs silences, mais ici les deux mots sont presque synonymes, des axes de vie complémentaires [...] C'est en ce sens que les poètes ici réunis font de notre point de vue " famille ". La poésie est du domaine de l'être, est-il écrit dans la préface. Cet être pourrait être nommé lyrisme noir, ou bien encore outrepoésie, pour reprendre l'expression de Soulages outrenoir. En effet, les voix ici présentes n'ont de cesse de pénétrer les arcanes du monde qui nous entoure. Tout est matière à poésie quand le regard parvient à saisir le noir, tout le noir, et ses mystères, c'est alors la lumière qui est dite :
Au seuil des portes du silence
dans le noir plus noir que le noir
jaillit lumière d'ange
Alain Santacreu
Un monde une nuit un mot
Au sombre sommet du jour
Nous valait ce charme
Bruno Thomas
et le noir de l'oiseau désigné
Judith Chavanne
noir je neige illuminé
Alain Raguet
Christophe Dauphin l'écrit : Au fond de quelques hommes / il y a toi //, cet humanisme de l'intériorité (Bernard Grasset) est libéré des scories de l'égo, il s'agit d'une descente ascensionnelle au sein de l'être, et, si douleur il y a, le poète, à l'écoute du moindre signe, s'approche au plus près de la beauté et de ses manifestations, mêmes invisibles, le poème s'élève alors en chant commun.
La page blanche
rappelle que la neige
trahit les terriers
Albert Guignard
Le mal progresse, il accepte la défait dans la gloire des roses trémières
sur le soir.
Pascal Boulanger
Jean-Luc Maxence écrit dans Au tournant du siècle Regard critique sur la poésie contemporaine (éd. Seghers) : Globalement, la première décennie du XXIe s. marque avec force le grand retour de l'écoute de soi, cette poésie des profondeurs [...] illustre avec bonheur l'expression d'un certain " refoulé ". Refoulé, encre noire où il s'agit non seulement d'aller à la connaissance de soi, mais d'extraire un sang pur qui donnera sa matière au poème et sens à la vie. Poésie d'une authentique présence au monde, cette anthologie a la force d'éclairer en chacun l'arbre suprême (Flamand). Elle ne se referme pas, c'est en cela aussi qu'elle est révolutionnaire. Tomas Tranströmer (prix Nobel 2011) écrivait : mes poèmes sont des lieux de rencontre. Ici aussi ces lieux de rencontre opèrent leurs miracles, petits et grands, dans cette poésie si justement nommée.
Marie-Christine Masset
D.R. Texte Marie-Christine Masset
pourTerres de femmes
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